Hellfest part 1 (Clisson), du 17 au 19/06/22

Publié par le 27 juin 2022 dans Live reports

© Alain Dutertre

Cela faisait deux ans que le Hellfest attendait de souffler ses quinze bougies et si l’affiche a subi quelques inévitables retouches (et notamment la défection de Faith No More qui pique un peu, beaucoup), le programme 2022 avait toujours fière allure et était donc particulièrement attendu (d’autant qu’un second week-end du même calibre – ah, ce vendredi indus de feu – était programmé sept jours plus tard). Le hasard* a fait que Clisson n’avait peut-être jamais connu pareille fournaise. On nous avait promis l’enfer mais le purgatoire s’est révélé presque accueillant. Il faut dire que le petit festival metal devenu mastodonte des musiques extrêmes sait mettre les moyens nécessaires pour satisfaire son public et a démontré un sens de l’organisation en tout point remarquable, que ce soit pour empêcher ses festivaliers de griller sur place en les arrosant copieusement et pour les abreuver efficacement en nourriture et boissons avec un service jamais débordé malgré les records d’affluence (près d’un demi-million de festivaliers sur les deux week-ends).

Go straight to hell, boys. On se dirige d’abord vers la Main Stage où se produisent les éternels jeunots Burning Heads qui ont récupéré Phil, leur gratteux d’origine, et rien perdu de leur fougue d’antan, même en plein cagnard. Entre classiques et morceaux du dernier album, Torches of Freedom, Burning place même un nouveau morceau reggae, « Fear », sorti fin 2021 en 45 tours, dans la lignée de ce qu’on pouvait entendre sur les remarquables Opposite et Opposite 2. Parfaite mise en jambes. Pour éviter de cuire à petit feu, se diriger vers la Valley n’est pas une mauvaise idée (celle-ci étant sous un chapiteau). C’est ici qu’on se fait stoneriser par Elder et ses compos de dix minutes minimum, aussi (sur)puissantes qu’éminemment trippantes. La gratte peut bien raconter ce qu’elle veut et digresser à loisir, on l’écoute avec attention. Petite déception en revanche avec Rudeboy (et DJ DNA) qui rejoue(nt) Urban Dance Squad. Le groupe culte crossover/fusion, et notamment son leader, nous apparait moins en jambe, presque amorphe parfois, comparé à sa prestation très satisfaisante sur la scène de Petit Bain quelques mois plus tôt (il s’était alors révélé aussi virevoltant sur scène qu’en interview). Mais personne de censé ne snoberait un bon « Demagogue », n’est-ce pas ? Quand on ne sait trop qu’aller voir, on se dirige assez mécaniquement vers la Valley qui ne déçoit presque jamais. On peut cette fois y observer Witchcraft dérouler un stoner des plus classiques mais nullement déplaisant, surtout quand il pioche dans ses morceaux les plus leeents et plombés, parfois généreusement gorgés de wah wah. On se dit également que le groupe a dû beaucoup écouter Led Zep quand il déploie un blues qui s’étire en longueur et que son chanteur ne se montre pas franchement sur la retenue. Pour grignoter en passant, ça ne fait pas de mal.

On n’écouterait clairement pas Opeth tous les jours (deux fois par an à tout casser, c’est déjà bien) mais on était curieux de voir le rendu live. C’est parfois un peu trop lyrique mais les passages les plus progressifs parviennent à captiver, même si la Main Stage n’aide pas franchement à l’immersion (les gens adooorent raconter leur vie pendant les concerts. Nous les détestons pour ça). Très bonne prestation d’ensemble qui pourrait nous donner envie de doubler notre quota d’écoutes annuelles.

On saisit ensuite l’opportunité offerte par les nostalgiques, probablement masos, qui vont écouter The Offspring, pour aller se goinfrer un bon coup aux stands où le gras est à l’honneur (mais c’est plutôt qualitatif, ne nous faites pas dire…). Pretty smart, for a fat guy. High on Fire arrache bien la gueule, à défaut de faire dans la dentelle. Visiblement, personne n’est venu pour ça, de toute façon, et ne trouvera à redire (pourtant, le son laisse quelque peu à désirer). Comme on ne souhaite pas mourir totalement cons, on tient quand même à vérifier que Mastodon nous laisse moins circonspects sur scène que sur disque. Et il faut admettre que cette machine-là semble constamment tourner à plein régime et le final, observé depuis 14 kilomètres de la Main Stage, est assez impressionnant.

On attendait bien moins de Dog Eat Dog que de (Rudeboy Plays) Urban Dance Squad, et pourtant… L’énergie est assez dingue et ça bataille sec au sein de la Warzone. WHO’S THE KING, WHO’S THE KING, WHO’S THE KING, WHO? Peut-être pas eux quand même, mais ils font toujours carrément bien le boulot. Inespéré. On enjambe les nombreux corps affalés un peu partout, vaincus par le soleil (ou la fatigue, ou les deux), pour aller faire un petit coucou à Baroness et vérifier que les riffs déferlent. Ça a l’air de bien se passer mais autant prendre une bière, aller voir un tout petit bout de Cro-Mags (soit insuffisamment pour rentrer dedans, malgré les efforts de la montagne de muscles Harley Flanagan) et foncer se placer pour Deftones.

