Dinosaur Jr. – Discographie (2ème partie : 1989 – 1997)
Cherchez Lou, garçons
Quand nous avions laissé Dinosaur Jr., en 1989, c’était après une tournée éreintante pour leur troisième album Bug, et sans bassiste, puisque Lou Barlow et J Mascis semblaient irréconciliables.
Pourtant, nulle envie pour Mascis et Murph de baisser les bras ; la musique est bonne, comme dirait Jean-Jacques Goldman, et le leader de Dinosaur qui commence enfin à vivre de sa musique ne se voit pas vraiment abandonner ses projets pour redevenir pompiste, le seul boulot qu’il n’ait jamais eu à côté. Il ne se voit pas non plus devenir musicien studio ou rejoindre le groupe d’un autre, comme lui aurait proposé un petit jeune de Seattle dont le groupe prend de l’ampleur, un certain Kurt Cobain. L’anecdote a été citée par Thurston Moore, alors que Mascis explique à Cobain qu’il pense à l’ex-Melvin Donna Dresch pour prendre la suite de Lou dans Dinosaur, le leader de Nirvana lui aurait sérieusement répondu “elle craint, viens plutôt nous rejoindre à la place !”
Il reste donc à trouver un nouveau bassiste, et c’est d’abord la miss qui s’y colle pour une tournée océanienne. La tournée se passe bien, musicalement et humainement, mais il manque quelque chose. À la fin, ils décident mutuellement d’en rester là.
Ensuite, vient le tour de Van Conner, bassiste des Screaming Trees. La tournée se passe bien, musicalement et humainement, mais il manque quelque chose. À la fin, ils décident mutuellement d’en rester là.
Plutôt que d’écumer l’ensemble des groupes cultes de la région de Seattle, Mascis tente une nouvelle formation avec Don Fleming en deuxième guitare et Jay Spiegel en renfort à la batterie et aux percussions, Mascis s’occupant lui-même de la basse en plus de la guitare. Cette mouture fantaisiste ne fera pas long feu mais aura quand même le temps de sortir l’excellent single “The Wagon” chez Sub Pop en 1990.
Pour expliquer ces errances, Murph se contentera de dire “on cherchait encore Lou, et évidemment on ne le trouvait pas, car il n’y a qu’un seul Lou”.
C’est à ce moment-là que J Mascis rencontre celui qui sera son alter-ego sur toute la durée des années 90 : Mike Johnson.
L’année où le punk a explosé
Au départ guitariste, surtout connu pour sa participation sur le premier album solo de son ami Mark Lanegan, Mike Johnson rencontre J par le biais d’amies communes. Et si celui-ci n’est pas réputé pour ses compétences sociales, l’accroche entre les deux est rapide et forte. Mascis, qui l’apprécie en tant que guitariste, finira par lui mettre une basse entre les mains en lui demandant de rejoindre le groupe pour la tournée de son nouvel album.
Car entre “The Wagon” et le recrutement de Mike Johnson, Dinosaur Jr a signé sur une major, Sire Records, et sorti un nouvel album; Je dis Dinosaur Jr, mais on pourrait tout aussi bien dire J Mascis tout seul. Complètement en roue libre, celui-ci teste, explore, élabore de nouveaux morceaux et s’enferme dans le studio. Murph, à peine impliqué, est prévenu des dates à la dernière minute, reçoit les lignes de batterie qu’il doit apprendre au mieux avec cette seule indication “si tu peux les apprendre, t’es sur l’album”. Résultat, le batteur n’est présent que sur quelques morceaux du disque, le reste étant joué par Mascis tout seul.
Cette volonté d’exploration, cette liberté mais aussi les hésitations qui vont avec sont bien visibles sur l’album. Green Mind ne ressemble à rien de ce que le groupe a pu faire avant, il propose un panel de composition plus variées, avec du Dinosaur Jr assez classique (“Blowing It”, “How’d You Pin That One On Me”), des rythmiques originales (“Puke + Cry”, “Muck”) et de vraies ballades (“Thumb” et “Flying Cloud”). En contre-partie, il est moins cohérent, et s’essouffle malheureusement sur la longueur. Quoi qu’il en soit, en plus de poser les bases musicales de la décennie pour le groupe, cet album est la preuve irréfutable que ceux qui reprochent à Mascis de faire toujours la même chose n’ont pas une connaissance bien poussée de sa discographie.
Dans la foulée sortent aussi différents EP et singles, proposant une petite base de morceaux supplémentaires à se mettre sous la dent, comme le tube potentiel “Whatever’s Cool With Me”, “Not You Again” et une reprise magnifique du “Quicksand” de Bowie. Dinosaur Jr n’a jamais composé des pelletées de morceaux hors album, mais ces quelques faces b valent souvent le détour.
