5 chansons, 5 disques par Emboe
On avait déjà taillé le bout de gras avec Emmanuel Boeuf lorsqu’il officiait encore parmi feu Sons of Frida. Aujourd’hui Sons of Frida n’est plus mais Emmanuel Boeuf est toujours plus qu’actif au sein de ses nombreux projets. Et il reste un immense passionné de musique devant l’éternel. Bref, le monsieur avait le profil idéal pour une interview 5 chansons, 5 disques.
1 – Mirinda (Sons Of Frida – Tortuga – 2013)
On commence par du vieux… Je crois que c’est mon morceau préféré que vous ayez fait. Déjà il y a cette trompette qui je trouve apporte un vrai plus, c’est venu comment cette inspiration ?
Cette histoire de trompette est venue très naturellement dès le départ. En fait, Ben le guitariste et chanteur a fait de la trompette au conservatoire. 10 ans de trompette, un truc comme ça. Même sur notre premier album y a de la trompette. Sur tous, en fait. Un jour il nous a dit : « J’ai fait 10 ans de trompette au conservatoire, ça m’a soulé… », on lui a répondu : « Tiens, ramène ta trompette ! ». Et puis, ouais sur « Mirinda », la trompette est fantastique. Ça fait vachement bien. On avait un processus de composition qui était plus sur de l’improvisation, moi j’avais trouvé cet espèce de riff qui est là constamment sur tout le long du morceau. Ben jouait aussi de la guitare, il savait pas trop quoi faire. On continuait pendant un quart d’heure, et puis Ben sort la trompette et commence à jouer ça.
Oui, donc tu me dis que c’était là au départ mais vous n’aviez pas imaginé dès le début d’inclure de la trompette sur le morceau ?
Non, au début on était là, deux guitares, une basse, une batterie. On chante, on joue et un morceau, il savait pas quoi faire, il a pris la trompette et c’est parti. Il a trouvé les quatre lignes et c’était cool.
Puisqu’on est sur Sons Of Frida, on peut parler d’un RIP forever ou il y a un potentiel retour envisageable…
Ah toi t’as vu l’annonce sur Facebook.
Oui, j’ai vu passer un truc qui m’a intrigué.
Oui, il y a une rumeur. Mais il n’y aura pas de reformation, y a Clément le bassiste qui est parti en Suède. S’il devait y avoir une reformation, ce serait de la dernière version de Sons Of Frida donc avec Clément à la basse, sinon ça n’aurait aucun intérêt. On y a pensé mais ça va pas être jouable. Mais on a pas mal de matière encore pour sortir des choses.
Ah oui, donc pas de reformation mais de nouvelles sorties.
Voilà. On va faire un peu comme Sonic Youth, on a beaucoup de matière donc on peut sortir quelques trucs encore…
Genre les Spinhead Sessions ultra chiantes ? (Rires)
Je pense que ce sera un peu mieux quand même. On a fait attention à ça. (Rires)
Je ne sais pas si tu as des regrets vis-à-vis de ce groupe mais j’ai le sentiment que la musique que tu jouais sur Sons Of Frida c’est aussi un des sons qui te ressemblent le plus, toi en tant que gros fan de Sonic Youth. Ces sons de gratte ultra saturés, dissonants… C’est là où tu t’es senti le plus à l’aise ?
C’est ma manière de jouer qui est assez naturelle. J’ai appris à jouer avec Sonic Youth en écoutant les disques, en jouant dessus, etc. Sans réellement apprendre les accords ou prendre des cours. Je n’ai jamais pris de cours de guitare, c’est venu de façon naturelle, les trucs dissonants, je mets mes doigts quelque part pour faire un son, je fais jamais vraiment d’accords. A part pour rigoler à faire des reprises. Donc c’est vraiment naturel avec Sons Of Frida, y a d’autres groupes où ma façon de jouer l’était moins.
Disons que là ça s’intégrait bien dans le type de sons de Sons Of Frida.
Oui ça s’intégrait bien, avec le jeu de guitare de Ben aussi. Le jeu de Clément. Le batteur c’est pareil il n’a jamais pris de cours, on avait vraiment un truc qui sonnait bien ensemble, avec des mecs qui n’avaient jamais pris de cours.
C’est ça le secret, comme Sonic Youth, des mecs qui savent pas jouer !
