Faith No More – King For A Day
Il est de bon ton de considérer King For A Day comme l’album ultime de Faith No More. Sa référence indépassable. Loin de moi l’idée de démonter un fait établi (a-t-on suffisamment d’amis pour commencer à se faire des ennemis ?) mais, en toute honnêteté, tenter de départager ce disque de ses deux monumentaux prédécesseurs, Angel Dust (1992) et The Real Thing (1989), me semble bien périlleux. Et inutile.
Tout juste suis-je résolu à admettre que Mike Patton y est plus à l’aise que jamais, après un The Real Thing où il fallait se familiariser avec son chant nasillard, que d’aucuns (les cons sensibles) pouvaient juger irritant. Et pourquoi pas, puisqu’on est généreux, évoquer une production plus moderne, moins marquée par les années que les deux pré-cités, reproche revenant régulièrement de la part de snobinards lourdingues spécialistes ès production sonore.
Mais ON S’EN FOUT. Les morceaux étaient là depuis le début et on a d’abord envie de rétorquer à tous ces jeunes gens avides de hiérarchisation (comment ça, on s’y livre plus souvent qu’à notre tour ?) qu’un groupe comme Faith No More – ou plutôt CE groupe qu’est Faith No More – échappe à toute nécessité de classement. Ce groupe au sommet de son art, ce qu’il est indéniablement entre 1989 et 1995 (si ce n’est entre 1985 et 2015, pour les fans les plus aveuglés aguerris), ne peut qu’apporter entière satisfaction et susciter perpétuelle prosternation.
On l’a déjà dit, écrit, rabâché, mais une fois de plus ne fera pas de mal : ce mélange des genres unique que Faith No More a su enfanter dès sa formation et façonner au fil du temps est sa grande force et, probablement, la raison du désamour de certains.
Pour ceux adhérant au « concept », il semble impossible de ne pas succomber à King For A Day, tant la folie inhérente au groupe et son leader et l’efficacité d’ensemble, sont criantes d’un bout à l’autre. L’attaque frontale de « Get Out », expédiée en 2’20, rappelle un fait essentiel : si ces gars-là sont à ranger du côté des metalleux, ils ne s’embarrassent jamais de fioritures inutiles, préférant la vitesse d’exécution et l’efficacité au bavardage lourdaud. Se faire chier en écoutant Faith No More ? Improbable. Même la mauvaise foi la plus abjecte n’oserait brandir ce genre de critique. L’intro de « Ricochet » se veut bien plus apaisée mais c’est pour mieux nous scotcher au mur le temps d’un refrain qui passe soudainement la surmultipliée.
L’album est clairement plus direct et frontal qu’Angel Dust qui y allait franco sur les claviers. Ici, les grattes ont repris le pouvoir, Trey Spruance (de Mr Bungle) suppléant Jim Martin dans le rôle de tortionnaire de six-cordes. Jamais avare en subtilités, Spruance fait également parler la puissance avec des riffs furieux et incandescents qu’on hésite à classer entre punk et metal.
Les coups de savate sont nombreux, à commencer par « The Gentle Art of Making Enemies » devant laquelle toute personne normalement constituée ne peut réfréner sauts compulsifs, headbangings hystériques et hurlements frénétiques (d’autant que Patton se la donne niveau punchlines et slogans jubilatoires : « Happy birthday FUCKER », « i’m the best fuck that you ever had », « i never felt so much alive », entre autres joyeusetés).
Potards à fond également sur « Digging The Grave » sur laquelle on rêverait tous d’être enterrés. Couplets menés tambour battant, riff meurtrier, refrain irrésistible, pont prodigieux, gueulante finale sur l’outro. Parfait. Notre schizophrène adoré s’amuse comme un dingo qu’il est le temps d’un « Ugly In The Morning » des plus exaltés. Tout part en vrille, rien n’a de sens. Tout est pourtant sous contrôle et cohérent. « Doooon’t look at me, i’m ugly in the morning ». Mais non, t’es beau et on ne te remerciera jamais assez.
Sur « Cuckoo For Caca », le voilà revêtu du costume de dictateur intransigeant, lequel érupte quand le ton monte et le tempo s’intensifie sur le refrain. Et le pont ? N’oublions pas le pont. Basse slappée, cris, nappes synthétiques, cris, cris, CRIIIIS. Le dictateur semble avoir perdu les pédales. Des breaks de feu, des changements de rythme toutes les 30 secondes. On écoute Faith No More ou bien ? Oh que oui. Et du grand. Immense même, sur le morceau-titre, tout en retenue avant l’explosion du refrain. La basse ronronne, on exulte. Synthés et gratte sèche au diapason. Et après nous en avoir mis plein la face, on calme le jeu et Mike nous laisse en chuchotant pendant près de deux minutes. Revenez !
À côté de ça, parce qu’il faut bien préserver la santé mentale de l’auditeur, on retrouve son lot de chansons pour crooner désuet avec un costard jaune et une raie au milieu : « Star A.D. », « Take This Bottle », « Just A Man », « Evidence »… C’est toujours aussi con et bon. Parmi les plus belles ballades de l’histoire du groupe, donc de l’univers (au diable l’objectivité, laissons parler le cœur).
Guimauve toujours avec « Caralho Voador ». Et oui, tant qu’à faire, autant lui filer un titre en portugais. Nous voilà donc en tongs avec notre brasileiro préféré, caïpi à la main. Et le bonhomme de s’aventurer dans des « bi loum ba pata pom ». Qui d’autre que Mike Patton a le droit de faire ça ? Qui s’en sort avec autant de classe ? On vous laisse chercher. Mike, ce grand gars brillant, dont on aimerait tant se foutre parce que c’est pas juste, gagne à tous les coups. King forever. Ce groupe ne cessera jamais de nous prendre pour des cons et on en redemande à chaque fois. Fool for a lifetime. C’est bien de nous qu’il est question. Une belle bande d’imbéciles heureux.
Bon, OK. C’est peut-être bien celui-là le meilleur.
Jonathan Lopez
Merci pour cette critique, je n’aurais pas fait mieux pour traduire ce que je pense de ce joyau.
C’est un génie !