Interview – Le Peuple De L’herbe

Publié par le 21 février 2017 dans Interviews, Notre sélection, Toutes les interviews

Le Peuple De L’herbe vient de fêter ses 20 ans de carrière avec un huitième album, Stay Tuned… Aucune lassitude à l’horizon, une inspiration toujours bien présente et même un nouveau visage, une nouvelle voix. Celle de l’américain Oddateee, connu auparavant pour ses collaborations passées avec High Tone, vieille connaissance du Peuple. Juste avant d’entamer une énième tournée, DJ Pee, membre fondateur du groupe, était accompagné de son nouveau comparse, pour faire un peu de promo. Ça tombe bien, on avait pas mal de choses à leur demander…

 

“Si tu te remets pas en cause et que tu fais pas avancer ta musique, je pense que tu deviens neuneu, ça ne devient plus intéressant.”

 

Bon j’ai écouté un peu votre nouvel album forcément…

DJ Pee : J’espère. Beaucoup même ! (rires)

 

J’ai l’impression que c’est peut-être le plus carré, léché, le moins bordélique en tout cas si je puis dire. C’est quand même pas votre album de la maturité rassurez-moi ?

DJ Pee : (Rires) On en a fait tellement d’albums de la maturité. Ouais, il a été mûri, on a essayé de moins se disperser, d’être plus exigeants avec nous-mêmes. c’est ce qu’on s’est dit en rentrant en studio. On s’est fait cette remarque « peut-être qu’on est trop indulgents avec nous-mêmes ». On a été super sévères (rires). On a fait de la matière pour facilement 2 albums, 2 albums et demi. On a vraiment sélectionné les meilleurs tracks.

 

Ah oui, donc vous en avez sous le coude…

DJ Pee : On en a chié plein (rires).

 

Je trouve aussi – bon en même temps c’est logique – qu’il y a un côté rock de plus en plus prononcé depuis l’arrivée du nouveau guitariste, il y a carrément des morceaux où on est proches de la fusion, je pense notamment à « Abuse » sur laquelle tu rappes Oddatee… 

DJ Pee : Oui un mélange de genres. C’est assez 90s, politisé…

 

Un petit côté Rage Against The Machine.

Oddateee : Oui Rage ou Public Enemy, un mix de tout ça. Et le groupe apporte l’équilibre. Et les textes sont encore plus importants « too much abuse in your mind » et ça rend fou, ça concerne tout le monde, les français, les blacks, les chinois, le monde entier…

DJ Pee : c’est influencé par ces groupes, mais c’est surtout Le Peuple et Oddatee. Il s’est cassé le cul à trouver de bons lyrics qui ont un sens. Il sait qu’on est totalement en phase avec ce qu’il dit. C’était déjà le cas avec JC (JC001 ndlr).

Oddateee : oui on a clairement trouvé une harmonie entre nous, le son, l’esprit. Sur « Abuse », on a une très bonne interprétation et c’était très cool.

 

Et comment vous avez fonctionné, ils t’ont filé la musique et tu as écrit les textes dessus ?

Oddateee : Non j’ai proposé des trucs. J’ai mis ça sur la table, tout le monde a apporté ses idées. On a rassemblé le tout et ça a fonctionné.

 

Et maintenant tu fais officiellement partie du groupe alors, sur scène et tout ?

Oddateee : Oui sur ce disque et sur scène, et peut-être sur les prochains albums. Le plus important c’est qu’on ait trouvé notre entente et qu’on en foute plein la vue à tout le monde. Et ça va rester super intense.

 

Justement, là y a 3 voix sur cet album, Marc Nammour de La Canaille et JC001 en plus d’Oddateee, j’ai quand même l’impression que ce qui vous rassemble le plus naturellement depuis le début c’est le hip hop non ? Ou vous écoutez vraiment autant de genres que ce que vous brassez au sein du Peuple ?

DJ Pee : oui c’est un peu un langage commun. Chacun a ses particularités et ses goûts mais c’est à la fois un langage et une manière de travailler parce qu’on a ce côté très hip hop de construire des tracks et ensuite de voir si on va les proposer aux chanteurs ou pas ou si nous on va les articuler avec des voix samplées… Autrement chacun a ses particularités, bien sûr la culture hip hop en fait partie mais pas que. Tu parlais d’un côté plus rock, c’est vrai que Varou (Varou Jan, le guitariste ndlr) il amène ça, ça peut être aussi bien de la musique surf que de la musique arabe. Les influences sont multiples.

