Faith No More – Angel Dust

Publié par le 26 décembre 2013 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

(Slash, 8 juin 1992)

Commençons par une évidence qu’il n’est pas inutile de rappeler. Pour Faith No More, il y a clairement un avant et un après Mike Patton. Quand, après deux albums, le groupe décide de dégager Mosley pour « comportement imprévisible » en 1988, il ne sait pas encore qu’il va réaliser le casse du siècle en allant dénicher Mike Patton, chanteur de Mr Bungle.
Si les deux premiers albums (We Care A Lot en 1985 et Introduce Yourself en 1987) étaient des plus honorables, les trois suivants, propulsés par le génie de Patton sont carrément des monuments. Des monuments qui vont, fort logiquement, permettre au groupe de rencontrer succès critique et commercial.

The Real Thing (1989) cartonne dans les bacs grâce notamment au grandiose single « Epic », bombardé à longueur de journée par la chaîne qui fait la pluie et le beau temps du rock, j’ai nommé MTV. Faith No More part ensuite en tournée en première partie des Guns’N Roses et, au lieu de s’agenouiller devant les icônes du hard rock, leur pourrit la vie bien comme il faut, Patton n’hésitant pas à lancer devant 50 000 fans des Guns à Vincennes un cinglant « allez, on vous laisse vous faire chier pendant deux bonnes heures. » Ce genre de sortie plutôt couillue illustre une chose fondamentale apportée par Patton : un amour pour la déconne et la provoc’ qui permet de faire retomber la tension lors des longues et épuisantes tournées (alors que Mosley n’était parfois pas loin de s’entretuer avec les autres membres). Autres exemples montrant l’étendue de la connerie sans limites de Patton : son annonce au Roskilde Festival en 90 que Sinead O’Connor baise avec Lenny Kravitz dans la tente VIP… ou encore quand il donne l’adresse de Mike Bordin (le batteur) à 90 000 personnes !

En embauchant pareil chtarbé, les autres membres devaient se douter qu’il y avait une part de risque. Mais l’apport du nouveau chanteur sur le plan musical fut si important qu’ils n’ont pas dû regretter leur choix. Avec Angel Dust le groupe poursuit son évolution et se lâche pour de bon.

Sur le titre d’ouverture « Land Of Sunshine », la basse de Bill Gould est toujours aux avant-postes distillant un groove du tonnerre et les claviers sont omniprésents mais on est déjà en plein délire. Patton jongle avec les mots, change de débit tout au long de la chanson, dialogue avec lui-même, monte crescendo, lance des rires diaboliques… Le FNM Circus est en tournée.
L’aigrette pure et innocente de la pochette est trompeuse. Cet album n’est pas d’un calme reposant. Pas uniquement du moins, c’est juste une de ses nombreuses facettes. Il n’est donc pas étonnant de voir au dos de la pochette des animaux morts pendus à des crocs de boucher. Ce contraste saisissant est à l’image du contenu du disque qui varie les atmosphères avec une aisance bluffante. Même quand ça bourrine sec, on nous réserve des breaks surréalistes comme si on se retrouvait d’un coup dans un monde merveilleux, en pleine hallu (« Malpractice »).

L’équilibre du disque est idéal. L’improbable devient la norme. Ainsi, le violent et inquiétant (« Caffeine ») côtoie le crooner piano-bar (la géniale « RV »). Aux coups de pied au cul (« Smaller and Smaller ») se mêlent ballade jouissive (« Easy »*). Oui, une ballade jouissive. Une reprise des Commodores, déjà fallait oser la tenter. Et ce morceau sans jamais sembler se prendre au sérieux, sublime l’original et nous donne l’irrépressible envie de sortir les briquets et d’entonner les paroles à tue-tête en même temps que tonton Mike avant de tout lâcher sur le solo. Pur génie.

On a le sentiment que Mike Patton a fait comprendre à tout ce beau monde qu’il n’y avait absolument aucune limite à se fixer. Le groupe ose et réussit tout ce qu’il entreprend, même ce qui sur le papier aurait pu paraître inconcevable. L’orgue démoniaque suivi de claviers et basses funky, enchainé par un mec qui beugle (vous savez qui) et conclut sur le refrain par des mioches qui chantent comme des nazes. Décrit comme ça, ça donne envie de chialer tellement ça sonne minable. C’est pourtant géant et ça s’appelle « Be Aggressive ». Tellement brillant que Marilyn Manson pompera totalement le délire du refrain mioche sur  « mOBSCENE ».
Et quand Faith No More joue des titres plus “classiques” dans la veine du précédent The Real Thing, il ne se plante pas non plus mais fait mouche à tous les coups grâce à une force mélodique évidente (les tubesques « Kindergarten » et « Midlife Crisis », tout bonnement fantastiques).

À un moment donné, on ne pense même plus à qui joue quoi dans le groupe. D’ailleurs en étudiant la chose de près, on n’a sans doute jamais entendu un groupe assimilé au hard rock/métal dont le guitariste se montre aussi discret. On a simplement l’impression d’un gigantesque orchestre déjanté avec un chef qui drive le tout avec maestria (« A Small Victory » et son intro orientalisante). On ne sait pas ce que c’est, ça ne ressemble à rien d’autre, juste du Faith No More visiblement. Les mecs ont inventé leur style. La journaliste Ira Robbins décrivait « A Small Victory » comme « un morceau qui semble passer de Madame Butterfly à Metallica avec un petit détour par Nile Rodgers et révèle une facilité de développement en combinant des éléments improbables dans une élaboration originale et surprenante. » Pas mieux, ma bonne dame. On pourrait en dire de même de l’incroyable « Crack Hitler ».
Il y a de quoi se paumer dans ce foutoir musical mais le plus stupéfiant dans tout ça, c’est que ça reste parfaitement cohérent. Ne me demandez pas pourquoi, (ré)écoutez-le vous verrez bien. Les titres s’enchainent avec bonheur sans le moindre signe d’essoufflement. Les albums suivants (King For A Day et à un degré moindre Album of the Year) consacreront définitivement Faith No More comme un des plus grands groupes des années 90 et Mike Patton parmi les chanteurs les plus doués toutes générations confondues (pas sûr qu’il en existe un seul au monde doté d’un registre aussi large).

Nombreux sont les groupes qui maîtrisent totalement leur domaine de prédilection, ne s’en éloignent jamais vraiment mais le font tellement bien que ça suffit amplement à notre bonheur. Avec Faith No More, on ne sait jamais sur quoi on va tomber, on est dans l’effet de surprise permanent. On attend désormais une dernière belle surprise de la part du groupe : une reformation en bonne et due forme avec un nouvel album à la clé.

Jonathan Lopez

*Ce morceau fut rajouté ultérieurement en titre bonus. Donc si vous venez de vous acheter Angel Dust et qu’« Easy » n’y figure pas… vous pouvez avoir sacrément les glandes !

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2 Commentaires

  1. Mike Bordin (le batteux, pas le gratteux!) 🙂

    • C’est bien vrai ! On corrige ça.. Merci

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