Ba ouais, tu testes, moi je fais tout à l’oreille et si je trouve que ça sonne bien tant mieux, mais après si tu me dis « c’est un mi, un ré »… Je suis incapable de le faire, je sais pas ce que c’est. Je saurais le faire mais tu me dis « fais un mi », je sais pas où c’est.
2 – Ultrasonic Scream (Sons Of Frida/Rome Buyce Night – Orchestra – 2012)
Là on est justement dans un rock plus progressif, très réfléchi, avec un côté expérimental. C’était une vraie confrontation ? J’ai le sentiment que c’est vraiment deux univers qui se mélangent.
Ça c’est à cause de Rome Buyce Night le côté progressif.
Et eux doivent avoir une approche vraiment différente.
Rome Buyce Night effectivement, tous leurs albums c’est de l’improvisation. Ils ont vraiment un côté psychédélique et progressif. Nous, plus un côté bourrin, rentre dedans, etc. Et au départ de ce disque, on voulait faire un split. Ni l’un ni l’autre n’avait les moyens de faire un disque donc on voulait faire deux morceaux de chaque groupe. Et à un moment, on s’est dit « et si on jouait tous ensemble. » Donc c’est ce qu’on a fait. On a fait 3 répètes. On a enregistré ce disque et ce qui était intéressant c’est qu’ils sont en totale improvisation et nous on ne l’était pas. Donc effectivement il y avait ce côté progressif qui vient d’eux, et nous on s’est collé un peu à ça. Et il y a d’autres morceaux où c’est eux qui se sont collés à nous. Y a des trucs plus bourrins, plus bruts et plus chansons. Donc on avait vraiment l’impression de former un vrai groupe. C’est pas Rome Buyce Night d’un côté et Sons Of Frida de l’autre. C’est pour ça qu’on l’a appelé Orchestra, on était 7 personnes à former un groupe. Et c’était très intéressant à faire.
Et vous, vous avez appris une nouvelle façon de composer ? Le fait d’aller plus loin dans l’expérimentation ça a pu te servir et influencer ton jeu par la suite ?
Non, ça ne nous a pas vraiment influencés dans le sens où on est déjà dans l’improvisation au niveau de la composition. Après effectivement, une fois écrit, on va s’arrêter là, ne plus bouger. Rome Buyce Night, leurs morceaux bougeaient tout le temps. Leurs morceaux sur album n’avaient plus rien à voir en concert. Il y avait deux, trois riffs que tu reconnais et après, ils allaient partir en live. Alors que nous on a toujours été plus format chansons. Il y avait une chanson sur l’album, c’était la même en concert. Donc ça ne nous a pas vraiment influencés mais c’était vraiment très plaisant. Et très intéressant quand même de voir les techniques des autres. Et puis on est amis à la base donc on s’est vraiment bien marrés.
Et au chant, c’est Jérôme Orsoni qu’on retrouvera plus tard sur Dernière Transmission, c’est ça ?
Oui c’est lui. Peut-être les prémices…
3 – Cold Clown (Emboe – Aléa – 2016)
Le premier morceau du dernier album. Ça m’a vachement surpris la première fois que je l’ai écouté, on pourrait peiner à croire que c’est toi qui l’a composé. D’où t’est venue cette volonté de partir dans un trip électro ? Un concours de circonstances ou toi tu t’es forcé à te dire « faut que je parte dans ces directions-là » ?
Effectivement, ça en a étonné voire choqué plus d’un. C’était voulu mais pas de cette façon-là. J’avais enregistré un album l’année dernière et j’étais en mix sur cet album et ça a pris énormément de temps car ni l’ingé son ni moi n’avions le temps de nous occuper du mix. Je me suis dit « en attendant je vais sortir un truc tous les jours », une improvisation… Plutôt que de tout brancher, c’est soulant, je me suis dit « j’ai plein de logiciels sur mon ordinateur, je vais voir comment ça marche ». Donc j’ai tout allumé, j’ai fait des trucs. J’ai sorti un morceau par jour pendant environ deux semaines, vraiment de l’impro en electro.
Tu les sortais où du coup ?
