Black Bass Festival (Braud-et-Saint-Louis, 33), 23 & 24/08/2024
Vendredi 23 août
Ça ne pouvait plus durer ! Un festival qui bichonne ses festivaliers, qui pratique des tarifs hyper accessibles, qui permet de voir des groupes dans d’excellentes conditions avec un son remarquable, de n’en louper aucun, l’ensemble des groupes étant programmés en alternance sur deux scènes… Une hérésie en 2024.
En 2024, on veut des festivals avec des stands American Express, Pulco et Norauto, marcher 2 km entre chaque concert, se mettre là où on peut pour voir quelque chose et faire un selfie devant l’artiste projeté sur écran géant. La musique ? Secondaire.
La musique, les organisateurs du Black Bass Festival en sont des fondus et ils ont toujours fait passer leur passion avant de la sacrifier sur l’autel du benef. Résultat, après dix ans de bons et colossaux riffs, l’organisation Les Créatures du Marais a décidé que ce serait la der, tout en ne fermant pas la porte à une nouvelle entité. Peut-être.
Cela rendait donc cette dixième édition d’autant plus immanquable. Nous en avons toutefois manqué le premier tiers, le moins attractif sur le papier, même si entre Équipe de Foot, Clavicule ou Capsula, les bons moments ne devaient pas manquer.
Nous arrivons donc le vendredi, frais comme des gardons et remontés à bloc pour voir le duo Blackbird Hill qui nous apprend qu’il s’apprête à splitter en même temps que le festival tire sa révérence. Voilà qui est peu banal. Et un peu triste. Blackbird déroule un blues enthousiasmant, très bien maîtrisé, souvent plus heavy fricotant même parfois avec le stoner (version “pop” à la QOTSA). Malgré quelques réserves sur la voix du guitariste-chanteur, le son de sa Rickenbacker, avec bottleneck ou disto, nous rend tout chose. Le bougre nous sert en outre quelques solos pas piqués des hannetons et les compos tiennent la route, ce qui, vous en conviendrez, revêt une certaine importance en musique. On n’ira pas jusqu’à pleurer Blackbird in the dead of night mais on souhaite bon vent à ses deux membres talentueux, curieux de voir où les mènera la suite de leurs aventures.
Sans vouloir vexer We Hate You Please Die (vu leur nom, mieux vaut faire profil bas), on n’avait pas d’attentes démesurées les concernant… Et la surprise n’en fut que plus savoureuse. Le trio a sorti de bons disques mais gagne vraiment à être vu en live. Nous avons ainsi assisté à un excellent set indie punk très énergique (coup de cœur notamment pour l’excellent don’t try to play the victim), porté notamment par son excellente bassiste-chanteuse avec quelques passages noisy qui suggèrent que le groupe a dû écouter Sonic Youth quelques fois (ou alors, ce sont nous qui avons trop écouté). Au final, il suffit d’observer les nuages de poussière soulevés par la foule pour constater que We Hate You Please Die n’a suscité qu’amour et joie de vivre.
On pourrait presque formuler le même constat à propos de La Jungle (on n’attendait pas grand-chose parce qu’on n’écoute pas tant que ça leurs disques), sauf que là on savait pertinemment à quoi s’attendre puisqu’on les avait déjà vus à l’œuvre. Le duo a toujours le chic pour embarquer avec lui le public dans une forme d’hystérie avec son mélange de techno tribale et math rock transcendantal. Il est formidable de voir la lumière décliner progressivement, les têtes s’agiter, le taux d’alcoolémie grimper et le contrôle de soi se faire la malle. Une véritable implosion cérébrale. L’exaltation est à son comble sur « Couleur Calcium » de Ephemeral Beast et son inimitable (allez, je le tente) « ehbabaheybabawanabibaba ehbabaheywana ». On goûte trop rarement une telle incitation au n’importe quoi. Et ça ne se refuse pas.
Après cela, le sextette (!) de Year of No Light était attendu comme un des gros morceaux de la journée et il le fut. Superbe show particulièrement immersif, renforcé par de très beaux effets de lumière et un son impeccable. À quoi bon embaucher un chanteur quand on peut raconter tellement avec un bon vieux mur de guitares, tantôt douces, tantôt particulièrement véhémentes ? La palme revient à cet incroyable morceau qu’est « Aletheia », si puissant et beau qu’on s’en frotte les oreilles à chaque fois, peinant à y croire. À la fin du concert, le groupe salue l’un de ses guitaristes qui combat actuellement cet enfoiré de cancer. On est avec lui également.
SLIFT était déjà monstrueux en live et a totalement changé de dimension depuis son premier passage au BBF en 2018. Il est le deuxième groupe français à sortir un album chez Sub Pop (on ne vous fera pas l’injure de citer le premier) et ledit album, Ilion, a eu beau paraître en début d’année, il regarde toutes les sorties qui s’amoncellent depuis et fait non de la tête. « Non, vous ne serez pas celui qui me délogera du podium (de la première place ? Peut-être). » En live, le trio impressionne toujours autant avec une nouvelle prestation de haut vol qui tient de l’expérience. Voir SLIFT, c’est à part et unique. Le son est dantesque, les projections et ce que dégagent simplement ces trois gars-là en termes d’énergie et d’implication est un régal pour les yeux et évidemment les oreilles. Les morceaux de Ummon, faux-frère siamois et cosmique d’Ilion, le font tout autant. La fosse est en fusion, le concert se déroule sous une pluie de météorites que chacun parvient à éviter avec une grâce toute relative. On en sort indemnes et sacrément exaltés. Pas très envie de dormir après ça. Ça se paiera demain mais demain est un autre jour.
