The Young Gods – Appear Disappear

Mais comment font-ils ? Comment ces jeunes gaillards parviennent à surprendre sans cesse depuis quarante ans, à transformer en or tout ce qu’ils touchent de leur main divine, à ne pas sonner redondants même quand ils reviennent à leurs fondamentaux ?
Avec eux, la colère ne semble jamais feinte, les sonorités violentes ne sonnent pas désuètes, The Young Gods ne vieillissent pas, ou le cachent admirablement bien.
Le temps passe, les projets s’accumulent comme autant de défis à relever (citons notamment un live acoustique, des reprises de Kurt Weill, un album avec Dälek, un autre avec Faust, le In C de Terry Riley revisité à la sauce divine), chaque fois que les Young Gods disparaissent, ils nous laissent de quoi nous substanter tant leur œuvre est riche et recèle de subtilités à découvrir et lorsqu’ils réapparaissent, ils sont tels qu’on les connait, massifs, imposants, rassurants aussi d’une certaine manière, et toujours un peu différents de la fois d’avant.
Car les Young Gods conservent un œil sur le rétro, n’oublient pas ce qu’ils ont su faire de mieux mais s’adaptent à ce foutu temps qui passe, s’en inspirent et nourrissent (confronté à la perte de sa femme et dégoûté par les conflits mondiaux, Franz Treichler a ainsi souhaité revenir à une musique plus brute et frontale), absorbent ce qu’il y a de meilleur pour rester modernes, percutants et pertinents. Quand ils ne le seront plus, il sera temps de leur faire nos adieux. Sans trop de regrets vu tout ce qu’ils nous ont déjà offert. Pour l’heure, le monde est meilleur avec des guides comme eux.
D’entrée de jeu, « Appear Disappear » se montre bien éruptif comme du temps de Super Ready/Fragmenté (2007). Le flingue pailleté de la pochette d’alors n’a-t-il pas d’ailleurs ouvert le feu sur celle d’aujourd’hui que l’on retrouve criblé de balles, comme… fragmentée ?
Après cela, difficile de ne pas être super ready, en tout cas super réceptif à ce qui suit, ce « Systemized » aux contours SF qui donne le sentiment d’arpenter une succession de couloirs étroits, gris pimpants, pas rouillés pour un sou, avec des tuyaux qui dépassent d’un peu partout, dont personne ne connait l’utilité, s’il en existe une. Et une menace qui colle aux basques. Parfois c’est davantage le redoutable TV Sky (1992) qui nous revient en mémoire (« Blue Me Away » tonitrue et nous éparpille comme il se doit). « Hey Amour » renoue par moments avec les atmosphères de Data Mirage Tangram (voire de Only Heaven), où l’on explore à tâtons, la jungle ou l’espace on ne saurait dire, avant que ne jaillisse un riff foudroyant (joué ou samplé ? On ne saurait dire non plus) qui nous enserre la gorge. Dantesque. Data Mirage Tangram, disions-nous ? On y songe à nouveau sur « Intertidal » qu’on pourrait prendre pour un remix de « Tear up the Red Sky » tant la similitude de l’intro est troublante. Puis, on nous emmène ailleurs, et cet ailleurs envoûtant est à savourer sans modération. Le trio se connait par cœur, garantit une cohérence de tous les instants et offre des gourmandises comme les assises rythmiques bouillonnantes de « Blackwater » ou « Shine That Drone », dont on se repait goulûment.
On ne s’ennuie pas un quart de seconde sur ce disque, toujours aussi riche et vivifiant, dans la plus pure tradition des Young Gods. Les paroles, messages et inspirations de Franz Treichler, en français ou anglais selon l’humeur, demeurent fidèles à sa verve habituelle (pourtant, on aurait pu craindre le pire avec des jeux de mots so obvious tels que « Tu en ami du temps » et « Blue Me Away »…). Le parolier suisse évoque avec subtilité le covid, l’amour disparu, l’amitié évaporé, le combat qui ne doit jamais cesser (« je passe où ça casse » chante-t-il ainsi sur le vindicatif et galvanisant « Mes yeux de tous », confirmant qu’en bon vieil « anticapituliste », il ne compte pas déposer les armes de sitôt). Que fera-t-on sans les Young Gods ? On sera orphelins, sans nul doute. Pour l’heure, les Suisses continuent de régaler. Profitons.
Jonathan Lopez