 

En 20 ans votre formation a beaucoup évolué. Est-ce que d’une certaine manière ça colle pas avec l’esprit du groupe, ce mélange de genres que vous prônez depuis le début ? Est-ce que ce serait pas presque une nécessité d’évoluer en permanence pour se remettre en question ? Même si j’imagine que c’était pas voulu.

DJ Pee : Oui, clairement. Evoluer, rencontrer de nouvelles personnes au fil des années ça fait partie de l’ADN du groupe. On considère que c’est très important pour un groupe d’évoluer musicalement. Si tu fais toujours la même chose pendant 20 ans… Ça peut arriver, les Ramones l’ont fait et ça a marché. J’adore les Ramones. Mais si tu regardes avec attention, tu vois que le groupe a commencé avec toutes leurs références 60s, de groupes pop, et jouer sans calculer, etc. A la fin de leur carrière, ils citaient des groupes hardcore, metal, ils ont évolué à leur façon. Les gens n’ont peut-être pas fait attention mais tout le monde, y compris les Ramones (rires), évolue. C’est vital pour les groupes, sinon tu tournes en rond et ce n’est plus intéressant ce que tu fais. Et tu n’as plus de plaisir à jouer sur scène. Pour nous la scène reste le révélateur, où tu peux pas tricher… Si tu te remets pas en cause et que tu fais pas avancer ta musique, je pense que tu deviens neuneu, ça ne devient plus intéressant.

 

D’ailleurs, même en termes de MCs, sur le premier album, si je me souviens bien y avait aucun featuring.

DJ Pee : Si, il y avait Sir Jean déjà. Il est au tout début, quand on fait “PH Theme”, il est pas encore dans Meï Teï Shô, il jouait encore avec un groupe de ska, les Crazy Skankers.

 

Ah oui c’est vrai, il y avait Sir Jean. Mais c’est quand même allé crescendo, là vous avez trois rappeurs différents sur cet album. Vous ressentez le besoin d’apporter du texte plus systématiquement à votre musique ?

DJ Pee : La rencontre avec Marc Nammour, ça remonte aux trois derniers albums, chaque fois un titre. Ça rejoint ce que tu disais tout à l’heure, la culture hip hop ça nous parle, on pense que c’est un des meilleurs parolies français du moment. Au niveau de la qualité des textes, pour nous y a pas photo. C’est une espèce de compagnonnage, d’amitié qui se crée. Son projet La Canaille lui prend tout son temps et est SON vrai projet. Il a participé avec nous et c’est super. On a d’abord bossé avec Sir Jean puis UK Apache qui a fait le morceau jungle « No Escape », là c’était un featuring. Après on a rencontré JC qui s’est intégré au groupe, après Sir Jean a quitté Meï Teï Shô et a intégré le groupe complètement et on a eu à ce moment-là deux MCs et on a vu l’interaction d’avoir deux MCs. Une fois que Sir Jean est parti sur d’autres projets, on avait envie à nouveau d’avoir cette interaction. Oddatee amène ça, aux côtés de JC. Pour nous c’est important d’avoir deux MCs avec des cultures et horizons différents qui montrent des choses différentes.

 

Et j’imagine Oddateee que tu t’entends bien avec Marc Nammour  Vous partagez une vision commune du hip hop engagé.

Oddateee : Oui, c’est un bon mec. Super MC. Je rentre complètement dans son flow.

 

Et tu essaies de comprendre ses textes ?

Oddateee : Oui, bien sûr j’essaie de capter le sens du propos mais… c’est difficile ! (rires)

 

“A un moment on disait que vu la situation on voulait plus parler du peuple que de l’herbe. Aujourd’hui le populisme sert du peuple à tout crin,  on se dit « qu’est-ce qu’il va nous rester dans notre nom, de quoi on peut parler ? (rires) ».”

 

Vous vous êtes rencontrés comment avec Le Peuple ? Via Jarring Effects et les premiers morceaux que tu as faits avec High Tone ?

Oddateee : Oui, exactement. D’abord via Jarring Effects mais avec Dälek, c’est ce qui m’a conduit en France.

DJ Pee : oui l’album de Dälek est sorti sur Jarring Effects en France.

