Interview et live report – Mudhoney
Il fallait me voir l’œil hagard devant l’Aeronef de Lille samedi 23 mai, à l’heure au rendez-vous mais inquiet devant une porte close et un tour manager sur répondeur. Je n’en menais pas large.
Et puis la porte s’est ouverte… Et j’ai pu rencontrer Mark Arm et Steve Turner, le chanteur et le guitariste de Mudhoney.
Deux grands messieurs du rock qui évidemment ne se considèrent pas comme tel. A l’opposé de la caricature de la rock star, ils se sont entretenus longuement sans l’once d’une prétention, peu avares en anecdotes et en fous rires à l’heure d’évoquer des souvenirs de leur longue et irréprochable carrière.
Interview où il est question d’Iggy Pop, de Bill Clinton, de skinheads et de sandwichs au poulet.
Bon j’ai fait un petit calcul : le groupe existe depuis 27 ans, vous avez donné au moins dix interviews par an… donc je suis le 271e… (ils se marrent) Qu’est-ce que je peux bien vous demander qu’on ne vous a encore jamais demandé ?
Steve : je ne sais pas, il va falloir que tu nous surprennes. Ça dépend de toi ! (rires)
OK je vais essayer… La première n’est pas très surprenante. Vous avez déjà commencé à travailler sur le nouvel album ?
Steve : on a rassemblé quelques riffs. C’est la première étape. Mettre le plus de riffs possible sur cassette et essayer ensuite d’ajouter les éléments nécessaires à la structure de morceaux.
Mark : On a en a deux qui semblent aboutis mais on ne les connait pas encore assez bien pour les jouer en live.
Qu’est-ce qu’on pourra attendre de cet album ? Du Mudhoney « classique » ?
Mark : On ne sait pas encore !
Steve : on ne sait pas !
Vous avez deux morceaux !
Mark : mais on ne sait pas à quoi va ressembler le reste. Et on ne sait pas si ces deux morceaux seront sur l’album. Qui sait ? Ce seront peut-être les deux morceaux les plus merdiques ou les meilleurs ! (rires)
Ça fait déjà deux ans que Vanishing Point est sorti, vous êtes toujours en tournée. Vous avez vraiment besoin d’être toujours sur la route, vous n’avez jamais envie d’une pause ?
Steve : non, on ne tourne pas tant que ça. Il y a deux ans c’était une année chargée car c’était notre 25e anniversaire, puis celui de Sub Pop donc on a fait plus que d’habitude, ensuite on a un peu ralenti. On a des boulots et trois d’entre nous ont des enfants, on ne s’en va pas tant que ça.
Mark : on fait généralement une tournée européenne de trois semaines environ, on n’a pas pu faire ça l’an dernier vu comme l’année 2014 était chargée, ensuite en janvier on est parti en Australie 3 ou 4 semaines, puis Guy, notre bassiste n’avait plus de jours de congés…
Steve : il avait besoin de jours de congés supplémentaire… pour travailler. (Rires)
Mark : on a fait que des shows locaux…
C’est cool que vous fassiez des salles relativement petites, même ici ce n’est pas si grand…
Mark : on joue dans des salles dont la taille correspond à notre public… (Les deux rigolent)
Vous pourriez en faire de plus grandes !
Mark : aaah tu verras. TU VERRAS !
Steve : on ne sait pas. Combien ils étaient hier ?
Mark : à peu près 300 préventes, je ne sais pas combien en tout.
Steve : on va dire 300 hier, à peu près…
Ce n’est pas votre record mais…
Steve : non on peut avoir 400 à 500 personne dans beaucoup d’autres, dans d’autres moins…
Mark : ne parle pas trop vite… Qui sait combien ils seront ce soir ? Peut-être 30…
« Avant MTV, les gens ne connaissaient pas les slams, les mosh pits et ne savaient pas comment se comporter en concert. C’était super marrant à voir » (Mark Arm)
On ne dira rien à nos lecteurs… Vous avez de beaux souvenirs de concerts ici en France ?
Mark : oh bien sûr…
LESQUELS ?
(Mark s’esclaffe)
Steve : notre première fois à Paris, dans un vieux club vraiment crasseux et puant des années 70.
Mark : « Gibus » quelque chose comme ça ?
Oui, le Gibus. (En avril 1989 ndlr)
Mark : deux groupes en ouverture, dont un groupe de skinhead avec une table sur scène où ils mettaient leurs verres de vin…
Steve : ils avaient une bonne bouteille de vin rouge.
Mark : ils le sirotaient de manière très classe, comme on le fera ce soir. Ensuite il y a eu un autre groupe, on avait l’impression que c’étaient des comédiens de théâtre, c’était leur premier concert et à la fin ils ont reçu plein de bouquets de fleurs… (Steve se marre)
Steve : et tout le monde était si poli, les skinheads étaient sympas, distingués avec leurs verres de vin (rires).
