Black Bass Festival (Braud-et-Saint-Louis, 33), 25 et 26/08/23
Un très gros festival se déroulait, paraît-il, du côté de St Cloud le dernier week-end d’août. Il y en avait surtout un infiniment plus petit en Gironde. Et c’est celui qu’on a choisi. Un choix qui s’est révélé brillant, incontestablement.*
Commençons par un coup de gueule tout de même : cette année, le prix pour le pass deux jours au Black Bass Festival a augmenté de cinq euros pour s’élever au montant astronomique de 30 euros. 30 euros, bordel ! Un sixième de Rock en Seine. Proprement scandaleux.
Avant d’attaquer les choses sérieuses, on se doit également de remercier deux bienfaiteurs qui souhaitent conserver l’anonymat, et que nous appellerons AB et LR (comme son parti politique préféré). Sans eux, j’aurais fait des allers-retours en stop et j’y serais peut-être encore.
Dès l’entrée (rapide), on s’équipe de nécessaires jetons pour s’abreuver et se nourrir. Important. 12 secondes plus tard, commence le premier groupe, Fragile. Plus résistant qu’il ne le prétend, Fragile joue une musique que nous qualifierons d’agressive, ce qui convient bien aux bourrins que nous sommes. Je me situe à droite d’un t-shirt d’Oxbow (oui, le groupe) bleu. Pour votre information. On rentre dedans tranquillement, le son me laisse un peu circonspect au départ, je m’étonne par exemple d’entendre parfois plus la basse que les deux guitares mais cela semble s’améliorer au fil du set. On reconnait Félix Sourice, troisième guitariste de LANE, ici à la batterie (et fils de Pierre-Yves, bassiste des Thugs… et de LANE). À moitié convaincu sur disque, je le suis davantage sur scène. L’énergie juvénile fait du bien, on se situe parfois proche du hardcore, le côté mélo peut avoir raison de ma patience mais force est de constater que plus le concert avance, plus les compos semblent solides (à moins que ce soient mes oreilles qui s’habituent) pour finir sur une note globalement positive.
C’est ce moment que j’ai choisi pour écrire d’affligeantes banalités : que ça fait du bien de passer du temps dans un festival à taille humaine, organisé par des (et rempli de) passionnés, d’enchainer les groupes sans avoir à choisir entre huit scènes différentes à 800 mètres l’une de l’autre (et devoir effectuer des choix cornéliens). Et on a parfois la fort agréable (bien que fausse) impression que tous ces jeunes gens qui déambulent à nos côtés pourraient être nos potes. Surtout le gars avec le t-shirt d’Oxbow ou celui qui arbore le Pork Soda de Primus, si je devais choisir.
C’est donc sur la scène d’en face, la petite, que se déroule le concert suivant. On y retrouve un groupe qu’on connait bien, dont on a déjà parlé, dont on possède les albums et qu’on a même déjà vu en concert : les Parisiens de Fátima et leur grunge/doom/stoner sauce orientale. Des sonorités orientales qui font la singularité du groupe et qu’on apprécie grandement. Ce qu’on apprécie beaucoup moins, ce sont ces putains de moustiques, bien présents dans les marais (ils en ont même fait le logo du festival, ah les salauds). Le dernier album, Fossil, au T-Rex vénère est majoritairement représenté évidemment, et sans surprise les tueries que sont « Turks Fruit » et « Mongolo Bill » remportent les suffrages. Le trio est redoutable et livre une prestation très solide, bien emmené par un batteur particulièrement au taquet, et propulsé par ces cris qui déchirent les cieux. On ferme les yeux, on voit Kurt. C’est rigolo. Et un peu triste. Mais on est heureux.
