Interview – It It Anita

Publié par le 31 mars 2021 dans Interviews, Toutes les interviews

La musique des Liégeois ne s’embarrasse guère de faux-semblants : elle est toujours aussi instinctive, directe et jubilatoire sur Sauvé, leur quatrième album, et second à sortir chez Vicious Circle. Les deux guitaristes-chanteurs Michaël Goffard et Damien Aresta nous ont parlé de sa conception, facilitée par cette interminable crise sanitaire qui aujourd’hui empêche en revanche ces dix nouvelles bombes indie noise rock d’exploser là où It It Anita a toujours provoqué le plus de dégâts : sur scène. Le « monde d’après » n’a qu’à bien se tenir, la frustration accumulée durant ces longs mois sans tournée et ce disque conçu pour faire mal promettent des déflagrations encore plus impressionnantes.

« J’aurais du mal à enregistrer un album expérimental de A à Z, sans structure, sans moment où tu peux taper du pied ou hocher de la tête. J’ai besoin de ça. Et je trouve qu’on a encore plus simplifié les structures sur celui-ci, avec beaucoup de couplets-refrain-break. Il n’y a rien à faire, c’est une formule maintes fois appliquée et qui fonctionne. »

© Titouan Massé

Il y a eu Recorded by John Agnello (2015), puis Laurent (2018) et maintenant Sauvé. Vous êtes décidément très reconnaissants envers vos producteurs. Qu’est-ce qu’Amaury Sauvé vous a apporté de différent cette fois, et d’ailleurs pourquoi changer systématiquement ?
Michaël Goffard : Je crois que tout le monde a un peu envie de voir comment les choses se passent ailleurs. On ne connaissait pas spécialement Amaury, mais on connaissait le groupe de son frère (NdR : Quentin Sauvé du groupe screamo/post-hardcore Birds In Row). On a visité son studio (NdR : Apiary Studio) quand on est passés en tournée près de Rennes. L’endroit était sympa, on a discuté un peu. Je trouvais que ce qu’il avait fait avec Bison Bisou était vraiment chouette, aussi on s’est dit « pourquoi pas ».
Damien Aresta : Quand on lui a rendu visite à Laval, il nous a détaillé sa façon de fonctionner, il nous a expliqué qu’il aimait prendre le temps de bosser avec les groupes en préprod, etc. Il a vraiment travaillé avec nous, carrément retouché des structures, des riffs ou des breaks de batterie. Le travail était beaucoup plus poussé que ce qu’on avait pu faire avec les producteurs précédents. L’expérience a donc été très enrichissante.

Donc finalement, lui fait vraiment plus un travail de producteur que de simple ingénieur-son et s’est montré assez interventionniste.
Michaël : Pas sur tous les morceaux, certains n’ont quasiment pas bougé voire pas du tout. Mais on a travaillé plus longtemps sur le son. On venait aussi de signer pour la première fois un contrat d’artiste avec un label, ce qui a changé la donne. Je ne dirais pas que Laurent a été fait à l’arrache, mais on n’a jamais bénéficié de gros budget et toujours enregistré avec un temps compté en studio. Là, on s’est retrouvés avec des jours en trop pour le mix, ce qui ne nous était jamais arrivé. Idem pour les prises de son, on a fini plus tôt. On était vraiment plus à l’aise et beaucoup plus cool sans l’horloge qui tourne. On a pu aller au bout de ce qu’on voulait.

Vous auriez pu tomber dans l’excès inverse en vous disant : « Il nous reste quelques jours, on peut apporter d’autres retouches. Ce n’est pas parfait… » et y revenir sans cesse.
Michaël : Non, car Amaury privilégie les prises live, on a donc souvent conservé les premières. Même si elles n’étaient pas parfaites, il s’en dégageait une certaine énergie, un truc cool qui faisait que c’étaient les bonnes. On n’est pas un groupe hyper produit, et pas du tout adepte du « re-re », notre musique reste assez basique, on n’a pas passé des journées à ajouter des overdubs. Et je ne suis pas en train de critiquer ceux qui le font en disant ça… On avait aussi beaucoup répété grâce au confinement. Notre bulle, ça a été le groupe. Officiellement, on ne pouvait pas sortir de chez nous mais on s’est vus énormément, surtout avec Brian (NdR : le batteur) en mars-avril où on a joué tout le temps. Et le confinement nous a permis de faire un disque assez chouette je crois, on a pu bien plus répéter que si on avait tourné tout le temps. Amaury voulait de toute façon vraiment qu’on fasse un break, il ne voulait pas qu’on enregistre l’album entre deux semaines de tournée. Évidemment, là, on a vraiment eu tout le loisir de faire un vrai break, de ne penser qu’au disque. Maintenant on a hâte de pouvoir le jouer sur scène, et ce n’est pas possible ! Je pensais que la pause serait plus courte…

Amaury est donc moins photogénique que Laurent puisqu’il n’a pas eu droit à sa photo sur la pochette !
Michaël
 : Non mais Laval a eu droit à son château sur la pochette !

