Thurston Moore – By The Fire
Sonic Youth n’existe plus depuis 2011 et pourtant, on n’aura jamais autant parlé de ses membres depuis un an. J’en viendrais presque à me demander si ce split n’est pas une bénédiction pour tout les fans du groupe. Et oui ! Kim Gordon a publié un album solo excellent (No Home Record), et elle a été très active dans la campagne de Bernie Sanders pour la présidentielle américaine. Lee Ranaldo s’est associé à l’espagnol Raul Refree pour un album plutôt étonnant, Names Of North End Women. Et voici donc que Thurston Moore déboule avec son petit dernier, By The Fire, toujours accompagné à la batterie du fidèle Steve Shelley, de Deb Googe (ex-My Bloody Valentine, à la basse), de James Sedwards, Jon Leidecker et Radieux Radio sur la plupart des lyrics. Son 6e album solo, le 4e depuis la fin de la jeunesse sonique, soit le rythme de croisière habituel de feu mes new-yorkais préférés. Déjà, saluons la longévité du fringant Thurston, 62 ans au compteur, toujours pas rassasié d’expériences musicales !
Avant de commencer l’écoute, j’ai pu constater, manie de geek oblige avant chaque découverte, que le tracklisting présente 4 titres (sur 9) qui dépassent allègrement la dizaine de minutes. Aucune garantie évidemment sur la qualité des titres pour un artiste lambda, mais un bon indice quand même quand le guitariste en chef se prénomme Thurston Moore. Ça va triturer de la Jazzmaster. Ce qui reste troublant et intéressant à la fois, c’est de voir comment et à quel point Thurston Moore s’éloigne (ou pas) de l’ombre de Sonic Youth sur ce nouveau disque. Kim Gordon et Lee Ranaldo ont clairement proposé un pas de côté sur leurs derniers efforts solo, et pas un projet passéiste de vieux briscard en mal d’inspiration. Thurston Moore a déjà prouvé qu’il n’était pas à une surprise près (son album solo acoustique Trees Outside The Academy) ou qu’il pouvait carrément approcher les cimes côtoyées par son ancien groupe (ah ce « Grace Lake » sur The Best Day !). Alors ?
Dès « Hashish » en ouverture, on se retrouve en terrain connu. Tellement familier (flagrant dès le début du chant) que ça nous renvoie illico au « Sunday » de A Thousand Leaves, soit un très bon single sur un très bon album de Sonic Youth. Y’a pire pour ouvrir un album ! « Cantaloupe », le titre le plus court, et sa rythmique rugueuse nous rappelle aussi vaguement les 90’s (« Sugar Kane » ?), mais la surprise est de taille quand un pur solo 70’s sort de nulle part ! Wow ! Bonne entame donc et fan service spécial jeunesse sonique sur ces deux premiers titres envoyés en éclaireurs avant la sortie du disque. Les presque 11 minutes de « Breath » vont élever encore le niveau, pour un des 4 gros titres de l’album. Intro élégante qui n’aurait pas fait tâche sur Daydream Nation, puis ça s’anime sérieusement, les guitares sprintent derrière la batterie. Couplet sur une ligne de basse entêtante, ça groove, puis ça divague tranquille, et retour des guitares cavaleuses. Et puisque c’est bon, on refait un tour ! Plus la minute d’outro noisy pour emballer le tout ! En fait, ça passe vite 11 minutes. Ca tombe bien puisque les 12 minutes de « Siren » sont déjà là. La patte mélodique est intacte, ce son si particulier, presque intemporel, sans fioritures ou effets tapageurs. Les guitares s’entremêlent délicatement et après 4 minutes sereines, l’ambiance change et se fait plus tendue, on traverse un petit tunnel vaguement noisy et Thurston Moore chantonne quelques paroles aux alentours de la 9e minute alors que les guitares s’estompent comme une nuit d’été qui tombe doucement… C’est beau. On doit avoir un gros sourire qui nous barre le visage. Le début d’album est impeccable et il s’en dégage presque un sentiment joyeux, en tout cas une forme d’apaisement bienvenue. « Calligraphy » porte bien son nom et fait tout autant de bien. C’est de l’artisanat bien soigné, c’est mélodique, et le contraste est saisissant avec le titre suivant, le plus long (17 minutes !), « Locomotives », qui s’ouvre sur une ambiance très « drone » que n’auraient pas renié les canadiens de Godspeed You! Black Emperor, eux aussi adeptes des trains. Bon là, le temps parait un peu long (presque 9 minutes !), surtout que je viens de terminer la chronique anniversaire de Washing Machine, avec « The Diamond Sea » qui est clairement d’un autre niveau dans le genre trip noisy. Au milieu du morceau, Thurston Moore revient pour un petit tour de chant avant un nouveau passage noisy assez désagréable. Aïe ! Les 4 dernières minutes sont heureusement plus convaincantes et frondeuses, avec une belle guitare lead sur le climax qu’on n’attendait plus. On a frôlé le déraillement. Le constat sera tout aussi brutal pour l’instrumental conclusif, qui malgré ses 14 minutes, ne fera pas monter la note finale. J’ai encore la tête dans cette satanée machine à laver et « Venus » n’a pas grand-chose à offrir pour me convaincre. Elle est même plutôt inquiétante dans ce (long) tunnel noisy aux guitares soufflant un vent mauvais, avec une (très) brève éclaircie en fin d’ondée. Sur ce coup-là, Thurston, c’était mieux avant. Ça lorgne sérieusement vers l’expérimental le plus abstrait, c’est maîtrisé mais pas palpitant. Et on a lancé l’alerte enlèvement pour la mélodie, portée disparue. Globalement, la deuxième partie de l’album est moins inspirée malgré le tranquille « Dreamers Work » et l’étrange love song de 8 minutes « They Believe In Love (When They Look At You) », ses fragments d’électronique (?), ses guitares carillonnantes et son final abrupt. Assez inattendu et presque à contre-courant de l’ambiance sereine du début de l’album.
Et là, je repense au tracklisting de l’album que j’avais consulté avant l’écoute. Sur les 4 titres dépassant la dizaine de minutes, deux sortent clairement du lot (« Breath » et « Siren »), les deux autres mériteraient un petit coup de ciseaux (#jedisçajedisrien). Le reste de l’album est solide, lumineux, et apaisant, ce qui m’a agréablement surpris. Il nous rappelle quelques bons souvenirs, sans que ça tourne au revival pour autant. Thurston Moore nous avait habitués à allonger ses compositions en solo, on n’est pas surpris, et sa patte mélodique est toujours diabolique. Moins sanguin (mais il peut encore griffer), il divague tranquillement sur le chemin, pas pressé, sans contraintes, en père peinard, toujours pas rangé des guitares. Sonic Coooooool…
Sonicdragao