Sur mon bandcamp. Au jour le jour, je les postais sur les réseaux sociaux, etc. Le but c’était de pas réfléchir à ce que j’allais faire. J’allumais, je balançais des trucs, je voyais ce que ça donnait. Si ça me plaisait, je le postais, sinon non. Y avait pas de sortie programmée comme pour un album. Et 15 jours après je reçois un mail de Christophe d’Atypeek Music. Il me dit « j’ai entendu tes titres d’Aléa, ça me plait bien, j’aimerais bien les sortir sur disque ». Là je dis « ouais mais non, je veux pas les sortir sur disque, c’est en attendant un vrai album. » Je lui explique le procédé, que je postais des trucs comme ça et que sur disque ça me parait difficile d’avoir ce procédé-là. Donc on en a discuté, et il m’a proposé au lieu de sortir un album complet, de sortir 4 EP, chaque fin de mois, avec 3 morceaux sur chaque disque.
Ça veut dire que t’en avais potentiellement le double ou le triple ?
Non j’avais rien du tout. Je l’ai prévenu, je lui ai dit « écoute là j’ai rien ». J’ai trois morceaux que j’ai postés…
Ah oui c’était vraiment au tout début du process.
Voilà. Je lui ai dit vouloir continuer mon truc, « je rentre chez moi, j’ai envie de faire de la musique, je le fais, si ça me plait je le poste et je te l’envoie. Si ça me plait pas, je t’envoie rien. » Il m’a dit « ok on fait comme ça. Et après pour garder le procédé, on sort un truc tous les mois. »
Donc les trois que t’avais déjà c’est ceux qui se retrouvent sur le premier volume.
Oui. Il est chronologique.
OK. Pas de réflexion sur la tracklist.
Aucune. Je voulais aucune réflexion, ça sort comme ça, je réfléchis pas.
Et quand tu t’es lancé dans ce projet, t’as eu une démarche complètement autodidacte avec les sons électro ? Tu découvrais les logiciels en temps réel ?
Complètement, tout ce qui est sampler, synthés, j’ai totalement découvert. Un peu comme avec la guitare quand je me suis lancé.
Oui, sauf que t’as pas dû sortir tes trois premiers morceaux composés à la gratte, ça doit être plus douloureux. (Rires)
Non, même pas sur une k7, je les ai pas gardés. (Rires) Mais c’était exactement le même procédé. J’ai eu un choc avec Nirvana, j’ai demandé à mon « reup » une guitare, une disto, chorus et c’est parti. Là j’ai fait exactement pareil avec mes logiciels de musique.
C’est quoi le logiciel de prédilection avec lequel tu bosses ?
J’en ai utilisé pas mal. Sur Fruity Loops ça a été les instruments virtuels. Un petit peu Arp 2000, différents synthés. Des logiciels de samples aussi.
Oui, y a pas mal de samples vocaux aussi.
Y a énormément de samples vocaux. D’ailleurs on reconnait pas mais y a du Beyoncé. (Rires) Beaucoup de samples, beaucoup de synthés et apprendre à maitriser les boites à rythme aussi. Sur Emboe y a jamais eu de boites à rythmes. Là y en a quasiment partout. Voilà j’ai essayé de maitriser ça, et je pense qu’il y a de bons trucs qui sont sortis.
Oui, carrément. Mais t’as eu un coup de main quand même dessus, ou c’est juste de l’autoprod ? Parce que moi quand je l’écoutes dans l’iPod, le son est assez surpuissant quand je passe d’un autre disque à celui-là !
C’est pas moi qui ai fait le mastering, j’ai pas décidé de quoi que ce soit, c’est Atypeek Music qui l’a fait masteriser par Nicolas Dick.
Et t’as le sentiment qu’il a complètement transformé le truc ?
Non il l’a enrobé, bien grossi. J’ai trouvé ça bien. Il m’a envoyé 2 ou 3 versions de mastering et j’ai choisi celle-là parce que je suis pas rappeur, mais j’adore le rap, et je voulais un truc avec les infrabasses à mort et il a fait le truc, j’ai dit « ouais trop bien. Ça donne envie de vomir c’est génial ! » (Rires)
4 – Diamonds (Dirty Karaoke Mix) (Emboe – The Covers EP – 2015)
Je me dis que si je la place là on va ptet éviter de l’avoir dans tes albums sélectionnés. (Rires) J’imagine que t’en as fait beaucoup des reprises de Rihanna tout seul dans ta chambre. Ça a dû te faire bien tripper que l’une d’elles se retrouve sur un disque officiel estampillé Emboe, aux côtés de Sonic Youth, aussi improbable que ça puisse paraitre.
Oui, j’ai compris ça mais c’est celle qui a le plus marché. C’est passé en rotation lourde à la radio, la totale…
Oui c’est ça la vraie histoire. Tu l’as juste posté initialement en ligne et on t’a contacté.