Oddateee : On avait la même agence de booking, c’est comme ça qu’on s’est rencontrés. En 2008. J’ai rencontré High Tone puis ces mecs juste après et voilà.

 

Et justement toute cette scène lyonnaise a connu une vraie effervescence au début des années 2000 et un bon coup de projecteur. C’est un peu retombé ensuite. Vous avez ressenti un « après-âge d’or » ensuite, une attention des médias qui s’est dispersée ?

DJ Pee : tu sais, on est contents quand on parle de toi mais on fait pas de la musique simplement pour qu’on parle de nous. On essaie d’exprimer des choses. Il y avait tout un mouvement dans les médias parce que l’équipe de foot était au top à ce moment-là, une situation générale au niveau français voire européen ou mondiale beaucoup plus optimiste que maintenant. C’était complètement différent.

 

Tu penses que c’est aussi le contexte justement sociétal et social qui fait qu’on était plus focalisé sur le dub français ?

DJ Pee : je sais pas, on s’est retrouvés là-dedans et ça correspondait à quelque chose parce qu’on vivait à Lyon et il y avait une vraie scène. Mais il y a toujours eu une scène, c’est juste qu’à ce moment-là elle s’est retrouvée un peu sous le microscope mais ce bouillonnement existe encore et il y a encore plein de choses qui se créent dont on parle pas forcément autant. Il y a parfois des coups de projecteur qui arrivent et donnent l’impression de révéler mais qui mettent juste en lumière quelque chose qui existe, a existé avant et existera après.

Les High Tone ils sont là, ils préparent leur prochain album, le groupe aussi a évolué, ils veulent faire autre chose. On voit plein de gens encore qui continuent avec qui on travaille depuis quelques années, qui ont évolué, font autre chose mais sont toujours là. Il y a une scène, quelque chose qui se passe et on n’en parle pas forcément parce que d’autres scènes ont émergé, ptet aussi qu’au début des années 2000 il se passait pas grand chose dans le reste de la France, tout simplement. Maintenant pas mal de foyers se sont créés un peu partout. Pour rejoindre aussi ton analyse hip hop, il y avait eu de grosses scènes hip hop à Paris et Marseille : NTM, Assassin, IAM, toute la famille autour de ces trucs-là… A Lyon les groupes avaient eu un peu plus de mal à affirmer leur personnalité, c’était moins typé. Peut-être que ça a amené aussi cette émergence. Le mec avec qui j’ai commencé le groupe, DJ Stani, il faisait partie de DNC, Défendons Note Cause, qui était un groupe de hip hop lyonnais. Une scène un peu acid jazz, des groupes de rap comme Lex Leo qui étaient là. Il y avait des groupes mais ils avaient du mal à exister par rapport aux deux places fortes, peut-être que ça a amené du vide et après des choses se sont créées.

Nous quand on a commencé, on avait pris comme motto (devise) une phrase de DJ Shadow qui disait « fuck trip hop, this is instrumental hip hop ». C’était un peu notre démarche, on va faire du hip hop, on a ptet un peu de mal à trouver des MCs qui représentent vraiment Lyon alors on va plus s’orienter vers un hip hop instrumental, plus trippant, comme ça se faisait en Angeterre et un peu partout en Europe. T’avais les allemands, les autrichiens, à l’époque les groupes comme Terranova, Sofa Surfers, plein de choses qui nous parlaient.

 

Et vous êtes toujours curieux de tout ce qui peut sortir de Lyon ou d’ailleurs dans cette scène électronique ?

DJ Pee : Le problème c’est que c’est plus compliqué y a tellement de choses…

 

Mais tout est très accessible.

DJ Pee : Oui, et moins en même temps.

 

Noyé dans le flot de sorties…

DJ Pee : Oui, voilà. Mais bien sûr on continue d’écouter plein de trucs. Le dernier que je me suis acheté c’est Coldcut avec Roots Manuva, qui sont là depuis encore plus longtemps que nous et sont toujours aussi bons, ça fait plaisir. Plein de choses nouvelles sortent, ça part dans tous les sens. J’ai beaucoup aimé le Slaves aussi, déjà leur premier album. Se faire produire par les Beastie déjà, ça nous parle beaucoup c’est une grosse référence les Beastie Boys pour nous. Y a plein de choses, c’est juste un peu plus compliqué de trouver, faut arriver à bien définir ce que tu cherches…

 

Pour en revenir un peu à cette scène lyonnaise, vous ressentez toujours une forme d’émulation entre vous ? Y a beaucoup de groupes qui émergent et dont on n’entend pas forcément parler ? 