On a déjà connu Chino plus souverain mais le garçon est en forme(s) et sait s’économiser intelligemment quand il sent que ça coince un peu. Le remplaçant de Stephen Carpenter, Lance Jackman, guitariste notamment de Will Haven, assure. On n’y voit que du feu. On regrettera de n’avoir droit qu’à deux morceaux de l’excellent dernier album (le premier et le dernier) mais que de bonheur d’entendre les indémodables « Be Quiet and Drive », « Change (In the House of Flies) » et les classiques plus récents (oui, il y en a, renseignez-vous) comme « Tempest ». Quand c’est violent, on prend. Quand c’est atmosphérique, on décolle. Sans être inoubliable, Deftones fait le taf, ce qui suffit à écraser les trois quarts de la concurrence. We feel like mo(ooooo)re, donc on va aller voir ce que deviennent Mike Muir et ses potes. Suicidal Tendencies a encore subi des changements de line-up depuis ses dernières tournées mais on n’aura pas le temps de vérifier si le dernier en date tient la route. Après l’inévitable « You Can’t Bring Me Down » pour attaquer, on se sent subitement faiblir dangereusement avec les 40 degrés sur la caboche toute la journée, l’enchainement des concerts, le réveil à 6h du mat’… et peut-être un peu le Primavera de la semaine dernière qui pèse encore. Toujours est-il qu’on s’éclipse tête basse, promettant à Mike de ne plus jamais lui faire ce coup-là (bon, en même temps, on l’a déjà vu 12 fois environ). Si on avait su que ce serait pour avoir uniquement le train de 3h30 pour Nantes, on se serait fait violence pour tenir le coup…


Comme l’impression que ça tape encore plus en ce samedi. Le thermomètre menace d’éclater. Le coup de soleil au cou de la veille ne fait pas du bien. On va y aller mollo si vous le voulez bien, d’autant que ce n’est pas la journée la plus chargée (doux euphémisme). Heureusement, les connards de VIP privilégiés comme nous, ont droit à un petit bassin pour faire trempette et faire redescendre de quelques degrés la température corporelle. Ce sera le cas après le concert de Frustration pour notre arrivée sur le site « à la fraiche » à 15h. Les Parisiens qui détonnent un peu au sein de l’affiche, sont fidèles à eux-mêmes avec leur post punk/cold wave, parfois franchement proche du punk sur scène (vous avez déjà vu un circle pit lors d’un concert de Joy Division ?). Entre les morceaux, Fabrice débite connerie sur connerie avec le plus grand des sérieux. Pendant, il déambule nonchalamment alors que ses comparses s’excitent comme des beaux diables. À la fin du show, le bassiste se jette dans le public conquis, feignant de se barrer pour laisser ses potes démonter le matos. Coquinou !

Après notre rafraichissement salvateur, il est temps de squatter la Valley dans laquelle on aurait pu camper tout le week-end. On y passera d’ailleurs quasiment la journée. Les grands gaillards de Pelican poutrent sévère. On n’osera pas dire que Pelican prend son envol (cela nous aurait-il échappé par inadvertance ?) mais la Valley prend cher. On parle souvent de post metal pour le définir, on pourrait se contenter de le qualifier de grosse machine à riffer. Le côté contemplatif souvent associé au post-rock/metal est ainsi enseveli sous une succession de mandales, ne nous laissant jamais le temps de bailler ni de souffler, et travaillant efficacement nos articulations du cou.

Sur la même scène, c’est un public nombreux venu assister à Messa. Le groupe italien monte en puissance, en atteste son excellent dernier album Close, et gagne logiquement en notoriété avec son doom singulier et aventureux porté par une chanteuse charismatique. Vu les mines réjouies à la fin de la prestation, il y a fort à parier qu’on reverra Messa au Hellfest dans les années à venir et une grand-messa sur la Main Stage semble même hautement probable. On ne change pas une scène qui colle des dérouillées et c’est donc au tour de Mono and the Jo Quail Quartet d’avoir nos faveurs une heure plus tard. Un choix effectué au détriment des légendaires Sepultura, n’ayant jamais totalement adhéré à la théorie selon laquelle le Sepultura post-Cavalera est du même niveau que l’ancien et très curieux du rendu live des Japonais. Et dès les premières minutes, les derniers doutes sont balayés tant le son de Mono est monumental, d’une puissance terrible, sans pour autant perdre en précision. On vérifie plusieurs fois que nos bouchons sont bien enfoncés dans les oreilles et on se laisse totalement transporter par ce set extrêmement immersif (vous vous rappelez ce qu’on disait plus haut à propos de Pelican ? Ici, c’est l’inverse). Le mariage fonctionne parfaitement entre les ambiances instaurées par les guitaristes et les cordes de Jo Quail. Les morceaux se succèdent avec force cohérence, comme autant de récits remarquablement construits et l’avant-dernier (?) se révèle même absolument monumental et achève de nous convaincre anéantir. C’est tout penauds qu’on se résout à les quitter pour aller beugler « Roots Bloody Roots » sur la fin du show de Sepultura dans une Altar tellement blindée qu’inaccessible.

