Arab Strap @ Manchester Academy 2 (UK), 04/09/21
Il y a 18 mois de cela, quand le coronavirus n’était qu’une vague menace, considérée par certains comme une grippette inoffensive, et que nos vies n’avaient pas encore été bouleversées à jamais, le projet nous aurait peut-être semblé un peu démesuré. Arab Strap est un groupe que j’estime énormément mais traverser la Manche pour aller les voir, c’est un budget. Et puis, il existait toujours l’opportunité d’une tournée française, pouvait-on penser naïvement.
Une pandémie plus tard, quand la tournée d’Arab Strap fut annoncée, le Royaume-Uni nous semblait alors l’eldorado rêvé, le seul endroit où on peut voir des gens jouer de la musique dans une salle devant d’autres gens debout qui boivent des bières (LE TRUC DE FOU). Le dernier album des écossais étant en tout point fabuleux (n’en déplaise à quelques grincheux sourds), ça valait bien la peine de lâcher un petit énorme bifton.
Après d’épuisantes et coûteuses démarches anti covidiennes, The First Big Weekend tant attendu pouvait enfin débuter. Non pas en Écosse, comme dans le morceau culte, ni sur quatre jours comme chez ces déglingos mais peut-être bien avec autant d’alcool ingurgité (en couple tout à fait, mais y’a les couples qui aiment la vie et les couples chiants. Foi(e) d’alcoolique).
Vers 20h30, après avoir écumé les disquaires de la ville, profité de l’expo temporaire relatant l’histoire de Factory Records et sillonné les meilleurs pubs mancuniens (et ils sont sacrément nombreux !), nous arrivons claudiquant à la salle, trouvée péniblement. Un double gin tonic et une pinte chacun, nous voilà armés pour stationner au premier rang et être ravitaillés pour la soirée, évitant ainsi tout aller-retour périlleux vers le bar en plein concert (les alcooliques sont souvent fins stratèges). Aidan Moffat et Malcolm Middleton se pointent peu de temps après, accompagnés de trois comparses : un batteur, un bassiste, un second gratteux/claviériste à l’occasion.
Précisons que si le pass sanitaire n’est pas en vigueur en Angleterre, il faut être vacciné (ou testé ?) pour accéder au concert. Quant au masque, personne n’en a rien à carrer.
Le concert débute, comme on pouvait s’en douter, par la fantastique “The Turning of our Bones” qui ouvre le dernier album. Cela fait évidemment son petit effet mais, exigeant comme je suis (et ayant eu le temps de bien fantasmer le concert), j’admets que je m’attendais à me retrouver davantage en lévitation. Probable que si de vraies cordes avaient remplacé les samples, l’effet eût été tout autre… Mais dès “Girls of Summer” me voilà prostré, pensant intérieurement que si ce n’est pas ça le bonheur ultime, ça y ressemble fort. Ce morceau aux longs passages instrumentaux est digne des meilleures envolées de leurs potes Mogwai et Middleton donne le ton d’une soirée qu’il va survoler magistralement. Sans effets de manche mais drivant son petit monde et donnant une ampleur conséquente à des morceaux qui n’en demandaient pas tant.
À notre grande surprise, la salle est assez clairsemée, ce qui n’entrave en rien l’enthousiasme des locaux. À défaut de cordes comme indiqué plus haut, la présence d’un batteur suppléant la (pourtant mythique !) boite à rythmes constitue un plus non négligeable. Sans surprise aucune, les morceaux du dernier album font mieux que tenir la comparaison. “Here Comes Comus!” est formidablement entrainante et la palme est peut-être bien remportée par la très touchante “Fable of the Urban Fox”, rebaptisée pour l’occasion en “Refugees Welcome” ou “Fuck The Tory Cunts” par Aidan en introduction. L’avantage de ce morceau, c’est qu’il aurait pu être écrit il y a 20 ans et sera toujours d’actualité dans 30. Le désagréable rappel, c’est qu’on était, est et sera toujours dirigé par des ordures dont l’humanité flirte avec le néant. Mais la musique adoucit les mœurs. Et des années après, “New Birds” et “Direction of Strong Man” sont toujours d’immenses morceaux qui, instrumentalement, pourraient mettre à genoux bien des puristes mais sont encore galvanisés par le phrasé d’Aidan. La fin de concert approchant, Malcom Middleton enclenche les premiers accords de “The First Big Weekend” tandis que son comparse sort de sa poche les textes imprimés sur papier… Alors on ne connait plus ses classiques ? Cela ne l’empêchera pas de se planter et de s’y reprendre à deux fois devant une salle hilare, lui pardonnant volontiers vu la prestation d’ensemble.
Ils ne reviendront que tous les deux pour un court rappel acoustique (“Packs of Three” et “The Shy Retirer”) empreint d’une classe indéniable. Aidan, ce bon pote affable et spontané, se contentant la majeure partie du temps de débiter implacablement sa poésie rustre, nous rappelle alors quel grand chanteur il est lorsqu’il dégaine the biggest c… son plus beau timbre suave. On n’osera pas parler d’apothéose tant ce petit nuage sur lequel on flotte nous aura accompagné tout du long. Mais ceci était à n’en pas douter le gros bifton le mieux dépensé de l’année.
Jonathan Lopez
Setlist : The Turning of our Bones – Girls of Summer – Compersion, Pt. 1 – New Birds – Kebabylon – Here Comes Comus! – Piglet – Love Detective – Blackness – Direction of Strong Man – Tears on Tour – Fable of the Urban Fox – Screaming in the Trees – Speed-Date – The First Big Week-end.
Rappel : Packs of Three – The Shy Retirer.