DJ Pee : Totalement. Nous on a joué il y a deux ans avec High Tone, c’est là qu’on a vraiment rencontré Rick (Oddateee, de son vrai nom Ricardo Galindez, ndlr), même si on l’avait déjà croisé. (À Oddateee) Tu avais deux morceaux avec High Tone ?

Oddateee : et un EP aussi.

DJ Pee : la connexion s’est faite aussi comme ça. C’est pas des transferts, c’est pas un mercato, y a pas de grosses sommes d’argent (rires). C’est juste des rencontres, c’est grâce à cette scène qu’on a à Lyon. Les deux sont intimement liés.

 

Et c’est pas difficile pour toi Oddateee de poser ton flow sur des instrus aussi « barrées » (rires), que ce soit avec Le Peuple De L’herbe ou avant avec High Tone ?

Oddateee : non, j’ai de l’expérience, tu sais. C’est pour ça que je parviens toujours à faire ça, m’adapter à tous ces nouveaux sons qu’on me propose.

 

C’est aussi le meilleur moyen de progresser et de se mettre en danger.

Oddateee : exactement. Et d’où je viens, à Brooklyn, c’est l’école de la vie, ce rap, son histoire, le divertissement, plein de nouveaux acteurs du genre ne l’assimilent pas bien. Je me sens vieux en le disant mais maintenant je comprends très bien tout ça. Je continue de garder l’attitude qu’il faut, je suis soudé avec les mecs du Peuple, tu le vois dans mon regard (il s’adresse à DJ Pee). C’est vraiment bien pour moi, c’est très important d’être avec ces mecs-là.

 

Et aux Etats-Unis, ils suivent de près ce que tu fais avec Le Peuple De L’herbe ? C’est un moyen de renforcer la popularité du groupe (rires) ? 

Oddateee : j’essaie de faire ça maintenant. Je ne suis pas très fier de pas mal de choses qui se passent aux Etats-Unis, y compris dans le hip hop. C’est pour ça que je vis à Lyon, je choisis de vivre à Lyon. Il y a beaucoup de différences culturelles mais ma connexion principale avec les gens c’est le hip hop. Donc j’ai ce flow que ce soit en groupe, en solo ou avec un DJ et je peux m’adapter à n’importe quel style. C’est ça, Oddatee ! A 100%. Balance ! Et je te le renvoie (rires) !

 

“Tous ceux qui vivaient que sur leurs droits sont obligés de tourner donc t’as de moins en moins de place pour les petits groupes et les groupes émergents. Je pense qu’un groupe comme Le Peuple De L’herbe ne pourrait plus émerger maintenant.”

 

Bon, sinon pour changer un peu de registre, vous allez voter Benoit Hamon* ? 

DJ Pee (il se marre, puis d’un ton dépité) : putain, ouais… Je suis pas allé voter aux primaires, j’y arrive plus là. Le gouvernement est à l’envers… Quand je vois ce qui se passe en Angleterre, aux Etats-Unis, c’est flippant. On vit vraiment une période de grand changement. Les populistes ont un boulevard et ce qui est flippant c’est qu’on a l’impression de revivre une page d’histoire différente mais ça rappelle les années 30… Un mec comme Trump qui vient pourfendre l’establishment alors qu’il en est le fruit… Et puis l’argent, de qui se moque-t-on ?

 

Oui, il est contre l’élite, c’est assez marrant…

DJ Pee : Oui voilà. Et que ça fonctionne son truc, tu fais « ouah ouah ouah ». Ce qui s’est passé en Angleterre c’est pareil. Ce qu’il va se passer ici, on n’en sait rien mais c’est pas du tout rassurant. C’est vraiment une période de merde et je pense pas qu’on soit sorti de la tourmente, je suis même pas sûr qu’on soit encore au coeur. Les choses peuvent encore empirer, c’est ça le plus flippant…

 

Ça doit t’inspirer Oddateee l’élection de Donald Trump pour tes lyrics…

Oddateee : non, je n’en ai pas vraiment besoin. D’où je viens… C’est assez compliqué à expliquer, c’est plus gros que Trump, c’est bien plus gros. Et j’ai quitté le pays bien avant Trump.