Mark : notre concert était fun…
Steve : ensuite ils nous ont mis dans un squat.
Mark : ce n’était pas un squat.
Steve : c’était censé être un hôtel mais il était fermé pour affaires, c’était dégueulasse…
Mark : c’était le genre d’hôtel où les toilettes sont dans le hall, un peu comme une auberge de jeunesse. Et notre chambre puait l’urine alors Steve et moi on a dormi avec la fenêtre ouverte, dans nos vêtements, à l’avant du lit. Et à un moment, on est descendu au hall pour utiliser les toilettes et il y avait, comment vous dites de la « merde » (en français dans le texte, ndlr) étalée partout sur les murs, donc on a pissé par la fenêtre. (Rires)
Voilà une bonne histoire !
Steve : et attends le jour suivant !
Mark : le lendemain matin, on s’est arrêté à un petit resto où ils avaient des frites, différents sandwichs baguettes (qu’il appelle simplement « baguettes », ndlr) et un appelé « sandwich poulet » qui est littéralement un chicken sandwich, on a tous commandé « le sandwich poulet » et on a eu une assiette avec des frites, une baguette ouverte avec encore d’autres frites à l’intérieur… Pas un putain de morceau de poulet à l’horizon ! Je ne sais pas si c’est notre prononciation qui était trop mauvaise…
« Poulet », ça va.
Mark : c’était un vieux, peut-être qu’il détestait simplement les touristes, j’en sais rien.
Steve : on avait l’impression de se faire entuber, « ce n’est pas un hôtel, ils nous ont dit que c’était un hôtel, c’est impossible que ce soit un putain d’hôtel ! » (rires).
Mark : et ce n’est pas un sandwich poulet !
Steve : et les autres, ce sont pas des vrais skinheads ! (rires)
Mark : lors de cette même tournée, on a joué à Clermont-Ferrand. A l’époque on avait seulement 12 morceaux et on était le seul groupe à jouer, il y avait peut-être 15 à 20 personnes dans le public. On a fait notre set, je crois qu’ils nous l’ont fait rejouer ! (rires)
Ils étaient très enthousiastes et ensuite ils nous ont emmenés diner et après ça ils nous ont emmenés à la rue d’en face où ils avaient enregistré le concert… et ils nous l’ont fait regardé ! (rires)
Steve : encore ! Comme s’ils voulaient nous torturer !
Regardez ce que vous avez fait !
(Rires) Mark : c’était drôle !
Steve : pourquoi on voudrait regarder ça ?! On vient de le jouer !
Mark : il y avait cette jolie ville aussi où on a fait un très bon concert…
Steve : C’était pas Grenoble ? C’était avec avec les Filthy Rebels.
Mark : un club de motards. Oui le club d’un gang de bikers appelés les Filthy’s Rebels, avec l’apostrophe qui implique la possession donc c’est les rebelles qui appartiennent à Filthy.
Steve : Qui est ce Filthy ? (ce mec crade, « Who’s this Filthy guy », ndlr). Et il y avait une table qui leur étaient réservées, ils sont venus et ils buvaient du vin eux aussi.
Mark : du champagne ! Une sorte de mousseux. On s’est dit « leurs bikers sont différents ici ! » (rires).
Steve : beaucoup plus civilisés ! Oh… ET ils n’avaient même pas une seule moto ! Il y en avait une au mur du club, mais on les a regardés partir, il étaient 4 ou 5 dans une minuscule voiture française, une Renault je crois. Ils sont dont rentrés dans cette voiture minuscule et se sont barrés ! (Rires)
Mark : bien sûr depuis ça on a eu plus de concerts bons et normaux. Mais on a eu des concerts bizarres partout lors de cette première tournée. Quasiment personne ne nous connaissait, on avait 12 morceaux…
Steve : on a joué dans beaucoup de squats punk, des trucs comme ça en Italie, des collectifs d’artistes, ce genre d’endroits. Le public ne savait même pas comment se comporter parce qu’ils ne regardaient pas encore MTV avec les slams classiques, les mosh pits.
Mark : c’était une bonne chose, c’était super marrant de voir à chaque endroit une réaction différente du public, ils avaient chacun leur manière de se comporter. Ensuite au début des années 90, les gens ont vu les slams et après tout le monde s’est mis à faire ça… Ils font tous pareil maintenant.
A propos de concerts en France, vous n’êtes pas revenus à Paris depuis Villette Sonique en 2012. Comment ça se fait ? Il y a trop de « Douchebags on parade » à Paris ? (référence au titre d’un morceau du dernier album qu’on pourrait traduire par « défilé de blaireaux », ndlr)
Steve : oh non, on adore aller à Paris. Je ne sais pas. Il y a plein d’endroits où nous ne sommes pas allés depuis longtemps. J’adorerais retourner à Paris ! On y retournera !