On enchaine avec un concert très attendu et rare, celui d’Arthur Satàn, sans ses comparses de J.C. mais toujours avec sa flasque de Jack. C’est qu’il se porte bien. D’humeur particulièrement badine, Arthur s’excuse à moitié tout le concert, s’étonne de nous voir tenir plus de deux morceaux, devant sa pop sophistiquée, loin il est vrai des concerts chaotiques de ses habituels (et ex ?) comparses satanistes. Guitariste formidable, compositeur hors pair, Arthur se prend parfois pour Neil Young et s’éclate. Nous aussi. Il remerciera d’ailleurs Neil de l’autoriser à faire ça (comprendre, à pomper ses morceaux) et nous traite de nazes d’être restés si longtemps devant des solos ringards. C’est mal nous connaitre et oublier un peu vite que son premier album « solo », très 60s, nous avait bien éclatés. Un morceau comme « Free », déjà très chouette sur disque, prend une dimension supplémentaire en laissant libre cours aux envies d’Arthur et de son band (appelons-le comme ça, ça en jette) pendant que vole devant lui une capote gonflée propulsée par un public fort enthousiaste, et joueur. Ah, ces jeunes…
Vient ensuite un trio punk féminin méconnu mais pour lequel notre a priori était des plus positifs. Qu’y a-t-il de plus cool qu’un trio punk féminin, finalement ? Facile : un trio punk féminin et féministe, très riot grrrl version 2020’s. Ces jeunes femmes très énervées se font appeler Lambrini Girls et c’est peu dire qu’elles ont secoué tout le monde. On osera à peine leur reprocher une propension, un rien vicieuse, à solliciter mes articulations de quasi-vieillard (« allez tout le monde s’assied », « tout le monde se sépare, à gauche et à droite, et rentrez vous donc dans le chou gaiement ! »). Mais elles sont joueuses et on a bien joué. Une prestation survoltée, très physique, engagée et au final extrêmement revigorante. La chanteuse a même tenté une improbable grimpette à un arbre, entre deux brûlots, seize pogos et trois coups de gueule (dans ta face JK Rowling et ton esprit étriqué). La bassiste demande à ce public un peu foufou et vraisemblablement pas hyper bilingue, un peu plus d’attention pour faire passer son message – on ne se rappelle plus de celui-ci en particulier mais globalement l’idée est de dézinguer un peu tout le monde (ceux qui ne sont pas très LGBT-friendly sont priés de dégager). Bref, des filles bien. On n’écouterait pas Lambrini Girls tous les jours sur disque mais si elles repassent en concert demain, j’y cours.
Trois bières plus tard, on constate avec une joie non dissimulée (voire très expressive) que le festival nous passe un petit Wipers, entre deux concerts. Si ça, c’est pas la classe. +12 pour le BBF.
Et avec tout ça, il est déjà minuit et on a rendez-vous avec des Ricains (non, parce que Rendez-Vous, les vrais, c’est demain. Humour de qualité). Lesdits Ricains répondent au nom de Cave In. C’est tout de même un petit miracle de les voir ici, on ne boude donc pas notre plaisir. Je fais partie des 8 % du public dont l’album préféré du groupe est l’avant-dernier, le merveilleux Final Transmission, mais savais pertinemment que je n’aurais droit à aucun titre de celui-ci, s’agissant de l’album hommage à son bassiste disparu, Caleb Scofield. J’ai toutefois eu l’occasion de réviser mon Heavy Pendulum avant de venir et de revoir assez nettement à la hausse mon jugement préalable un peu sévère. Oui, il est toujours trop long mais contient de sacrées tueries. Vous arrivez à la fin de cet interminable préambule et vous demandez donc ce que ça a donné. C’est bien simple : Cave In déboule, déploie son gros son dans nos gueules, affiche son professionnalisme à toute épreuve et calme tout le monde. Boston, man! Une machine de guerre. A contrario, tout semble réfléchi, il n’y a guère de place à l’improvisation ou à la blagounette (ah, il y a un monde avec les Lambrini Girls) mais Dieu que ça arrache ! C’est un métier. À la batterie, John-Robert Conners drive brillamment tout ce petit monde. Les vieilleries ressortent rarement du placard (deux morceaux de Jupiter à noter toutefois). Délicieuse surprise, Cave In joue… « Cave-In », le morceau de Codeine ! Joli renvoi d’ascenseur à la formation mythique de slowcore qui lui a inspiré son nom. Et étonnamment, ce fabuleux morceau ne dénote pas vraiment du reste du set, globalement bien plus énervé. Le refrain un peu gros sabots de « New Reality » n’a jamais été mon préféré et ne l’est pas devenu mais la puissance est assez implacable, on retrouve également quelques morceaux évoquant franchement le grunge béni d’antan (« Heavy Pendulum » notamment), sans négliger une facette plus aérienne, quasi space rock. Le game est définitivement plié par la sublime « Blinded by a Blaze ». Je crois que c’est ce qui s’appelle prendre une leçon.
C’est marrant, dans l’euphorie du moment, on ne se rend pas trop compte de ce qu’on se met dans le cornet. Le lendemain, notre corps (et notre crâne) se chargent de nous le rappeler. La vieillesse est un naufrage. C’est donc semi-groggy qu’on arrive sur site sur les coups de 18 heures, avec une motivation moindre, l’affiche étant – il faut bien le dire – moins alléchante que la veille.