 

Mais tu dois encore avoir beaucoup d’amis, de la famille là-bas.

Oddateee : Oui bien sûr. Je suis les yeux que tu ne vois pas, qu’ils ne voient pas. Le quartier, la politique, j’aspire tout ça et je l’interprète. Je donne aux gens ce qu’ils n’entendent pas, ce qu’ils ont besoin d’entendre. Et ça vaut pour ce que tu dis à propos de Trump, mes points de vue, ceux de mes pairs, mes collègues, mes amis, ceux qui sont accros à la drogue… Tout ça. C’est à ce sujet que je rime. Tu peux l’entendre sur tous mes disques, même ceux de Dälek, tous. C’est très sombre. Je ne dis pas que tout est sombre, il y a toujours une lueur dans toutes ces influences, dans ce que je décris.

 

J’en reviens un peu à Benoit Hamon, ça vous fait pas halluciner que ce soit le seul à proposer la légalisation de la weed ? Est-ce qu’au fond on n’est pas un peuple un peu rétrograde quand tu vois le bordel que ça a été pour le mariage gay alors qu’aux Etats-Unis c’est passé semble-t-il plus facilement, que la weed est légale dans plein d’Etats ? Aujourd’hui en France y a qu’un mec qui le propose et on se doute que soit il va devoir reculer, soit de toutes façons il fera 5%…

DJ Pee : oui, voilà. Et on a l’impression que c’est un peu un argument publicitaire genre « tiens je vais essayer de racler ça ». Quand on a commencé ça faisait partie des propositions de candidats qui étaient dans des positions beaucoup plus fortes que ce qui se passe maintenant. Ça en serait risible si la situation l’était, là y a juste de quoi rire jaune. A un moment on disait que vu la situation on voulait plus parler du peuple que de l’herbe parce que quand on a commencé c’était légalisé aux Pays-Bas, dans plein de pays comme l’Espagne, l’Italie, la règlementation était plus souple, on voyait ça comme un mouvement qui allait se faire en Europe. En Angleterre, même si les lois ne sont pas passées, les flics ne courent plus après les fumeurs, ils s’en foutent, ils ont décidé avec les juges qu’ils avaient autre chose à faire. Et quand tu lis les interviews en France, le constat est le même… Finalement, on est partis complètement ailleurs dans un espèce de tout sécuritaire, tout conservateur. Toute la société tend vers un conservatisme, une étroitesse d’esprit… Pour finir mon analogie sur « on parle moins d’herbe, plus du peuple », le populisme sert du peuple à tout crin, que ce soit Trump ou Le Pen et cette façon de l’utiliser pour tromper les gens… On se dit « qu’est-ce qu’il va nous rester dans notre nom, de quoi on peut parler ? (rires) ». J’exagère mais ouais, peut-être qu’on aura une légalisation, mais peut-être qu’on va voir d’autres choses beaucoup moins drôles avant. C’est plutôt sombre le futur. De temps en temps, on essaie de faire un morceau exutoire pour oublier tout ça et passer à autre chose mais le constat est difficile.

Oddateee : il y a eu des périodes, des mouvements pour que ça se produise. Mais en réalité c’est une bonne chose parce que ça génère des taxes, des emplois… C’est une très bonne chose pour les gens, j’en connais qui ont tout quitté pour aller à LA en faire pousser parce que c’est légal et ça peut rapporter de l’argent. C’est une très bonne chose. Pour les droits des gays, ça devait arriver tôt ou tard. Les gens d’évoluer, c’est un changement.

 

Et ça signifie qu’aux Etats-Unis vous êtes plus ouverts d’esprit ? On a l’impression qu’en France les gens ne sont pas prêts…

Oddateee : Non c’est partout. Chez nous, ça dépend des Etats. Il y a toujours du rouge et du bleu, même pour les droits des gays. Il y aura toujours des groupes qui voudront arrêter ceci ou cela. C’est la vie. C’était déjà le cas dans les années 20 ou 30 avec la prohibition. Le cannabis, ils l’utilisaient légalement dans les années 40, 50 puis ils ont arrêté. C’est étrange de regarder tout ça avec du recul. Moi en tant qu’américain-espagnol urbain, je me dis « trop c’est trop ». Je suis pour le peuple, pour tout le monde. Si ça améliore ta vie, ta famille, ton futur, faisons tout ce qui est nécessaire.