C’est donc celui près d’où vous avez enregistré ?
Michaël 
: Exactement ! Dans cette jolie petite ville qu’est Laval. La ville détestée des Français ! Mais c’était super, j’ai adoré ! On s’est aussi tous fait tatouer le château sur le bras ou ailleurs.

Ah oui, vous êtes marqués à vie par ce disque !
Michaël
 : Oui, on espère bien être citoyens d’honneur de la ville de Laval un jour ! Je ne sais pas qui est le maire mais il faut arranger ça !

Pour ce qui est de la composition, avez-vous procédé de la même manière qu’auparavant ? C’est toujours toi, Mike, qui t’en charges principalement avant que les autres apportent chacun leurs petites touches ?
Michaël 
: Oui, comme on se voyait moins à quatre, je me suis encore plus impliqué dans la composition. J’ai même écrit certains textes de A à Z. Ensemble, on a donc davantage fait tourner des morceaux déjà existants, et retravaillé certaines structures, certaines dynamiques, les montées, les descentes… Tout ce qui est presque impossible à faire seul sur une maquette, en somme.

Vu ta facilité à composer, tu n’as jamais été tenté par un projet solo ?
Michaël
 : Si, j’y pense. J’ai des trucs sur un disque dur. Je ne m’y suis jamais vraiment mis mais ça me plairait bien un jour de faire quelque chose qui n’a rien à voir de mon côté.

Sur l’album, il y a ce morceau « MOEDOH » où tu répètes en boucle « I think it’s enough for today, it gets boring I don’t wanna stay ».
Michaël : Je fais allusion au confinement et à toute cette situation. Tout l’album est vraiment très sombre. Ce n’était pas mon intention au départ, mais mon humeur a grandement été influencée par la crise sanitaire et c’est toujours le cas maintenant. Je ne veux pas être ultra pessimiste, nous sommes des adultes, on a des enfants, mais notre vie ressemble désormais au « jour de la marmotte » (NdR : jour sans fin), les journées me paraissent répétitives et ennuyeuses. Mais il faut garder de l’espoir, je ne pense pas que le secteur culturel sera celui qui va s’en relever le plus vite, mais il faudrait qu’un jour certains se rendent compte que la culture est indispensable. Autant qu’un restaurant, par exemple. Au début, les concerts ne me manquaient pas, parce qu’on avait souvent été sur la route. Mais là, je suis vraiment en manque, j’ai besoin de voir des gens qui jouent sur scène, de boire un verre avec des amis. Je suis étonné que les gens n’aient pas encore plus craqué.

“Je ne me fais pas de souci pour l’engouement. Je crois que lorsqu’on pourra ressortir, il y aura des gens partout. Ça ne durera peut-être pas mais tout le monde aura besoin de sortir et crier un peu.”

Vous connaissez le groupe Disappears, j’imagine ? Deux des membres jouent aujourd’hui dans FACS. Un de vos précédents morceaux, « User Guide », m’avait déjà fait penser à eux et c’est de nouveau le cas avec « Sermonizer »…
Michaël : C’est un groupe que j’aime vraiment beaucoup et que j’ai eu l’occasion de voir plusieurs fois en concert. J’ai connu parce que Steve Shelley jouait de la batterie sur l’album Pre Language, qui est excellent. Là, ils ont beaucoup tourné et je les ai vus dans des cafés, des endroits un peu moins glamour que ceux où se produisait Sonic Youth ! C’est un groupe vraiment doué pour jouer avec la répétition, la monotonie de la voix. Le petit gimmick de guitare dans « User Guide » était clairement un clin d’œil, tout à fait. Oui, c’est un groupe que j’aime beaucoup et qui mériterait plus de lumière.

Vous ne pourrez pas non plus couper aux comparaisons avec Sonic Youth, encore une fois. « 53 », par exemple, y fait beaucoup penser…
Michaël 
: Oui, bien sûr, on y sent l’influence de Thurston Moore. Pour moi, ce ne sont peut-être pas des modèles mais des sources d’inspiration, clairement. Ça tombe toujours aussi facilement dans l’oreille et ça reste efficace, il n’y a rien à faire. Même si le dernier album de Thurston Moore m’a surpris par moments avec des solos 70s que je trouvais très bizarres ! Mais pourquoi pas ? Il a déjà essayé de nombreuses choses…