Samedi 24 août
Effectivement, on ne pète pas tout à fait le feu alors qu’il faut retourner au front mais le premier concert n’est qu’à 19h. Piano piano.
Contrairement à la veille, les groupes que nous attendons le plus passent en premier. Deux groupes belges qu’on connaît bien et que nous avions programmés par le passé (en comptant Équipe de Foot le premier jour, cela fait pas moins de trois groupes qui ont joué dans nos soirées Exit Musik for a night, confirmation qu’Exit et le BBF ne manquent pas d’atomes crochus).
Le premier d’entre eux est The Guru Guru, groupe inclassable emmené par un gratteux classe et un inénarrable chanteur en pyjama aux mimiques impayables. On ne rentre pas immédiatement dedans mais progressivement le concert prend de l’ampleur avant de décoller pour de bon. On vérifie au passage que le dernier album, bien qu’inégal, se transpose parfaitement sur scène (« In 2073 (plenty of other fish in the sea »), « St Tropez », « The Joke’s on You »). Pendant « Lemon-aid, lemon-cello (Bear Dance) », Tom (le chanteur barré) découpe son citron tranquillou et se prépare sa petite mixture pendant le morceau. Il est comme ça. Les tubes du précédent album comme « Origamiwise » demeurent imparables et une grande version du « vieux » tube « The Back Door » clôt l’affaire en beauté. Ces gars-là n’étaient pas là que pour rigoler.
Évidemment, It It Anita se situe encore un cran au-dessus (de tout le monde ? Vous m’ôtez les mots du clavier) délivrant une leçon d’intensité, de maîtrise et d’énergie. Inébranlable et sûr de sa force. Michael Goffard et son acolyte bassiste beugleur Elliott Stassen forment désormais un duo en face-à-face très bien rodé et d’une redoutable complémentarité. A l’arrière-plan, Bryan Hayart brise des buches inlassablement. Le répertoire du groupe liégeois est désormais si conséquent qu’il peut se permettre de snober presque intégralement un album monstrueux comme Laurent, sans qu’on ne trouve rien à redire (quoique, en tant qu’éternels râleurs…). Une comparse de notre joyeuse troupe a tout de même tenté une request en inscrivant le morceau « 53 » sur sa poitrine dénudée (plus simple à caler que « Don’t Bend (My Friend) », notez bien) mais rien à faire, le trio reste incorruptible et ne touchera pas à sa setlist, laquelle nous permet de mesurer, à l’image de SLIFT, tout le chemin parcouru. Vivement la signature chez Touch and Go ! Être capable de mettre tout le monde d’accord, malgré les pinaillages sur la setlist, c’est le propre des grands groupes et tant pis si c’est perçu comme « a fucking disgrace » pour les concurrents.
C’est d’ailleurs pour cela que l’on ne fera plus que papillonner d’une scène à l’autre ensuite, grignotant des bouts de concerts en se rinçant le gosier en compagnie dudit trio (vous avez donc la preuve que la dithyrambe qui précède n’est que l’expression d’un copinage éhonté). Et alors que l’on devise sur le cours du yen et discutons à bâtons rompus de la situation géopolitique dans le monde, 1000 Mods prouve aux médisants (que nous sommes) que tout se ressemble un peu dans le stoner et que tout (ou presque) est du sous-Kyuss. Oui c’est cruel. Mais le monde est ainsi.
On n’aura pas beaucoup plus de mots sympas pour Johnny Mafia qui, pour être honnête, ne m’a enthousiasmé que le temps d’un premier album rafraichissant avant de devenir plus prévisible et quelconque, alors même que sa cote grimpait en flèche. Mais, comme ça, en fond sonore, c’est tout sauf déplaisant. Johnny Sympa.
L’immense honneur de clôturer dix ans de folle aventure est réservé à Mars Red Sky, parmi les régionaux de l’étape qui ont fait du chemin. Cela m’aurait arrangé mais difficile de reprendre là mes propos diffamatoires sur 1000 Mods puisque MRS se démarque davantage de la masse stoner, notamment en raison du chant singulier de Julien Pras. Ça plaît ou pas mais à en juger l’enthousiasme du public, on dirait que ça plaît bien. En règle générale, si vous aimez Alice In Chains, vous pouvez a minima adhérer en partie à Mars Red Sky. Et si vous n’aimez pas Alice In Chains, je me demande bien ce que vous foutez sur ce site et vous prie de déguerpir derechef. Mars Red Sky, en bons professionnels du riff de plomb, a fait le boulot et fait honneur à l’équipe du BBF, invitant plusieurs membres à investir la scène pour jouer en sa compagnie à la fin du show. Très beau moment, amplement mérité pour ceux qui œuvrent depuis des années à rendre cet événement marquant, et qui repartiront avec ce souvenir indélébile, parmi des tas d’autres. Un immense merci à eux, une fois encore.
Il paraît que toutes les bonnes choses ont une fin. Celle-ci fait quand même bien chier et ne rassure guère quant à l’avenir de la musique live et des festivals indépendants. On pleurait TINALS, on pleure désormais le BBF et on prie pour que, demain, d’autres passionnés prennent le relais. Comptez sur nous pour répondre présents.
Texte et photos : Jonathan Lopez