DJ Pee : moi je pense qu’en France il y a plus de gens ouverts sur le mariage gay ou la dépénalisation que ce qui est représenté dans les votes. Mais il y a beaucoup plus de conservateurs qui votent systématiquement. Les gens qui sont pour le changement, pour des raisons X ou Y, ils prennent pas la peine, se déplacent pas ou trouvent pas le candidat qui leur plait mais je suis persuadé qu’il y a un mouvement mondial de droits qui avancent mais c’est des mouvements de balancier. T’avances dans un sens, tu recules avec les conservateurs… Et c’est exacerbé par les nouveaux médias ces mouvements de balancier, ils vont de plus en plus vite parce que tu peux très vite monter en épingle le truc. Y a plusieurs vérités maintenant (rires), tu peux altérer ce de quoi on parle. C’est même plus du Orwell notre monde, c’est une période, ça va forcément évoluer, j’ose croire qu’on va revenir dans un monde sensé où on va se rendre compte qu’il y a plein de choses, que les gens sont différents et que c’est de la différence que naît la richesse de l’humain. C’est pas mal ça (rires).

 

Une petite note d’espoir (rires).

DJ Pee : oui, il faut.

 

Après cette parenthèse sociétale, ça n’a pas grand chose à voir mais j’aurais bien aimé avoir votre regard sur Live Nation qui déboule un peu partout avec de nouveaux festivals. Ils ont eu Download l’année dernière, le Lollapalooza vient d’arriver… Qu’est-ce que vous pensez de ce quasi monopole en train de s’instaurer avec des affiches très grand public qui mélangent tout, n’ont pas vraiment de cohérence, dont l’unique but est de faire venir du monde ? Vous, vous avez joué dans plein de festivals avec justement des programmations plus cohérentes et pointues, notamment parce que vous pouvez rentrer dans plein de styles différents, ça vous fait flipper un peu l’arrivée de cette espèce de mastodonte ?

DJ Pee : ça nous a fait flipper déjà il y a 5, 10 ans quand ils ont commencé à s’installer, à racheter énormément de trucs. Nous on l’a vu principalement aux Pays-Bas où ils ont commencé à racheter les salles, les tourneurs, etc. Nous on a un petit tourneur indépendant qui arrive à survivre mais il reste très peu de festivals où on peut jouer parce que tous les autres là-bas sont trustés par Live Nation. En France y a une autre culture avec des tourneurs un peu plus installés, un peu plus costauds qui ont vu venir aussi le truc et qui se sont serrés les coudes pour se défendre par rapport à ça. Et ils ont plus ou moins protégé le territoire.

La réalité pour tous les musiciens c’est qu’on ne touche quasiment plus de droits, nous on n’en touchait pas beaucoup, ça représentait pas grand chose, ça nous faisait un peu de beurre dans les épinards. Maintenant tous ceux qui vivaient que sur leurs droits sont obligés de tourner donc t’as de moins en moins de place pour les petits groupes et les groupes émergents. Je pense qu’un groupe comme Le Peuple De L’herbe ne pourrait plus émerger maintenant. C’est devenu tellement compliqué pour tout le monde, tout le monde se pousse du coude, parce qu’il faut aller prendre les dates pour rentrer de l’argent, parce que c’est la dernière rentrée d’argent qu’il reste pour vivre. Nous on a un tourneur depuis le début, A Gauche De La Lune, qui est indépendant, basé à Lille, qui a une culture, avec lequel on a de bons rapports. C’est comme ça aussi qu’on a réussi à se construire. Peut-être que demain on n’aura plus accès aux gros festivals. Tant qu’il y aura encore des petits festivals… Il y a tellement d’autres choses qui se passent en même temps, y a un gros festival gratuit à Cluses (le Musiques en Stock ndlr) qui a fermé, qui est terrible. C’est un couple qui organisait ce festival mortel, gratuit, qui faisait jouer les groupes sur deux jours, des groupes plus ou moins connus. Qui faisaient aussi venir plein d’auteurs de BD, qui animaient une radio, toute la bande autour de Margerin, Radio Lucien, la radio des vauriens. C’est un truc terrible, extraordinaire, avec des gens de bonne volonté, plein de bonnes vibes et du jour au lendemain la région leur coupe les vivres. Et le festival crève.