Clavicule nous remet tout de suite dans le droit chemin. Grosse énergie, l’ombre de Neil plane toujours sur « Do It », tubesque à souhait, avec son intro so « Rockin’ in the Free World » (on vous a grillés, les gars. Mi, Mi, Mi, ré, sol… Moi aussi, je l’ai apprise). Les gars connaissent six accords chacun et c’est absolument parfait comme ça. Même s’il tente de nous faire croire le contraire avec son superbe t-shirt de chien loup pour fans de Johnny, le chanteur-gratteux a fort bon goût musicalement. Et même l’apparition remarquée de cette taquine de pluie ne nous gâchera pas le plaisir. Je ne suis pas à 200 % dedans, mais au moins à 88 % (la vieillesse, tout ça). Et eux compensent. Et confirment que leur premier album, Full of Joy, est excellent. On aurait d’ailleurs aimé l’évoquer mais on n’a pas pris le temps de le faire. Parce que bon, je suis humain, je ne peux pas consacrer tout mon temps à ce site à la con. Seulement 77 % (ça commence à faire beaucoup de pourcentages, vous ne trouvez pas ?). Clavicule peut rappeler un peu Johnny Mafia par moments, mais en moins gonflant (j’aimais bien le premier, j’admets mais depuis ça coince). Clavicule termine EN TROMBE avec échange batterie, gratte à la clé. Bigre ils ont la pêche ces gamins.
Chez Stuffed Foxes, on n’y va pas avec le dos de la cuillère. On y va à quatre grattes. Encore des jeunots, plus dans le registre intellos que Clavicule. Présenté par un grand connaisseur en introduction comme un groupe « chou gaz » (tout est dans la prononciation), Stuffed Foxes se range plutôt entre post rock/post punk/rock expérimental/noise/krautrock. Bref, il ne se range pas. On devine toutefois aisément que ces jeunes gens ont beaucoup écouté Sonic Youth, ce qui est toujours une bonne idée (tout jeune groupe a intérêt à bouffer du SY jusqu’à l’indigestion). Et peut-être un peu Slint, Mogwai, voire… et merde, laissons-les tranquille. Claviers et basse nous invitent à suivre l’autoroute motorik alors que les grattes dissonantes s’amusent à pervertir le tout en un bon bordel comme on l’aime. Et ce ne sont pas les quelques soucis de son rencontrés qui suffiront à ternir le bilan. S’ils n’ont pas encore la présence et ne proposent pas une « expérience unique » en live comme les Psychotic Monks (avec qui ils partagent nombre d’atomes crochus), les renards en peluche font mieux que se défendre et, comme on l’a déjà souligné sur disque, on va les garder bien à l’œil dans les prochaines années. Preuve ultime de bon goût, le groupe ose une reprise (réussie) de « Ghost Rider » de Suicide en fin de show.
Trop occupé à discutailler avec le monsieur à la tête de ce festival (discussion que vous retrouverez… un jour… dans un autre format), je n’entends que quelques bribes du concert de Sasquatch. Groupe stoner qui ne semble pas figurer en première division de sa catégorie mais a visiblement conquis bon nombre de festivaliers. On ne pourra pas en dire autant de Demob Happy, groupe qui ne me disait rien qui vaille et une oreille lointaine (tout en farfouillant dans les bacs d’un disquaire local) a suffi pour confirmer la sale impression.
Rendez-Vous qui clôture le festival n’est pas franchement le groupe le plus attendu (pas par moi, du moins) et ne bénéficie pas de la cote de popularité d’un Cave In mais d’une réputation live solide. Petit joueur, Rendez-Vous n’a que trois guitares sur scène. La seconde partie du set sera bien plus enthousiasmante que la première, le post punk sautillant du groupe, presque indus par moments, finissant par convaincre nos pauvres guiboles usées qu’il faut se faire violence une dernière fois. Nos mirettes seront récompensées par des effets de lumière sublimes en fin de show, dignes d’un spectacle de la dimension de The Cure (le morceau allant avec, évoquant également fortement la formation légendaire de Robert Smith).
Comme on pouvait s’y attendre, le premier jour se sera révélé plus riche en grands moments mais c’est malgré tout un formidable week-end de musique que nous a offert le Black Bass Festival (POUR 30 EUROS, GUEULONS ENCORE UN BON COUP !), totalement à la hauteur en termes d’organisation, et il nous tarde de savoir ce qu’il nous réserve pour l’an prochain quand il s’agira de fêter ses dix ans d’existence.
Jonathan Lopez
*Merci tout de même à Rock en Seine pour la barre de rire avec ce remplacement wtf de Florence and the Machine par Cypress Hill. De nombreux fans en émoi ont peut être découvert avec effroi ce qu’est la musique.