Bien ! Vous parliez de vos premiers concerts… J’ai lu récemment quelque chose qui m’a surpris dans la biographie de Dinosaur Jr. Lou Barlow disait que quand ils ont joué plusieurs fois à Seattle, vous étiez allés les voir, puis vous avez sorti Superfuzz Bigmuff et pour lui « tout le concept de votre groupe était basé sur J »… (J Mascis, guitariste de Dinosaur Jr., ndlr)
Mark (surpris, se marre) : on avait déjà ces pédales !
Oui, je ne trouve pas si évident que vous sonniez vraiment comme la guitare de J… C’était une grosse influence pour vous ?
Mark : bien sûr ! Mais J ne jouait qu’avec la Bigmuff, il n’avait pas la Superfuzz !
Steve : mais on avait des racines communes avec eux avant de démarrer le groupe, on venait tous de la scène hardcore et on découvrait d’autres musiques. Evidemment Neil Young était une grosse influence pour leur son aussi. Ouais on venait du même univers mais ils étaient les premiers donc ils m’ont bien sûr vraiment influencés. J’adore leur premier album, j’adore You’re Living All Over Me, j’adore Bug…
Tu n’es pas plutôt dans le style d’Eric Clapton ?
(Steve se marre)
Tu es censé être le « Eric Clapton du grunge »… (Il était surnommé comme ça à une époque ndlr)
Steve : je sais, je sais… Mes parents en sont très heureux ! (rires)
Mark (à Steve) : t’as déjà écouté du Eric Clapton ?
« Pendant la période des MTV Unplugged, les gens disaient que ça permettait d’entendre à quel point les morceaux étaient bons, j’ai toujours pensé que c’était des conneries… » (Mark Arm)
Vous êtes là depuis plus de 25 ans, vous n’avez jamais pensé à vous séparer ? Il semblerait qu’aujourd’hui les reformations sont des opérations marketing très efficaces…
Mark : on est probablement trop idiots pour se séparer !
Steve : on a déjà fait des pauses mais on n’a jamais eu de raison de se séparer officiellement, on s’est toujours dit qu’on continuerait. On a déjà fait une pause d’un an, par exemple. Mais avec le recul ça aurait été une très bonne idée de se séparer deux ou trois ans…
Mark : on fait ça maintenant ?
Steve : ça a marché pour Dinosaur Jr. (rires)
Mark : ça a marché pour Pavement, pour les Pixies…
Steve : Sleater-Kinney !
Mark : ça a vraiment bien marché pour elles !
Oui je les ai vues il y a deux ou trois mois et j’ai été surpris de voir que c’était complet dans une assez grande salle… Je ne sais pas si elles ont déjà jouées devant autant de gens en France dans les années 90…
Mark : probablement pas.
Steve : Portlandia a dû aider.
Mark : pas en France. Portlandia est diffusé en France ?
(Je ne comprends pas bien…)
Mark : c’est une série TV. Carrie Brownstein (chanteuse de Sleater-Kinney, ndlr) joue dedans.
Steve : un grand succès en Amérique.
Ah non je ne connais pas… Oui ça a dû jouer aux Etats-Unis.
Depuis toutes ces années (sans break donc), vous êtes satisfaits de la façon dont vous avez fait évoluer votre son ?
Mark : bien sûr ! (Rires)
Steve : le principal c’est qu’on parvienne à continuer. On ne pense pas beaucoup à comment on sonne, on sonne comme ça nous vient. Notre son reste cohérent, je n’ai pas vraiment envie qu’il change beaucoup (rires).
Mark : dans le groupe chacun a un style assez unique, Dan (Dan Peters, le batteur, ndlr) est un batteur vraiment unique, Steve est un guitariste vraiment unique, j’ai mes imitations vocales (Steve se marre), Guy (Guy Maddison, le bassiste ndlr) est pour moi un croisement entre Jean-Jacques Burnel des Stranglers et Geezer Butler (de Black Sabbath ndlr) avec un peu de sa touche personnelle. Plus de sa touche personnelle en fait ! Et tu mets ces quatre personnes ensemble et tu obtiens…
Steve : ce que tu obtiens !
Mark : tu obtiens ce que tu obtiens ! Rien de plus… Je n’essaierai jamais de chanter comme Rob Halford (de Judas Priest ndlr) ou n’importe qui qui chante vraiment bien.