Oui, c’était un dimanche, j’avais bu quelques bières. Ma copine déteste Rihanna donc j’aime bien l’emmerder avec ça. Je fais des reprises de Rihanna à côté d’elle quand elle regarde la télé… Le vrai relou ! Je fais ça, je l’enregistre sur mon téléphone et je la poste sur Facebook. Et là, plein de likes. Et, un peu comme pour Aléa, je reçois un mail d’une radio belge qui me dit « j’aime beaucoup ta reprise, est-ce que tu pourrais nous faire une version un peu plus propre. On aimerait vraiment la passer tous les jours pendant trois mois. » Là tu fais « ouaah » et comme d’hab je dis ouais à tout. Donc je lui dis « le temps de le faire, je te la file dans une semaine ». donc je m’étais dit « je vais faire une belle version, guitare acoustique, piano, etc. ».
Au secours ! (Rires)
Oui, voilà. Donc je finis toutes mes pistes, il y a plus qu’à le mixer et je l’envoie. Et là j’allume la télé et je vois une pub pour Sony. Reprise de « Diamonds », exactement ce que j’avais fait, sauf que le mec chantait bien. Donc là je me dis « merde, je suis grillé sur ce coup-là. »
En plus t’espérais le vendre à Sony, plan marketing qui tombe à l’eau…
Exactement ! Donc je me dis « tant pis on va faire du Emboe ». J’ai ressorti les guitares électriques, les Bigmuff, les delay, tous les trucs et j’ai fait – d’après les chroniques – une espèce de version shoegaze, noise. Et je suis un peu content parce que y en a pas mal, dont toi, qui déteste Rihanna et qui adore cette version.
Ah oui, moi j’ai adoré ! Heureusement que tu as vu cette pub Sony.
Oui, j’aurais eu l’air con sinon.
Et la radio en question a pas eu une sale surprise ? Eux qui voulaient un truc plus propret ?
Non ça leur a plu.
Pour situer, c’est quel type de radio, genre le RTL2 belge ?
Non, c’est comme une émission indé, y a pas du Christophe Mahé…
Ah ok, t’as pas touché 30 000€ pour ça alors.
Non, non. Pas loin de 0. (Rires)
Mais tu es une star en Belgique ! Et toi qui a une haute estime de Rihanna, t’oserais lui faire écouter ? Tu trouves ça bien en-dessous de l’originale ou t’es quand même content de ce que t’en as fait ?
Non je suis content de ce que j’en ai fait. C’est dur de parler de ce qu’on fait. Je la trouve intéressante. Je crois que c’est toi qui soumettait l’idée de lui présenter le morceau et d’en discuter (dans la chronique, ndr). Ça aurait été sympa. J’aime beaucoup ma version et la sienne. Elle est mieux que ce que je voulais faire au départ. Y a ce côté Emboe qui est là, du larsen, de la disto…
5 – Stries de France (Dernière Transmission – Dernière Transmission -2016)
J’aime bien ce projet, d’autant que j’ai l’impression qu’il mélange pas mal d’influences que t’affectionnes particulièrement, y a un côté spoken word, de l’électro, un peu cold wave, noisy… C’est les différentes personnalités de chacun qui ont donné ce melting pot un peu bizarre ?
Oui, un peu. On voulait faire un album, que moi et Jérome. On avait commencé les enregistrements. C’est Guillaume qui nous enregistrait. Et on a fait deux, trois sessions et on trouvait qu’il manquait quelque chose. Et il nous dit « j’ai une ou deux boite à rythmes » donc on lui dit « oui, pourquoi pas, amène ta boite à rythmes. On verra ce que ça donne. » Après on s’est dit « Guillaume, il a plein de synthés aussi. » donc on lui a dit « amène tout et viens jouer. » On s’est retrouvés deux mois après en studios, on a appuyé sur rec et tout est parti d’un coup. L’album de Dernière Transmission c’est vraiment de l’improvisation. Ce qu’il y a sur la K7 c’est deux ou trois prises maximum. Guillaume qui est bassiste chez Rome Buyce Night s’est mis sur les synthés, boite à rythmes etc. Il a fait tous ses trucs. Jérôme a lu ses textes. Moi je me suis retrouvé avec ça je me suis dit « ça sonne vachement new wave c’est cool. Je peux peut-être faire autre chose que du bordel avec ma guitare ».