En 1991, le punk perce. Enfin, sa version moderne, qu’on pourra appeler au choix rock alternatif, indie rock ou même grunge pour les moins regardant, et la tournée d’été réunit du beau monde avec Sonic Youth en guise de fer de lance. Cela donnera lieu au fameux documentaire 1991 : The Year Punk Broke, que vous connaissez très certainement si vous vous intéressez à cette scène. Avec les tournées, le succès public, une nouvelle formation plus stable, tout va pour le mieux.
Les années College Rock
C’est juste avant une tournée américaine gigantesque avec le festival itinérant Lollapalooza, le top de l’évènement branché à l’époque, que Dinosaur Jr sort son nouvel album, l’un de ses chefs d’oeuvre et certainement son disque le plus accessible : Where You Been. Bien lancé avec le tournant musical qu’a pris Green Mind, bien rôdé après plusieurs années à jouer de nouveau en groupe, Mascis est en grande forme pour ce qui est des compositions et le groupe est en parfaite harmonie musicale. Résultat, sur 10 morceaux, la moitié sont des tubes instantanés, l’autre moitié des tubes potentiels. On y retrouve la variété du précédent, les ballades imparables où Mascis se permet même un falsetto déroutant (“Get Me”, “Not The Same”), le tube à la rythmique originale (“Start Choppin”), celui qui s’ouvre par un putain de solo de guitare dans ta face (“Out There”), la compo punk plus classique (“On The Way”) ou la chanson dépressive à la Dino qui deviendra une marque de fabrique (ici, “Goin’ Home”).
Le succès est au rendez-vous, les tournées s’accumulent, l’argent aussi. Malheureusement, comme le dira Biggie Smalls quelques années plus tard “Mo Money, Mo Problem*”, et Murph commence à se demander pourquoi sa paye n’a pas augmenté proportionnellement aux revenus du groupe. Après une discussion téléphonique avec Mascis, il décide de quitter le groupe.
Une autre explication avancée à ce départ, c’est le sentiment de Murph de ne pas vraiment trouver sa place entre Mascis et Johnson. Il semblerait que les deux compères aient développé au fil des tournées une relation assez inhabituelle dans un groupe où les membres ont plutôt tendance à s’insulter et se détester. Le fait que Mike Johnson sera le seul à assister Mascis sur les albums à venir et tiendra son rôle de bassiste jusqu’à la fin semble le confirmer.
À peine un an après Where You Been, un nouveau disque sort. Il sera le plus vendu de leur carrière. Et pourtant, il s’agit peut-être de leur album le moins accessible. En 1994, la mort de Kurt Cobain n’a pas encore sonné le glas du rock alternatif, même si on n’en est pas loin, et ainsi Without A Sound, porté par deux singles bien foutus et diffusés sur MTV a théoriquement tous les arguments pour se vendre. En revanche, quand on y regarde de plus près, c’est assez étonnant que le succès ait été au rendez-vous sur celui-ci comparé au précédent, et il y a fort à parier que tous ceux qui ont acheté l’album à l’époque en dilettante ne l’ont pas beaucoup écouté.
Déjà, les deux singles sus-cités ouvrent l’album, et après, plus rien. Qu’on s’entende, il y a 11 morceaux sur l’album et aucun n’est à jeter, mais il n’y a rien d’aussi irrémédiablement accrocheur que ces deux titres. Il faut savoir que J Mascis a perdu son père pendant la composition de ce disque, et ça a évidemment affecté son écriture. Non pas que les albums de Dinosaur Jr étaient particulièrement joyeux, mais là c’est l’abîme sans fond. Les ballades et chansons dépressives à la Dino occupent plus de la moitié de l’album. Et l’autre oscille entre colère (“Grab It”) et désabusion (“Yeah Right”). Même les deux singles, tout accrocheurs qu’ils sont, ne sont pas vraiment joyeux : “Feel The Pain”, un des meilleurs tubes du groupe, est sans équivoque (“I feel the pain of everyone, then I feel nothing”), et si “I Don’t Think So” est d’un up-tempo sympa, elle parle quand même d’un type laissé tout seul, dévasté, et qui ne pense même pas que la personne qui l’a laissé gâche une larme pour lui. Tout cela fait que Without A Sound est un album difficile d’accès, qui donnera au départ une sensation de monotonie. Pourtant, chaque chanson prise à part est irréprochable et certaines sont même de vraies pépites à redécouvrir (“Grab It”, renforcée par les choeurs de Thalia Zedek de Come, pour les plus dynamiques, “Seemed Like The Thing To Do” et “Over Your Shoulder” pour les plus déprimantes, qui offrent une fin d’album magnifique.)