Steve : on ne va pas se préoccuper de ce qui se passe dans la pop ni même dans l’underground ou l’alternatif…
Mark : « Oh ouais ces mecs sont populaires, essayons de faire comme eux », tu raisonnes comme ça et c’est déjà trop tard, le train a quitté la gare…
Mais vous n’avez jamais essayé de refaire un morceau comme « Acetone » qui est assez unique dans votre discographie… (une “ballade” de Piece Of Cake, ndlr)
Mark : on jouait « Acetone » de temps en temps mais il y a longtemps…
Steve : il y a beaucoup d’influences qui ne ressortent pas forcément. « Acetone » était un peu folk, il y a sans doute l’influence de Townes Van Zandt sur ce morceau. Mais on fait pas mal d’expérimentations bizarres de temps en temps et généralement ça se retrouve peu dans nos concerts ou ailleurs…
Jouer unplugged ça ne vous inspire pas ?
Steve : je fais des concerts acoustiques seul mais pas avec Mudonhey. Et j’adore beaucoup de musique acoustique, Barton Caroll, un chanteur folk de Seattle, est d’ailleurs avec nous sur cette tournée.
Mark : mais nos chansons sont faites pour être entendues de la façon dont on les enregistre. Un moment pendant la période des MTV Unplugged, les gens disaient que ça permettait d’entendre à quel point les morceaux étaient bons, j’ai toujours pensé que c’était des conneries…
Steve : je ne veux pas entendre Black Sabbath jouer unplugged !
Mark : jouer « War Pigs » en acoustique…
Pas question !
Steve : ouais ce serait idiot !
Mais quand vous entendez ce que fait J Mascis ou King Buzzo (des Melvins ndlr) récemment, ça ne vous donne pas envie d’essayer quelque chose comme ça sur des albums solo ?
Mark : il (Steve) a fait des albums solo.
Steve : ouais j’ai fait des concerts avec King Buzzo sur sa tournée acoustique, d’ailleurs c’est comme s’il était branché, c’est tellement un gros son de guitare électrique ! (rires)
Il ne peut pas rester trop calme !
Mark : J Mascis aussi, il a pas mal de pédales, une pédale fuzz, un looper… Ce n’est pas complètement acoustique, il y a juste une guitare acoustique.
Steve : et de toute façon ses chansons se prêtent plus à des versions acoustiques, beaucoup d’accords simples et mélodieux, des solos de fous… Donc il peut faire ça. (rires)
« On ne sonne pas radio-friendly, on n’a donc jamais espéré devenir plus connu qu’on ne l’est… » (Steve Turner)
Beaucoup de gens pensent que vous êtes les représentants numéro un du son de Seattle, vous n’avez pourtant jamais atteint la popularité que d’autres ont connu… Vous en avez souffert à un moment ? J’ai le sentiment, des années après, que ça a été plutôt une bonne chose pour vous…
Mark : probablement… On savait depuis le début, même quand on a signé sur un major (chez Reprise Records en 1991 ndlr), qu’on avait nos limites et que notre attrait était limité car quand tu écoutes nos disques, comparé à ce qui passe à la radio…
Steve : même par rapport à d’autres groupes grunge comme Soundgarden ou Nevermind qui ont des productions très propres.
Mark : des disques très lisses (smooth)… On n’entend pas vraiment de morceaux de Bleach à la radio et c’est ce qui se rapproche le plus de notre style de production. Je crois qu’on préfère un son plus immédiat.
Steve : c’est plus sale, plus brut, c’est pas radio-friendly (rires). On n’a jamais pensé que ça pourrait vraiment arriver.
Les Stooges sont radio-friendly et vous sonnez un peu comme eux !
Mark (il me regarde pas convaincu) : vraiment ?!
Ils ont beaucoup de morceaux très connus…
Mark : ouais ce n’est vraiment pas la même chose aux Etats-Unis, et probablement au Royaume-Uni.
Arrête, Iggy est une légende !
Steve : plusieurs de ses morceaux ont été repris dans des pubs, il s’est rapproché de ça mais ça a pris 45 ans ! (rires)
Peut-être que vous aussi dans 20 ans…
Steve : dans 20 ans on aura notre pub !
Mark : je n’ai jamais entendu les Stooges sur une station de radio grand public.
Steve : WFMU
Mark : ou KEXP pourrait en passer à certaines occasions. Dans une émission spéciale… Quand Ron Asheton (ancien guitariste des Stooges ndlr) est mort, KEXP a joué Raw Power en hommage, bordel ! (Steve se marre) Il ne jouait pas de guitare, il jouait de la basse sur ce disque et la basse était sous-mixée. Quand il jouait avec les Stooges, il refusait de jouer du Raw Power car ce disque lui laissait un goût amer dans la bouche. Alors quand j’ai entendu ça, je me suis dit « oh mon dieu ! », j’étais énervé !
C’est la radio à la mode à Seattle, ils passent principalement des merdes comme Death Cab For Cutie ou des trucs dans le genre… Du rock indépendant soft, même pas indépendant « indie ». La plupart de ces groupes ne sont même pas indépendants.