Oui, on a l’impression que t’es un peu plus en retrait, que tu distribues de temps en temps des notes cristallines. C’est ton côté Robert Smith qui ressort là, plus que Thurston Moore !
C’est exactement ça ! Je commence à entendre les boites à rythme et les trucs, j’ai direct eu le côté guitare new wave, comme tu dis notes cristallines avec de la reverb, du delay. Sur le premier morceau, « Stries de France », je me suis dit : « Ouaah je vais jouer sur ce type de morceau, c’est la première fois ! » En plus j’adore les groupes comme ça, The Cure, Echo & The Bunnymen, j’adore ces sons de guitare. Donc hop la disto elle dégage, je vais faire que de la reverb. Et effectivement je me suis vraiment éclaté à jouer de cette façon-là avec des arpèges, des petites notes. Et même sur le dernier morceau, je crois que je fais un solo de 4 ou 5 minutes, première fois que je fais ça ! J’ai vraiment adoré. Niveau guitare, j’avoue j’ai une petite passion pour The Edge (U2) aussi qui est, je trouve, un très bon guitariste. J’ai pensé : « Ouais je vais faire du The Edge, ça va être génial ! » (Rires) C’est vrai, j’aime ça. Avec Dernière Transmission, j’ai réussi à faire ça, j’ai jamais pu le faire avec Sons Of Frida ou Emboe. Là je me suis dit : « Je vais jouer autrement. » Ce qui a été très intéressant avec ce groupe c’est le côté nouveau, aucun de nous trois n’avait jamais fait ça. J’ai jamais joué sans disto avec des petites notes, des arpèges, Jérôme a jamais vraiment chanté et Guillaume est bassiste. Là c’est la première fois qu’il joue avec ses synthés, sa boite à rythmes. J’ai trouvé ça super. Et c’est aussi la première fois que ça m’arrive de réussir à sortir des morceaux tout de suite. On est arrivés, on a tout branché, on a joué, c’est sorti comme ça. On a tous les trois été très étonnés. D’habitude dans un groupe tu peux mettre des mois voire des années à composer un morceau.
Et Jérôme pour le coup est vachement en avant. Les textes de « Stries De France » par exemple, ils existaient déjà ? Je sais qu’il écrit à côté.
Il les écrit pour Dernière Transmission. Pas pour ses livres ou les notes qu’il veut faire. Il nous donne les textes, quand on enregistre, quand on joue, on a les textes. On essaie de faire par rapport aux paragraphes.
Et sur la vraie signification des paroles, vous vous penchez vraiment dessus ? J’ai essayé de comprendre pour ce morceau par exemple, c’est pas toujours très évident.
Je t’avouerais que j’ai pas essayé de tout comprendre. Je trouve ça très joli, je les trouve très belles à l’écoute. Après je ne connais pas le sens profond. Faudrait lui demander à lui, il a la vraie signification.
Il vous les donne pas pour relecture, savoir si vous êtes en phase avec lui ?
Non, on lui dit non ou oui. Je trouve ça très beau mais effectivement je ne sais pas ce que ça veut dire. (Rires)
Il y a pas un message caché un peu craignos ? Faites gaffe quand même !
Avec Jérôme sûrement (rires). Je vais ptet les relire.
1/ U2 – War (1983)
Sorti en 1983. J’avais 11 ans. Les disques que j’ai pris c’est pas forcément des disques qui m’ont influencés. C’est surtout des disques qui m’ont marqué.
Des disques que t’écoutes encore ? La question vaut surtout pour celui-là.
Non j’écoute plus. Ça a fortement vieilli. Mais c’est un disque qui m’a énormément marqué dans ma vie. L’histoire de ce disque c’est tout simple, mon père était fan de musique et il avait enregistré le US Festival de 1983 qui passait en pleine nuit. Et il se matait ça un dimanche. Je suis passé et il me glisse : « Tiens regarde, y a un petit groupe qui a l’air sympa. C’est cool, le mec grimpe partout, il crie, c’est vachement bien. »
C’était pourtant pas inconnu à l’époque. « Un petit groupe qui a l’air sympa ».
Non, non. Mais moi à 11 ans… Et mon père c’était un hardos, Black Sabbath, Led Zeppelin… Donc U2 je suis pas sûr qu’il en avait entendu parler à l’époque.
Ah oui, donc il découvrait.