Bref, je ne peux que conseiller aux amateurs du groupe de se replonger dans ce disque, qui est souvent mal connu. On pourrait dire exactement la même chose de son successeur.
End Of The Century/Fin De Siècle
Mascis mettra trois ans à sortir un nouveau disque. Entre temps, il a laissé tomber le personnage de rock star avec canne, maquillage et chapeau de cowboy qu’il arborait pour les sessions photos et les interviews, qui se font plus rares comme l’intérêt général pour le groupe. Personnification de cette période de transition musicale, il a désormais les cheveux poivre et sel, un look plus négligé laissant apparaitre un petit embonpoint : les stars du début des années 90 vieillissent, et ne sont plus à la page. Quand il présente son nouveau disque, il entend de la part de la maison d’édition une phrase qu’il pensait être une blague “on n’entend pas de single sur ce disque.” Et en effet, en 1997, si tu veux faire du rock, il vaut mieux que ce soit joyeux et pop, si tu veux faire des trucs pessimistes, tu fais du metal ou tu mets de l’electro. Sinon, tu fais carrément de la techno. Mais du bon rock dépressif, ça, c’est sooo 1994… Avant la mort de vous savez qui. On pourrait croire que les maisons de disque ont de la merde dans les oreilles pour ne pas entendre de single ici, ou pour ne pas se rendre compte qu’ils avaient un des tous meilleurs albums de Mudhoney sous la main en entendant Tomorrow Hit Today, mais comme nous l’a récemment expliqué Corbier, les maisons de disque ne sont pas des artistes, juste des vendeurs. Et à la fin des années 90, le rock ne vend plus.
Et pourtant, comme dit plus haut, le nouvel album regorge d’excellents morceaux : “I’m Insane”, avec sa trompette piccolo est un des plus grands tubes (qui n’a pas marché) du groupe, voire du monde, et sans nul doute un de leurs meilleurs. Kevin Shields de My Bloody Valentine est aux manettes à la production, et on sent l’affinité musicale entre lui et Mascis puisqu’il offre à sa musique l’écrin qu’il lui faut, en plus de faire des choeurs avec Bilinda Butcher sur l’excellent titre où Mascis est en falsetto “I Don’t Think” et avec la fille d’Allison Anders sur la magnifique “Never Bought It”. Déjà, avec ces deux titres en ouverture, il y a de quoi faire un grand disque. Et ça ne s’arrête pas là ! Les 5 premiers titres sont un sans faute absolu, puis on sombre dans le désespoir total avec les 8 minutes d'”Alone” et sa guitare qui pleure. Les morceaux de Dinosaur Jr, c’est rarement la fête, mais celui-là c’est la dépression absolue. Une musique qui ferait passer Joy Division pour un groupe pour adolescente gothique qui se maquille en noir simplement parce qu’elle ne s’est jamais remise de la mort de son hamster il y a 3 semaines (si ce n’était pas déjà le cas). Après ça, on a droit au tristounet (mais très joli) “Sure Not Over You”, qui paraitrait presque joyeux en comparaison, puis à quelques titres bien sympa avant un “Gettin’ Rough” tout au banjo et la chanson dépressive à la Dino finale, “Gotta Know”. Bref, un excellent disque qui est un bon bilan du chemin parcouru par Mascis depuis le départ de Lou Barlow, mais qui a le gros défaut d’être paru au mauvais moment.
Hand It Over sort donc dans l’indifférence générale, au milieu de sa tournée de promotion et sans aucune autre forme de publicité : autant dire, dans un contexte d’abandon total de la part du label. Du coup, même avec la meilleure volonté (et qualité !) du monde, difficile d’en faire un succès pour un groupe qui n’a jamais été tellement calibré pour le grand public. Les fans sont toujours là, évidemment, mais pas les autres, l’album est un échec commercial anticipé, ce qui fournit au label une bonne excuse pour se débarrasser du groupe. Dans la foulée, Mascis met fin à Dinosaur Jr, l’aventure lui semblant logiquement être terminée et se consacre à un nouveau projet avec son grand pote Mike Watt : J Mascis+The Fog. Évidemment, ce projet n’est qu’un nouvel alibi pour lui laisser exprimer sa créativité, et est complètement dans la veine de son ancien groupe. Il sera également un élément fondateur dans la reformation des Stooges.
BCG
*Plus d’argent, plus de problèmes.
8 titres à retenir de la deuxième partie de la discographie du groupe