Tu sais on adorerait avoir une radio comme KEXP ici…
Steve : vous pouvez au moins l’écouter en ligne (rires). J’aime WFMU, pour moi c’est la meilleure station.
Vous pensez toujours que vous n’êtes qu’une « note de bas de page » dans l’histoire du rock comme vous le disiez dans le livre Our Band Could Be Your Life (de Michael Azzerad) ?
Steve : la note s’agrandit (rires). C’est une looongue note.
Vous n’avez quand même pas si peu d’estime de vous-mêmes ?
Mark : ça dépend de quelle échelle on parle, si c’est à l’échelle du Rock’N’Roll hall of fame, on est moins qu’une note en bas de page.
Steve : il y avait une de nos guitares au Rock’N’Roll hall of fame pendant à peu près deux ans.
Mark : OK, footnote ! (rires)
Alors c’est qui le groupe le plus important de votre génération ?
Steve : je ne sais pas.
Mark : le groupe le plus important de notre génération ?
Steve : je n’ai pas d’opinion là-dessus, je ne pense pas qu’un seul d’entre eux soit vraiment important.
Mark : c’est comme un jeu de critique, je ne…
Il y en a trop…
Mark : et tout le monde aura une opinion différente.
Steve : ces groupes que j’aime, mais ils ne sont certainement pas si importants.
Mark : en fait, aucun groupe n’est important. Les gens peuvent vivre leurs vies et avoir des vies supers sans écouter aucun des groupes qu’on aime. La plupart des gens s’intéressent plus au sport qu’à la musique. J’y pensais il y a quelques années. A Seattle ils ont démoli le vieux stade et il en ont mis deux nouveaux. Et par exemple au baseball, ils remplissent ces stades de 20 000 à 30 000 personnes quasiment à chaque match et il y a probablement 50 matchs par an à domicile. Cite moi un groupe qui peut faire plus de deux soirs comme ça, comme ces putains de U2, Led Zeppelin s’ils se reforment, les Beatles tous ensemble… Les Beatles pourraient peut-être faire 5 soirs.
Nirvana aurait pu le faire à l’époque…
Steve : en l’espace de 3 à 4 mois, pas sur un an. C’est comme s’il y avait 50 concerts en 3 mois, cite un groupe qui peut remplir un stade de 20 à 30 000 personnes…
Mark : au même endroit, dans la même ville.
Steve : et ben une équipe de baseball qui n’est même pas très bonne peut faire ça ! (rires)
Vous n’avez pas choisi la bonne carrière, vous auriez dû faire du sport…
Mark : je n’étais pas très bon en sport, je ne suis pas très bon en musique non plus… (rires)
Steve : j’ai choisi le sport dont personne n’avait rien à foutre.
Mark : le skateboard ! (rires)
« Je n’ai absolument pas envie de revenir dans les années 90, je suis plus heureux maintenant que je ne l’ai jamais été » (Mark Arm)
On parlait de groupes importants… Vous avez vu le documentaire sur Kurt Cobain ? Ça ne vous intéresse pas ?
Mark : non.
Steve : je ne l’ai pas vu. Je le regarderai sûrement à un moment donné. The Montage Of Heck tu veux dire ?
Oui.
Steve : oui je le regarderai surement.
Mark : je n’ai encore jamais vu The Year Punk Broke.
Oh ! Il faut que tu le vois ! C’est un des documentaires les plus géniaux !
Mark : vraiment ?
Steve : j’ai mis du temps avant de voir Hype! (le principal documentaire sur le grunge ndlr)
Vous n’aimez pas regarder de documentaires sur la musique ?
Mark : oh si !
Mais pas sur des gens que vous connaissez ?
Steve : les trucs sur Nirvana c’est un peu plus dur pour nous. D’ailleurs je n’écouterai plus jamais Nevermind. Je l’ai beaucoup trop entendu, j’entends encore des morceaux et je ne mettrai plus jamais ce disque.
Mark : j’en parlais avec Buzz Osbourne (des Melvins, ami d’enfance de Cobain ndlr). Pour moi ce disque ne sonne pas bien, ce n’est pas le type de production que j’aime…
Steve : ça nous avait déçu quand il est sorti, parce que les démos étaient… meilleures.
Mark : brutes.
Steve : et Butch Vig s’en est chargé, il en a fait autre chose. Ces morceaux c’est comme des faces B…
Vous avez une meilleure opinion sur In Utero ?
Mark : je n’écoute pas… de disque de Nirvana (rires)
Steve : ouais je n’en écoute pas vraiment non plus.
Pardon je n’avais pas vraiment prévu de parler de Nirvana…
Steve : non, ce n’est pas un problème. J’aime beaucoup « Sliver », la batterie dingue qu’il y a dessus. Celle-là je pourrais l’écouter !
