Sonic Youth – Washing Machine

Publié par le 25 septembre 2020 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

(DGC, 26 septembre 1995)

Hasard du calendrier, on fête les 25 ans du Washing Machine de Sonic Youth le lendemain de la sortie d’un nouvel album solo de Thurston Moore (#devinezquilechronique). Idéal pour se rappeler que ce groupe fut bien plus que la somme de ces brillantes individualités. Au-delà d’une carrière au long cours exemplaire, chaque album du quatuor mérite (toujours) que l’on s’y attarde.

Après une première partie de 90’s glorieuse, portée par le souffle de l’explosion du rock indé US dans la sphère mainstream, Sonic Youth est au sommet de sa popularité. Le contrat chez Geffen, Goo et surtout Dirty l’ont porté à un niveau que même la triplette magique EvolSisterDaydream Nation n’avait pu atteindre en termes de vente. Mais les new-yorkais se foutent de la notoriété comme de leurs premières jam noisy. Alors que l’énergie de Dirty, pas étrangère à la proximité du groupe avec Nirvana, était « lissée » par Butch Vig, efficace à la production, le groupe a changé d’approche dès l’album suivant Experimental Jet Set, Trash and No Star (#lemalaimé), avec toujours le même Butch Vig, mais pour un résultat bien différent, presque lo-fi. Après un break bienvenu où chacun aura vaqué à ses projets solos et autres collaborations, Sonic Youth s’est aussi refait une santé. Et commence un nouveau cycle créatif avec cette machine à noiser hypnotique qui va renouer avec leur goût pour les digressions les plus aventureuses. Le format s’allonge à nouveau (remember Daydream Nation), le son est abrasif, dissonant, presque irritant parfois. Le groupe expérimente mais n’a pas encore atteint la plénitude de la deuxième partie de sa carrière (post-Daydream). Je la situe à l’album suivant, le sous-estimé A Thousand Leaves, mais on a le droit de ne pas être d’accord (Murray Street et Sonic Nurse protestent). Washing Machine est donc un album (très) solide mais pas le plus incontournable malgré une pochette des plus emblématiques de la carrière du groupe. On y trouve le morceau le plus long de leur carrière (« The Diamond Sea », on va y revenir), une Kim Gordon qui y joue plus de la guitare que de la basse (et c’est bien cool toutes ces guitares noisy), quelques perles de leur discographie… Et très peu de choses dispensables au final : l’interlude « Becuz Coda », tout seul sans « Becuz », bon voilà, ils l’ont mis là mais bon…, le traitement des voix sur certains titres peut-être (je ne suis pas ultra fan des onomatopées de « Panty Lies » par exemple). Et même un faux buzz sur « Junkie’s Promise » et ses lyrics qui évoqueraient Kurt Cobain tout juste disparu, théorie battue en brèche par Thurston Moore lui-même assez rapidement. Comme d’habitude, Lee Ranaldo y chante un peu (2 titres et c’est toujours bon), et on ne m’enlèvera pas de l’idée que Sonic Youth y aurait gagné si Lee avait encore plus chanté sur leurs disques. Sur « Skip Tracer », qui ressemble presque à un titre échappé de Dirty, il est carrément génial dans ce spoken-word bien rythmé (« The guitar guy played real good feedback, and super sounding riffs »). « Saucer-like » est plus représentatif de l’album, tiraillé entre ambiance inquiète, textures noisy et guitares élégantes. Dès l’introductif « Becuz », le ton avait été donné d’ailleurs. Un programme noisy allait s’enclencher pour presque 70 minutes dans le tambour de la machine à laver. À trois guitares sur 8 des 11 titres (Kim tient la basse uniquement sur « Panty lies », « Skip Tracer » et « The Diamond Sea »), le groupe peut laisser libre cours à son inspiration au gré de ponts instrumentaux et moult outros noisy. Essorage en vue. Ainsi, alors que les 2 premières minutes (sur 9) de « Washing Machine » semblent anecdotiques, la suite va rendre justice au titre de ce morceau. C’est abrasif, c’est bruitiste, c’est Sonic Youth dans ses œuvres. Quiconque a déjà tenu une guitare électrique entre les mains pourra vous dire que ce niveau de maîtrise de la texture sonore, ce n’est pas pour tout le monde. Toujours aussi jouissif après un quart de siècle ! Le groupe ne s’est décidément pas assagi et peut donc toujours sortir les griffes avec ce furieux Thurston Moore prompt à s’enflammer à chaque instant (« Junkie’s Promise », « No Queen Blues »). Pour équilibrer l’album, Sonic Youth a le bon goût tout de même de placer un duo de titres magnifiques au milieu de ses explorations hypnotiques. Avec « Unwind », un Thurston Moore apaisé nous invite à la relaxation au gré d’une ballade à peine perturbée par un crescendo noisy, one more. Sur « Little Trouble Girl », c’est les Kim – Gordon et Deal, en guest de luxe – qui chantent la cute song de l’album. Shalala… « Romance is a ticket to paradise » Shalala… C’est beau des légendes en duo. Cœur avec les doigts. Et pour finir, le fameux, le fabuleux, l’ultime « The Diamond Sea », le monumental vortex noisy qu’on écoute comme on regarde la mer du haut d’une falaise en attendant la tempête qui s’annonce. La beauté de ses flots apaisés (cet effet sur l’intro !), la lente montée de ses marées, la puissance indomptée des éléments, tout y passe en 20 minutes. Tellement emblématique que 3 versions existent (une radio edit forcément, la version album et une extended de 25 minutes qui vaut aussi le détour !). Ajoutez à ça un des plus beaux textes de Thurston Moore :
« Look into his eyes and you shall see
Why everything is quiet and nothing’s free
I wonder how he’s gonna make her smile
When love is running wild on the diamond sea
 »

En clôture d’album pour ne rien gâcher, ça fait forcément grimper la note un peu plus haut pour cet album qui renoue avec le versant le plus aventureux du groupe.
Washing Machine, c’est Sonic Youth pas loin de son meilleur, qui se cherche, qui expérimente, qui divague… Et qui va bientôt atteindre la surface financière suffisante pour construire son propre studio et ainsi assouvir ses (nouvelles) pulsions créatrices, via le sublime A Thousand Leaves (quel album !) et la série des SYR. Washing Machine, c’est un Sonic Youth de vieux briscards de l’indé, sortis tout neufs du mitan des années 90 post-grunge, du passage chez une major, avec la fraîcheur d’esprit et l’envie intacte des explorateurs pas encore rassasiés de découvertes. Jeunesse (sonique) éternelle.
Honey, here’s a quarter, go put in the washing machine

Sonicdragao

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