Oui je pense qu’il en avait rien à foutre de U2. Et j’ai vu ce mec-là qui grimpe partout, gueule dans un micro. Je suis resté là-dessus et c’est le premier groupe dont j’étais réellement fan. J’ai découvert ça, direct j’ai demandé à mon père qu’il m’achète ce disque-là. D’ailleurs il est d’époque, comme tu peux le voir (il me le tend). Donc ouais j’étais un putain de fan jusqu’à Achtung Baby. Pendant 10 ans c’était que U2, le reste j’en avais rien à foutre. Donc ce disque-là m’a vraiment marqué. Je te parlais de The Edge tout à l’heure, je trouve franchement que c’est un excellent guitariste, même si techniquement il est pas génial mais au niveau du son, de la façon de jouer, je trouve que c’est une bête.
Et Bono, l’évolution du groupe, aujourd’hui tu peux plus ?
Ah non, plus rien. Aujourd’hui c’est terminé.
Même celui-là tu l’as plus ou moins enterré ?
C’est difficile à écouter parce que c’est très vieux et ça a fortement vieilli. Et aujourd’hui U2 pour moi c’est une caricature, ça fait plus de vingt ans que j’écoute plus. Tout ça grâce, ou à cause, de Nirvana. Ils ont débarqué : « ciao tout le monde, U2, Simple Minds, cassez-vous ! Maintenant je suis grunge » (Rires)
2/ Sonic Youth – Dirty (1992)
Je disais tout à l’heure que j’ai pris des disques qui m’ont marqué mais pas forcément influencé, celui-là c’est les deux. Je l’ai découvert suite à une interview de Kurt Cobain à l’époque. Dirty c’est un disque fantastique, t’as des purs fans un peu cons qui vont dire « ouais cet album, c’est déjà la fin… ». T’as des titres comme « 100% », « Swimsuit Issue », ça défonce tout. J’ai commencé à jouer par dessus, à voir comment ils faisaient… J’ai réussi je sais plus comment à voir le matos qu’ils avaient. J’ai vu qu’ils avaient des Big Muff, je me suis dit : « putain je vais m’en acheter une direct ! ». Donc voilà Dirty c’est vraiment un album qui m’a énormément marqué.
Et c’est vraiment celui-là que t’as écouté en premier ?
C’est le tout premier, oui. Au début j’aimais pas des masses, à part 3-4 titres que je trouvais géniaux (« Sugar Kane », « 100% », « Youth Against Fascism », « Chapel Hill »). Et je m’attendais à entendre un peu du Nirvana. Et effectivement c’est pas le cas. Au début j’ai eu du mal, première, deuxième écoute. Et quand je me suis vraiment remis dessus, j’ai trouvé ça juste génial. De là est parti ma passion pour Sonic Youth.
T’as tout remonté depuis le début…
J’ai tout remonté depuis le début et après j’ai suivi. J’ai dû les voir 20 fois en concert. Et puis aujourd’hui ils sont toujours là pour moi.
Dirty, ça reste ton sommet de Sonic Youth ? Au-delà de la dimension affective forcément.
J’arrive à faire la différence entre l’affectif et « le sommet ». Pour moi effectivement, au niveau affectif c’est Dirty parce que c’est avec celui-là que j’ai découvert. Comme U2 avec War. Mais pour moi le meilleur c’est Washing Machine. Mon disque vraiment fétiche de Sonic Youth, toutes les compos sont excellentes, l’album est excellent, la pochette aussi. Pour moi c’est le must de Sonic Youth.
Et du coup ce coffret de Dirty que tu as, il est particulièrement indispensable ? Vu qu’ils sont tous réédités à des prix assez exorbitants…
Il y a quatre vinyles, donc t’as tout l’album et les faces B des singles…
Et des trucs pas particulièrement indispensables j’imagine ?
Non t’as des versions démos, des faces B, après quand t’as les singles ça sert à rien d’avoir ça, à part pour moi. (Rires) La meilleure réédition de Sonic Youth pour moi c’est Goo, parce que t’as des démos de Goo, qu’ils avaient sorti eux sous le manteau avant la sortie officielle de l’album, parce que Geffen en avait pas voulu. Mais le coffret Dirty il est bien quand même, c’est un Sonic Youth !