Mark : « Negative Creep ».
Steve : « Negative Creep » est géniale, il y en a plein ! Nirvana était un super groupe. C’est juste que ça a fini de façon terrible, cette tragédie…
Mark : c’est pesant pour nous.
Steve : c’est beaucoup trop pesant avec des souvenirs de merde, c’est juste brrrr.
Mark : les bons souvenirs pèsent moins lourds que les mauvais… Je crois qu’aucun de nous n’est très nostalgique, genre « oh mec la fin des années 80 – début 90 c’était la meilleure période, si seulement je pouvais revivre ça… », putain j’en n’ai absolument pas envie !
Je suis plus heureux maintenant que je ne l’ai jamais été ! C’est clair ! (rires) J’ai jamais compris les gens qui disent, à ceux qui rentrent au lycée, « profite-en maintenant ce sera la meilleure période de ta vie », je me dis « merde qu’est-ce que vous avez foutu depuis ?! ». Je regarde ces adultes et je me dis « bordel de merde ! C’est quoi ta vie ? Le lycée c’est pourri ! » (rires)
Vous devez avoir de nombreux grands souvenirs ensemble… Quel est le truc le plus bizarre que vous ayez vécu ?
Mark : le truc le plus bizarre qu’on a vécu en tant que groupe ?!
Pour être honnête, des mecs m’ont dit que vous aviez des histoires hilarantes… Je vous dirai qui, si vous en avez une bonne pour moi !
Steve : je ne sais pas, c’est quoi le truc le plus bizarre, comme une situation en tournée ou… quand t’es bourré et…
Ouais, un moment inoubliable… Un truc dingue !
Mark : oooh si tu veux revenir au début de notre carrière, j’étais souvent bourré, ma mémoire n’est pas claire (rires).
Steve : on a eu beaucoup d’aventures bizarres… On s’est beaucoup marré. En général, genre après les concerts… Quand on perd la tête collectivement.
Quand Dan s’est cassé une dent, ce soir-là c’était surréaliste ! (rires)
Mark : ouiiii c’était en 1995, on faisait ce festival bizarre avec Soundgarden, White Zombie, et pas mal d’autres groupes à chier… C’est ça, sur cette tournée ?
Steve : c’était la même année, la tournée en bus qu’on a fait en Europe avant ça.
Mark : ah oui, oui, c’est vrai. Sans doute notre première tournée en bus. On allait d’une petite ville en Allemagne à une autre, le bus était garé. Durant le trajet tout le monde avait picolé et, là, on ne sait pas pourquoi Bob, notre manager de l’époque (Bob Whittaker ndlr), qui était assez barge…
Je me rappelle avoir regardé en l’air et l’avoir vu sur le toit d’un immeuble, je ne sais pas comment il s’est retrouvé là, et il y a eu une explosion, et ce mec qu’on avait embauché pour vendre des t-shirts, s’occuper du merch… On ne le connaissait pas bien… Il ramassait des bouteilles et les balançait contre le mur. C’était une pratique étrange… Steve et moi on s’est regardé et on s’est dit « oula ça devient bizaaaarre ! ».
Steve : tout le monde agissait très bizarrement. Sauter par dessus un incendie, casser des bouteilles partout… Et il était 4 ou 5 h du matin.
Mark : ouais. Moi et Steve on est retourné dans le bus.
Steve : on faisait beaucoup ça, quand on avait des chambres d’hôtel, on s’échappait quand tout le monde devenait dingue. On avait souvent la même chambre donc on esquivait. (rires)
Mark : et le lendemain matin Dan devait trouver un dentiste car il était tombé et s’était cassé une dent (rires).
Steve : et il portait un maillot de bain une pièce de femme.
Mark : ah oui, à un moment, notre tour manager avait acheté un maillot de bain pour sa femme (ils sont tous les deux explosés de rire), Dan l’a trouvé et il l’a mis.
Steve : il s’est réveillé le lendemain et il y avait des photos terribles de lui avec son maillot de bain, avec une dent cassée…
On veut voir ces photos !
Steve : je crois qu’on en a mis une dans March To Fuzz (la compil de Mudhoney ndlr).
Mark : oui, oui, oui… J’ai pris plusieurs photos et quand je les ai développées, j’ai fait deux copies de chaque au cas où quelqu’un en voudrait et ma femme Emily a vu cette photo et l’a envoyée en lettre anonyme à la femme de Dan, Donna… (ils sont morts de rire)
Steve : Donna a répondu ?
Mark : oui, elle a dit un truc comme « merci ! »
Ça c’était une bonne histoire tordue, excellent !