En interview récemment, il m’expliquait qu’aux débuts de Sonic Youth, quand ils ne savaient pas jouer, faire du bruit avec des tournevis et une guitare n’était pas bien compliqué. Ce qui relevait de l’expérimentation pour eux a été ensuite de jouer des arpèges, de composer des mélodies et des morceaux plus accrocheurs. J’ai le sentiment que vous avez, vous aussi, appris à simplifier votre jeu au fil des années…
Michaël 
: Oui, mais j’ai toujours été attaché au format chanson. J’aurais du mal à enregistrer un album expérimental de A à Z, sans structure, sans moment où tu peux taper du pied ou hocher de la tête. J’ai besoin de ça. Et je trouve qu’on a encore plus simplifié les structures sur celui-ci, avec beaucoup de couplets-refrain-break. Il n’y a rien à faire, c’est une formule maintes fois appliquée et qui fonctionne. En live, intégrer des passages bruitistes peut être intéressant, mais tu en as vite fait le tour… Il faut un peu plus sur la durée, il faut des chansons ! Lorsque je compose, je pense toujours au rendu en live, c’est super important. D’où l’intérêt de pouvoir donner des concerts…

Vous étiez arrivés chez Vicious Circle un peu grâce à Lysistrata. C’est un label qui semble avoir une véritable éthique et qui s’est constitué un beau roster au fil du temps. Vous côtoyez et appréciez d’autres groupes ? Existe-t-il une espèce d’émulation, de concurrence saine ?
Michaël 
: Les seuls que j’ai croisés sont Psychotic Monks et Lysis, de très chouettes personnes. Pour le reste, il est toujours plaisant d’être sur le même label que Chokebore, par exemple.
Damien : On a surtout fréquenté la nouvelle génération de groupes Vicious Circle, donc effectivement Lysis, les Monks, et Slift aussi. Je m’occupe également d’un label/agence de booking en Belgique (NdR : Luik Music), on a beaucoup fait tourner les Monks à un moment. Et on booke toujours Slift et Lysistrata pour la Belgique, il existe donc encore un lien presque direct entre ces groupes du label et nous. Et avec certains anciens, également : on booke aussi Troy von Balthazar. La plupart des groupes français avec lesquels nous travaillons sont issus de chez Vicious. Et effectivement, c’est grâce à Lysis qu’on a rencontré Philippe, le boss du label et le courant est passé. On avait tous des accointances, des envies similaires et ça a marché.

Vous qui êtes un groupe particulièrement à l’aise sur scène et dont la réputation s’est forgée en partie grâce à vos prestations live, ne craignez-vous pas que l’engouement soit quelque peu retombé à cause de ce break forcé ? Et d’un point de vue personnel, n’avez-vous pas peur d’être rouillés ?
Damien
 : Ça c’est clair qu’on est rouillés. On a fait une ou deux sessions en live stream, c’était dur ! Par contre, je ne me fais pas de souci pour l’engouement. Je crois que lorsqu’on pourra ressortir, il y aura des gens partout. Ça ne durera peut-être pas mais tout le monde aura besoin de sortir et crier un peu. Je ne sais pas si on en bénéficiera, on verra. En tout cas, il est clair que nous ne sommes pas un groupe fait pour jouer devant des gens masqués. On l’a fait une fois à Nantes en octobre et c’était bizarre ! Pas super agréable pour nous, comme pour les gens.

En nombre très réduit donc ?
Damien
 : 100 personnes masquées.
Michaël : Sur des chaises devant nous.

Ah oui, ça marche mieux avec Troy von Balthazar, par exemple.
Michaël : Oui, c’est ça !

La vie en tournée vous manque aussi ?
Michaël 
: Oui ça me manque vraiment ! Surtout qu’on a beaucoup tourné l’an passé et le simple fait de voyager et de voir des gens fait partie intégrante de la vie de musicien. Il y a le concert, et tout ce qui se passe autour. Même si les heures de voiture sont pénibles, tout ça me manque énormément.
Damien : 2019 a été très intense parce qu’on avait commencé fin 2018 avec un nouveau booker, Jerkov, qui nous a trouvé énormément de dates, surtout en France. Je ne sais plus combien exactement, mais on a donné plus de 70 concerts sur l’année. Fin 2019, on partait souvent le mercredi pour rentrer le dimanche. C’était devenu notre rythme, donc, effectivement, passer de tout à rien a été dur. Comme Mike l’a dit, c’est bien tombé par rapport à la composition et l’enregistrement de l’album, mais il serait temps que les choses repartent.

En avez-vous profité pour écouter beaucoup de musique ? Qu’avez-vous retenu comme sorties l’an passé ?
Michaël
: J’ai récemment écouté le dernier Metz, que j’ai trouvé pas mal même si ça reste du Metz. Et des trucs classiques comme Idles… J’ai écouté plein de choses mais pas nécessairement des nouveautés.
Damien : Le Metz est vraiment bon, certains morceaux sont énormes. Sinon, ça va sembler bateau, mais je suis vraiment tombé amoureux de l’album de Fontaines D.C.

Un mot d’espoir pour cette année ?
Michaël
 : Que tout le monde reste au taquet même s’il n’est pas facile de voir la lumière au bout de ce tunnel infernal. J’espère revenir en France très vite !
Damien : Qu’on puisse se toucher et se transpirer dessus.

Interview réalisée par Jonathan Lopez

À retrouver également dans new Noise #56 (février-mars) actuellement en kiosques.

Merci à Guillaume de Vicious Circle

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