3 – Dead Can Dance – The Serpent’s Egg (1988)
Pareil, j’ai découvert ce groupe avec ce disque. Une copine au lycée m’avait fait une K7. Premier morceau, « The Host Of Seraphim », la voix de Lisa Gerrard et direct à genoux. J’ai trouvé ça vraiment génial. Ce disque a énormément compté pour moi sentimentalement et affectivement. Et vraiment ce disque sera là toute ma vie.
Comme le reste de la discographie ou celui-là est vraiment à part ?
Je le classe au-dessus par rapport à des évènements personnels qui m’ont bien touchés et ce disque y est particulièrement associé.
Je suis pas un expert de Dead Can Dance, à chaque fois que j’ai essayé ce côté médiéval, église me rebute un peu…
Celui-là est pas très médiéval. Mais je comprends qu’il faut rentrer dedans. J’avais été les voir à la reformation et j’avais vraiment adoré, j’en ai pleuré. Sur « The Host Of Seraphim » j’ai littéralement pleuré. Mes copains de Dernière Transmission y étaient aussi et on n’était pas au même endroit. On s’est retrouvés après le concert et ils m’ont dit « c’était chiaaant ! », je leur ai dit « mais vous êtes fous », encore les yeux tous rougis de larmes.
Mais c’est vraiment un mélange médiéval, un peu de world, vraiment plein de trucs faut essayer de rentrer dedans. Peut-être qu’aujourd’hui en 2017, c’est moins idéal pour découvrir. Mais effectivement fin 80, moi j’adorais ça, j’étais un peu gothique, new wave, machin. Et Dead Can Dance, obligé ! Je te conseille de l’écouter, y a vraiment cette tristesse absolue, pour moi c’est le meilleur.
Et ce groupe t’a permis de découvrir d’autres groupes un peu liés, d’une scène assez proche ?
Oui via Dead Can Dance, j’ai découvert d’autres groupes. Bel Canto, Bauhaus en même temps. C’est ma copine qui m’avait fait une K7 avec tous ces groupes-là, Sisters Of Mercy, les pontes de la new wave quoi. Mais j’ai découvert plein de choses grâce à Dead Can Dance. Après je me suis renseigné un peu, j’ai fouiné. Beaucoup de new wave pendant les années 80.
Comme beaucoup. Mais je connais aussi beaucoup d’anti new wave. C’est pas toujours compatible avec les fans de grunge, noise, etc.
Oui. Mais les fans de noise sont très fermés.
C’est un peu l’opposition larsens vs synthés genre : « Fais ton choix ! »
Moi le choix je l’ai fait, c’est les deux. Et donc ce disque restera toute ma vie. Par rapport à U2, je le réécoute régulièrement.
4 – Public Enemy – Fear of a Black Planet (1990)
Tu l’as découvert à l’époque ou après coup ? Parce que quand t’aimes le hip hop, on te dit que Public Enemy est indispensable.
Tu connais mon âge ? J’ai un peu plus de 40 ans… Ce disque est sorti en 1990, donc pareil une autre copine de lycée m’avait mis dans le rap, elle m’a fait découvrir Ice-T, Ice Cube, NWA, etc. Et Public Enemy. Le premier morceau que j’ai entendu c’était « Brothers Gonna Work It Out », je me suis dit « waaah c’est ouf c’est ultra violent, y en a partout, c’est le bordel total, c’est génial ! » Ça c’est leur 3e, après j’ai acheté le 2e, le 1er, le 4e, 5e, 6e, 7e, 8e, 9e…
Ah oui tu les as pas lâchés comme ça !
J’ai jamais lâché Public Enemy, même si aujourd’hui ils sont vieux, un peu plus cool, etc. Mais le message est toujours là. Grâce à eux, j’ai découvert plein de choses, Ice-T, Body Count, tous les trucs de rap fin 80, début 90 dont j’avais jamais entendu parler. Des mecs comme Big L, et je suis un gros gros fan de rap. La moitié de ma discographie c’est du rap quasiment. Cette nana-là m’a fait découvrir ça et 2 milliards de groupes de rap, au début j’étais un peu hermétique à tout ça, c’était U2, plein de trucs. Je la remercierai jamais assez de ma vie pour m’avoir fait découvrir tout ça.
Et déjà à l’époque, tu t’intéressais au contenu ? T’essayais de comprendre ? Parce que Public Enemy, on fait difficilement plus politisé qu’eux.
J’ai essayé de comprendre après avoir vu un reportage. C’était la première fois qu’ils jouaient en France. C’était au Zénith, et y avait plus de CRS dans la salle que de public. Et effectivement quand t’es en seconde, tu sais pas parler anglais.