Steve : oui parfois y a des trucs qui nous dépassaient, genre « oh ça y est on est devenu dingues ! »
C’est les mecs de METZ qui m’ont dit que vous leur racontiez souvent des histoires hilarantes…
Steve : on était beaucoup plus jeunes et on avait Matt Lukin (l’ancien bassiste ndlr) et Bob Whittaker avec nous. Ces deux éléments… Maintenant on aime se poser entre nous et boire un bon verre de vin.
Mark : oui, rentrer intact à la maison.
Steve : sans la moindre honte (rires)
Mark : être le moins honteux possible.
Puisqu’on parle de souvenirs, la plupart des gens ne savent pas que vous aviez été invités avec Pearl Jam à voir Bill Clinton.
Steve : c’était le lendemain du suicide de Cobain.
Mark : le lendemain de quand ils ont trouvé son corps, il était probablement mort depuis plusieurs jours.
Steve : oui j’ai zappé les détails (rires)
C’était donc LE truc à faire pour le président…
Steve : on n’a pas vu le président. Mais je me demandais pourquoi il voulait rencontrer Ed Vedder. Il n’avait rien de mieux à faire ce jour-là, dans le monde ? (Rires) On a eu une super visite guidée de la maison blanche par un mec des services secrets, c’était très intéressant. On a eu un tour spécial.
Mark : il nous a fait voir l’envers du décor, je ne sais même pas si les gens peuvent visiter la Maison Blanche aujourd’hui avec ce climat, depuis le 11 septembre… Les gens ne doivent pas franchir les périmètres de sécurité, nous avons pu en voir davantage…
Steve : où les gens n’ont pas le droit d’aller, c’était assez cool.
Mark : c’était cool ! On a vu la situation room qui est une toute petite pièce avec à peu près 12 TV. J’imagine qu’aujourd’hui il y en a beaucoup plus. Où le président rencontre ses conseillers quand quelque chose de fou se produit dans le monde, pour voir comment y faire face.
Steve : il doit y être tous les jours, en permanence maintenant (rires).
J’en reviens au groupe METZ, vous appréciez être leurs camarades de label, eux qui d’une certaine manière perpétuent le son du Sub Pop des débuts ?
Steve : ouais j’adore METZ !
Mark : pour moi METZ sonne plus comme les groupes d’Amphetamine Reptile ou Touch and Go que les débuts de Sub Pop mais ils auraient très bien pu être sur Sub Pop aussi.
Steve : ils ont été très influencés par cette période, c’est évident. Je pense aussi beaucoup par Jesus Lizard.
Mark : oui, ce genre d’influences.
Steve : sans David Yow. Ouais super groupe !
Mark : et des gens géniaux.
Vous avez d’ailleurs tourné avec eux.
Mark : oui on a fait quelques dates de temps à autre. C’est dingue comme ils tournent. Quand leur premier album est sorti, ils ont été en tournée pendant un an et demi à peu près, avec quelque chose comme deux semaines de pause. La plus longue tournée qu’on ait faite, c’est la première fois qu’on est allé en Europe et ça avait duré neuf semaines et on s’est dit « plus jamais ».
Steve : oui on est devenu dingues à la 6e semaine. On préfère ne pas dépasser six semaines. Et ce tour est d’ailleurs le plus long qu’on ait fait.
Mark : depuis que Guy fait partie du groupe.
Steve : depuis 10-15 ans et elle dure 6 semaines.
Ils m’ont dit que le secret de votre longévité c’est… le vin. C’est pour ça que vous êtes venus en France ?
Steve : en partie, on aime le vin.
Mark : oui c’est possible.
Steve : Guy aime les bonnes bières.
A propos de vin, j’ai un cadeau pour vous, je ne suis pas venu les mains vides. (Je leur offre deux bouteilles de vin rouge… Ils sont surpris et ont l’air contents !)
Vous savez à Lille, ici c’est plutôt la bière.
Mark : Guy est un snob de la bière.
Steve : et Mark un snob du vin.
Mark : je préfère le terme de geek du vin.
(Ils déballent le cadeau et sont ravis)
Mark : notre meilleure interview ! (rires)
Steve : ils ont amené du vin !
C’est pour que vous puissiez oublier les questions… Pour que ça reste un bon moment…
Les deux se marrent.
On discute un peu, je fais mon groupie, prend des photos avec eux, fais dédicacer mes vinyles et les quitte heureux !
Entretien réalisé par JL, photos du concert signées Ryad Jemaa
Un grand merci à Claire de Pias d’avoir organisé cette rencontre.
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Mudhoney @ L’aéronef (Lille), 23/05/2015
Restait à couronner cette merveilleuse journée lilloise par un concert à la hauteur de nos espérances. On ne va pas se mentir, on n’imaginait pas une seconde pouvoir être déçus par le show. On ne va pas tenter de maintenir un improbable suspense, on ne l’a pas été.
