The Notwist @ Trabendo (Paris), 16/10/21
Paradoxalement, j’attendais beaucoup de ce concert alors que je n’avais jamais vu The Notwist sur scène et suis resté quelque peu sur ma faim avec leur dernier album, Vertigo Days, pourtant encensé par beaucoup. Un paradoxe qui trouve une explication logique : la réputation des allemands sur scène n’est plus à faire et les échos de leurs dates précédentes étaient des plus engageants. Je piaffais donc d’impatience, reprenant goût à un plaisir (jamais vraiment) oublié, et ravivé notamment par le show d’Arab Strap en terres anglaises début septembre et celui de Nick Cave quelques jours auparavant (sans oublier quelques autres non négligeables, entre les deux). Et curieusement, j’ai mis un peu de temps à savourer pleinement le moment. Un sentiment d’autant plus frustrant que, tout autour de moi, chacun semblait goûter chaque instant de ce début de prestation. Et on les comprend. Il faut être bien tordu pour ne pas le faire puisque, d’emblée, The Notwist donne le meilleur de lui-même, fait preuve d’une maitrise remarquable, n’hésitant pas en outre à lâcher les chevaux et s’autoriser dès le morceau introductif “Into Love/Stars” un final dont la montée crescendo met déjà tout le monde d’accord. Ou presque. Je suis là, je m’agite, mes oreilles sont satisfaites mais la distance entre le groupe et moi existe toujours, cette foutue glace n’est pas encore brisée. Et derrière, “Exit Strategy To Myself” (pourtant un de mes morceaux préférés du dernier album), persiste à me laisser sur le pas de la porte, la faute à un son de guitare quelque peu étouffé et un chant pas encore tout à fait affirmé. Même “Pick Up The Phone” (pièce maitresse de l’admirable Neon Golden, faut-il le rappeler), moins gracieuse que dans sa version studio, ne me procurera pas l’effet escompté. Mais rassurez-vous, cela ne durera pas. Le pisse-froid va bientôt s’en aller pisser ailleurs pour se mettre au diapason du reste de la salle et laisser place à un enthousiasme non feint. Le son, finalement d’une netteté bluffante, se révèlera en tout point remarquable et Markus Acher dissipera bien vite les doutes entrevus dans les premiers instants. Le morceau qui me fait définitivement balayer la dernière réticence (simplement entretenue jusqu’alors par des titres du dernier album que je ne juge pas à la hauteur des prodiges passés) ? “One With the Freaks”, grand moment de Neon Golden (encore lui), divinement interprété ici. Il devient alors insensé de se poser la moindre question, de ne pas se livrer pleinement. Comme si de rien n’était, ces (plus si) jeunes artistes incontrôlables nous passent ensuite malicieusement du “Harder, Better, Faster, Stronger” de qui-vous-savez et du “Last Night The DJ Saved My Life” de on-a-oublié-qui. Et d’enchainer sur une improbable intro débridée carrément Aphex Twinesque. De l’importance de la musique électronique dans le son de The Notwist. Nous sommes pourtant loin d’assister à un DJ set paresseux puisque sur scène, le groupe compte pas moins de sept membres permanents, parmi lesquels Karl Ivar Refseth et son vibraphone qui a le don d’attirer les regards et d’émerveiller les esgourdes, ainsi que le bluffant batteur Andi Haberl, clouant définitivement tout le monde sur place en livrant un combat homérique face aux cuivres lors du final free jazz hystérique de “In This Room”. À ceux-ci s’ajoute un défilé d’instruments, dont certains des plus insolites, comme cet imposant cor débarquant pour introduire “Object 11”. Effet visuel garanti, apport sonore indéniable.
Le chant délicat de Markus, jamais très démonstratif, constamment sur la retenue, dégage une puissante mélancolie assez irrésistible, ce qui ajoute au charme d’un groupe qui n’en manque pas, et vient équilibrer idéalement la froideur des expérimentations (la sublime “Gravity” en atteste). Ce concert est la démonstration implacable de la force de Notwist, ce mariage heureux et rarement maitrisé à ce point entre élégance pop et musique électronique, entre instruments et machines, sans omettre de savoureux détours en terres kraut avec force répétitions et une intensité montant graduellement jusqu’à des climax insoupçonnés. Ne nous y trompons pas, une musique aussi exigeante, mariant les styles avec une telle aisance, nécessite une précision de tous les instants, un savoir-faire absolu, et c’est bien à une démonstration de force que l’on assiste (et c’est peut-être bien là l’explication du temps qu’il m’a fallu pour rentrer de plein pied dans ce concert). Le rappel fait la part belle à deux classiques de l’album rouge là, vous voyez ? “Pilot” et “Consequence”. Le premier, idéal pour faire voler en éclats les formats établis, offre un ébouriffant passage dub hypnotique piloté de main maitre par sa section rythmique, puis convoque quasiment les Chemical Brothers et invite à la transe le public qui ne se fait pas prier pour s’abandonner sans retenue. Et votre blasé de service, qu’est-il donc devenu ? Il s’éclate, pardi. Et jubile lorsque le merveilleux refrain est de retour après cette errance formidable. En roue libre mais en toute maitrise. Le second, “Consequence” donc, laisse parler la beauté. Rappelant l’évidence, les certitudes les plus établies : le plus important, même après maints détours imprévus, reste l’universalité d’une belle mélodie. On en a entendu à foison ce soir. Et elles raisonnent encore dans nos têtes en partant.
Que ça fait du bien, bordel ! Le covid (le quoi ?) avait tenté de nous le faire oublier. En vain. The Notwist nous a rappelé que communier avec un groupe qui donne tout et s’éclate sur scène est bien la plus belle chose à vivre pour un amateur de musique. Si celui-ci est de surcroît aussi talentueux, la soirée devient alors merveilleuse, même pour les indécrottables pisse-froids.
Jonathan Lopez
Setlist : Into Love/Stars – Exit Strategy To Myself – Kong – Pick Up The Phone – Where You Find Me – Ship – Into The Ice Age – Oh Sweet Fire – One With The Freaks – This Room – Object 11 – Into Another Tune – Loose Ends – Gravity.
Rappel : Pilot – Consequence – 0-4.