Mais ça peut motiver à être plus assidu et plus intéressé par les cours d’anglais !
Exactement ! Quand tu l’ouvres, t’as toutes les paroles. Et tu te dis « ah ouais, ils disent pas que des conneries, c’est des chauds, ils sont vachement biens. » Et après NWA, Ice Cube… Pour moi c’est des dieux. Comme Thurston Moore peut être un Dieu.
En plus Chuck D a collaboré avec Sonic Youth…
Oui, effectivement. On peut faire la relation avec Sonic Youth puisqu’il est sur « Kool Thing ». Bref Public Enemy est un groupe qui m’a vraiment marqué même s’ils ne m’ont sans doute pas influencés.
Quoique maintenant que tu cherches des samples…
Ouais finalement, quoique, avec Aléa.
Tu pourras ptet en mettre sur le volume 5.
Ce sera pas un volume 5 mais une version deluxe avec une trentaine de titres.
Ah oui ! Avec Chuck D en featuring donc.
J’adorerais ! Je l’ai en pote sur Facebook, je vais lui demander (rires).
5 – Faith No More – Angel Dust (1992)
Pareil, ça m’a tué la première fois que je l’ai entendu. C’est aussi mon père qui m’a fait découvrir. Il avait ramené la K7 du Live At Brixton où j’ai vu Patton, je me suis dit : « C’est quoi ce truc ? ». Pareil, je suis resté bouche bée. J’ai vu la K7 six mois avant cet album et j’ai kiffé grave, donc j’ai acheté l’album direct. Et là je reconnais pas Faith No More. Parce que la différence entre le Live At Brixton, The Real Thing et celui-là au niveau de la voix de Patton est énorme. Y a un boulot de dingue. Quand je l’ai acheté, je l’ai mis, j’ai trouvé que c’était un album de fou. Complètement schizophrène. J’arrive à comprendre maintenant les gens qui disent « je déteste Faith No More » après avoir écouté Angel Dust.
Ça a peut-être vieilli.
Je trouve pas que ça a vieilli mais je comprends parce que ça part dans tous les sens, c’est complètement taré. Limite ultra malsain. Quand tu prends les titres « Crack Hitler » suivi de « Jizzlober », les deux titres ensemble pour quelqu’un qui est pas habitué, il va péter un cable. Donc ouais Faith No More, ce groupe m’a mis un coup. Et depuis ils sont toujours là aussi.
Oui, même si t’as pas aimé la reformation !
Non ça va. L’album est bien. C’est pas comme les nouveaux Dinosaur Jr. que je trouve géniaux, il est bien mais j’ai pas besoin de l’écouter tout le temps, j’ai pas retenu un morceau en particulier.
Alors que celui-là tu l’écoutes tout le temps.
Oui ! Mais à part War, qu’il fallait que je mette parce qu’il a vraiment compté, tous les autres je les écoute tout le temps. Et Faith No More c’est vraiment un groupe qui m’a bien marqué.
Et celui-là a pas été détrôné par King For A Day ou un autre ?
King For A Day est pas mal. (Rires) Mais là aussi c’est affectif, c’est le premier que j’ai acheté.
Et en plus y a des synthés ! (Rires) Ils ont allié ton côté bourrin et 80s. Et hip hop ! C’est un peu le condensé des quatre !
(Rires) Et même cette pochette, vraiment magnifique ! Pour l’histoire en fait, au départ je crois qu’ils voulaient vraiment appeler l’album « Crack Hitler » et le label a refusé. Ils ont dit : « Non, non, ça c’est invendable ». Après ils ont vraiment insisté pour Angel Dust, je crois que c’est la cocaïne, le label était pas très chaud mais c’est passé…
Oui ça passe quand même plus inaperçu que « Crack Hitler ».
Oui ça c’est quitte ou double. Donc ouais Faith No More, encore un groupe qui m’a énormément marqué. Et effectivement, pas de Cure, de Joy Division, de Deftones, j’en ai parlé deux milliards de fois. Là je voulais vraiment une sélection de disques qui m’ont marqué sans pour autant m’influencer.
Rihanna aurait pu être là aussi !
Oui, vraiment j’aime Rihanna, c’est pas une blague. J’ai quand même acheté un coffret à 200 balles. (Rires) Donc ouais Faith No More, un grand disque pour la vie.
Entretien réalisé par JL