Il est des concerts où la qualité du son se doit d’être irréprochable et fait figure de condition sine qua non à une soirée réussie. Pour Mudhoney, on ne va pas dire qu’on s’en tamponne mais bien d’autres ingrédients rentrent en ligne de compte pour que tout se passe bien.
L’ingrédient numéro un, c’est l’énergie dégagée par le groupe et l’échange avec le public. Et sur ce point, les doutes ont été balayés en quelques secondes par l’introductive « Poisoned Water ». Mark Arm a sans doute été vite rassuré, on était un peu plus de 30 ce soir-là… Je ne m’aventurerai pas à dire que la salle était à guichets fermés mais il est certain que le bordel généré par les premiers rangs était bien supérieur à ce qui peut se produire devant 400 personnes apathiques. Pour tout vous dire, j’en connais même un, pourtant pas le dernier à coller des gnons dans la mêlée, qui y a laissé un morceau de lèvre et a vite été refroidi à l’idée de se joindre de nouveau à la bande de chacals en rut déchainés derrière lui.
N’en déplaise à Arm et Turner ce sont bien pogos et slams qui étaient à l’honneur ce soir, MTV a fait son œuvre et personne n’a songé à réinventer des styles de danse qui ont fait leurs preuves. Mudhoney ne s’est pas réinventé non plus mais il a jeté de gros morceaux de bidoche punk à la bande de fauves dans l’arène qui n’attendait que ça. De la bidoche qui avait d’abord pour nom « I Like It Small », un des derniers morceaux du groupe mais qui symbolise bien cet état d’esprit consistant à ne surtout jamais se prendre au sérieux. En réponse, les femmes du public pouvaient enfin hurler cela sans que leurs conjoints complexés ne puissent réellement leur en vouloir. Après tout, le leitmotiv de la soirée était le même pour tout le monde et il était d’ailleurs résumé par les paroles de Mark Arm sur « Oblivion » : « everyone wants a good time ».
Et ce n’est pas une corde cassée par ce dernier qui allait mettre tout le monde en rogne. Ni même une balance approximative. D’autant que la setlist a fait plaisir à la fois aux newbees du groupe (oui, ils auront pu se déchainer sur « Touch Me I’m Sick ») et à l’incollable qui les a vus 18 fois (oui, il aura pu s’agenouiller devant la géniale « Broken Hands »). Le quota de Superfuzz Bigmuff a évidemment été respecté mais qui s’en plaindra ? Pas nous. Ni la jeune demoiselle que je connais bien qui s’est livrée sur scène à un remake du gars qui danse (et que le monde entier envie) dans le Live At Reading de Nirvana (lui). Ça aura bien fait marrer Guy Maddison qui en a profité pour balancer du groove d’un air débonnaire sur « In ’N’ Out In Grace » (vous savez ce morceau dément ? Ba oui vous savez).
Entre temps, la collection de baffes (liste non exhausitve : « Suck You Dry », « You Got It », « Judgement, Rage, Retribution and Thyme », « Sweet Young Thing (Ain’t Sweet No More) », « I’m Now », « Here Comes Sickness ») distribuée par le quatuor qui vient de la ville où il est censé pleuvoir tout le temps, aura eu raison de notre énergie.
Et on ne vous fera pas croire qu’on en avait encore beaucoup dans les godasses à la fin des reprises de « The Money Will Roll Right In » (Fang) et de « Fix Me » (Black Flag). Comment, eux, font pour tenir le coup ? Mystère. Peut-être que déboucher notre bouteille de vin sur scène leur aura donné le surplus d’énergie nécessaire pour aller au bout de l’effort et nous laisser en ruines.
Le lendemain on avait beau compter les bleus et grimacer sur certains mouvements basiques du quotidien, on savait qu’on n’était pas prêt de regretter cette soirée, ni de laisser passer l’occaz dès que cette bande d’allumés immatures revient dans les parages.
Setlist : Poisoned Water – I Like It Small – Oblivion – You Got It – Suck You Dry – Inside Job – Get Into Yours – Broken Hands – 1995 – Where The Flavor Is – No One Has – Judgement, Rage, Retribution, and Thyme – Sweet Young Thing (Ain’t Sweet No More) – Touch Me I’m Sick – What To Do With The Neutral – I’m Now – The Final Course – You Stupid Asshole (Angry Samoans cover) – Hate The Police (The Dicks cover) – Chardonnay – The Only Son Of The Widow From Nain.
Rappel : Into The Drink – Here Comes Sickness – In ‘N’ Out Of Grace – The Money Will Roll Right In (Fang cover) – Fix Me (Black Flag cover).
JL
Photos : Ryad Jemaa
Sacrément cool ton interview, super à lire !