 

Des petits festivals comme ça, il y en a quelques-uns mais s’ils sont pas subventionnés derrière, c’est compliqué de survivre.          

DJ Pee : Il y en a des tout petits, indépendants qui arrivent à vivre sur les entrées. Mais de toutes façons, on est aussi dans une période de crise où les gens ont moins d’argent pour sortir. Quand on a commencé il y avait plein de monde dans les clubs rock, entre 250 et 700 personnes, maintenant c’est beaucoup plus dur. Tous les clubs rock de France, issus de la scène MJC, ont vachement de mal. Moins de subventions et les gens sortent moins, ils ont moins d’argent. Quand tu vois qu’un spectacle c’est entre 15 et 20 euros et que t’as des petits festivals où pour la même somme tu vas avoir 4 ou 5 groupes, les gens qui ont moins de moyens font le choix d’aller voir 4 ou 5 groupes même si c’est pas les mêmes conditions, etc. C’est un choix économique. Et tant qu’on sera pas dans un système avec plus de boulot, de redistribution des richesses, on sera confronté à ça. Je sais pas si ça répond vraiment à ta question c’est assez large.

 

Si, si d’autant plus que je ne pensais pas que vous en aviez directement souffert.

DJ Pee : Aux Pays-Bas par exemple on n’arrive pas à trouver de festivals, une partie de la Belgique aussi parce que Live Nation est assez implanté là-bas. Et au bout d’un moment, notre tourneur a dit « je peux pas, parce que j’ai pas voulu me faire racheter par Live Nation et donc, je n’ai plus d’accès, ils m’empêchent ». Donc on en trouve d’autres, mais il en reste plus beaucoup parce qu’il y a une autre mentalité aux Pays-Bas, c’est beaucoup plus libéral. Ce qu’il restait des clubs, c’était issu des squats, énormément de bénévolat, c’est encore une autre culture. Mais résultat, c’est beaucoup plus difficile pour nous de jouer.

 

Oui, donc on tend quand même vers une uniformisation avec toujours les mêmes noms…

DJ Pee : En France, on a reculé l’échéance mais est-ce qu’elle va arriver, on ne sait pas. On ne sait pas à quelle sauce on va être mangé. Ça risque d’arriver dans le futur, après est-ce que c’est plus ou moins proche, la question est là. A voir combien de temps les tourneurs français vont pouvoir résister à Live Nation, parce que c’est un monstre. C’est le Decaux américain, aux Etats-Unis, ils ont racheté toutes les radios, toutes les salles…

 

Donc après la note d’espoir, encore un peu de déprime (rires). Mais c’est de ma faute !

DJ Pee : non c’est la réalité malheureusement.

 

Bon on va devoir conclure, le temps tourne. Le Peuple vient de fêter ses 20 ans, vous vous imaginez encore là d’ici 10 ans par exemple ? Et qu’est-ce que vous imaginez pour vous renouveler encore, à quoi vous n’avez pas encore touché ?

DJ Pee : on va continuer à faire de la musique, bien sûr. Mais je n’en sais rien, chaque jour est une lutte quand t’es musicien. Comme on disait, les temps sont difficiles, on ne sait pas de quoi demain sera fait mais on se bat. On a un très bon état d’esprit dans le groupe, un vent de fraicheur venu des Etats-Unis…

 

(À Oddateee) T’as signé un contrat pour les 5 prochaines années (rires) ?

Oddatee : et oui (rires) !

DJ Pee : pour le moment on est confiants parce qu’on croit à ce qu’on fait. On ne sait pas comment l’album sera reçu ou accepté. On a fait du mieux qu’on a pu. La situation est plus difficile en ce moment mais on défend cet album, on va voir ce que ça va donner. Notre public a toujours fait preuve de discernement… Surtout on espère, pour revenir à ta question, qu’on arrivera à jouer, à trouver des festivals parce que ça c’est le nerf de la guerre pour exister, et c’est de plus en plus difficile. Mais nous on a la pêche, on a envie, on a plein d’idées et on va se battre pour y arriver, on ne va pas lâcher l’affaire (rires) !

 

Interview réalisée par JL, merci à Sabrina Sabrina Cohen Aiello d’avoir organisé cette rencontre.

 

*L’interview s’est déroulée entre les deux tours de la primaire de gauche.

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