Il ne fait plus que 35° à près de 23h lorsque déboulent les vétérans de Social Distortion. Ces gars-là ont sans doute un lien de parenté avec des centaines de groupes que l’on conchie mais eux savaient écrire des PUTAINS DE MORCEAUX TROP COOL. C’est peut-être là ce qui vous différencie, tas de nazes, qui êtes meilleurs au skate qu’en musique. Think about it. La prestation est plus qu’honnête, Dälek assure à la batterie (cet homme est décidément impressionnant !**), Mike Ness est toujours hautement charismatique, et les frissons reviennent à intervalles réguliers, tant ces morceaux sont décidément BEAUCOUP TROP COOL. Et ouais, pas les vôtres. N’hésitez pas à changer de métier. On nous a dit tellement de bien d’Envy en live (sur disque, on valide, sans en être babas non plus) qu’on se devait de vérifier sur pièce. Oui mais voilà, la journée de la veille a laissé des traces, on peine à s’avancer dans cette Valley prise d’assaut et la mise en jambe est un peu poussive. L’expérience tourne donc court car l’envy la perspective d’avoir le train d’1h du mat’, soit 2h30 plus tôt que la veille, est bien trop alléchante. Une journée bien moins éreintante que la veille donc, ça tombe bien la dernière s’annonce dantesque.


On a perdu quasiment dix degrés et personne ne s’en plaindra. C’est avant 13h qu’il faut déjà être sur le pied de guerre pour voir Lysistrata, devinez où ? Sur la Valley, merci à ceux qui suivent. Le trio de Saintes n’a pas pu se produire depuis deux ans et demi, soit deux siècles et demi pour de telles bêtes de scène, mais l’énergie et la cohésion sont là. Le set est en très grande majorité constitué de nouveaux morceaux et il va sans dire que cela donne l’eau à la bouche. Rendez-vous cet automne ?

N’écoutant que notre courage, on a eu envie de tenter une de nos premières aventures black metal, ce qui est assez loin de notre domaine de prédilection. Mais là encore, notre couardise est criante et Regarde les hommes tomber nous a vus vaciller très rapidement. L’équation Temple blindée + soleil dans la face (il ne fait « que » 28°, pas tout à fait froid non plus) et cris rauques aura eu raison de nous. Après un break revigorant boisson anisée-coma à l’ombre, un aller en direction de la Main Stage nous dissuade de nous éterniser devant Jinjer (groupe ayant la particularité de se montrer parfois très enthousiasmant musicalement et agaçant au chant, avec des refrains par trop aguicheurs, guère en adéquation avec la complexité de certaines compos). Aucune réticence en revanche face à Red Fang qui dégage une très grosse impression de maitrise et puissance. Le groupe enquille les tubes lors du set probablement le plus rock’n roll qu’il nous ait été donné de voir durant le week-end (Lemmy – dont la statue hommage est d’une classe inouïe – aurait été fier). Final en trombe sur l’incontournable « Prehistoric Dog » et grosse leçon d’efficacité du quatuor de Portland, Oregon. Rien ne sert de compliquer les choses quand elles peuvent être aussi limpides. Limpide n’est peut-être pas le mot le mieux choisi mais l’arbitrage entre Life of Agony et Down s’effectue sans trop de nœud au cerveau. Life of Agony est un IMMENSE groupe qu’il nous tardait de découvrir sur scène et, après un démarrage un peu diesel, il a confirmé tout son talent et la force de ses morceaux. La setlist accorde une très large place au mythique premier album, River Runs Red. Un choix logique, même si on n’aurait pas craché sur un peu plus de d’équilibre entre les disques (rappelons que les deux suivants sont tout aussi bons, que Broken Valley est également une tuerie et que… tout est bon dans LoA). Deux énormes nazes trouvent le moyen de se barrer après la monumentale « Bad Seed ». Non Mia, « you’re not to blame », des claques se perdent. Ladite Mia Caputo est parfois un peu à l’économie, faisant chanter le public régulièrement, mais livre une prestation des plus généreuses, dans un set qui ne cesse de monter en puissance. Le public clairsemé (beaucoup semblent avoir opté pour Down, ce qui n’est pas le plus gros scandale de l’histoire) est toutefois conquis et se livre à d’impressionnants circle pits sur lesquels on n’aurait pas franchement parié. Voilà un groupe auquel on est extrêmement attachés et qu’on est ravis de pouvoir enfin « cocher ». Vu et amplement satisfaits.

On n’ira pas jusqu’à dire qu’on s’est rendus à KoЯn en trainant davantage les pieds mais on craignait quelque peu que l’affaire s’apparente à la visite d’un vieux papy touchant, sincère mais dépassé. Mais papy n’est pas si vieux, Jonathan Davis a de beaux restes et on préfère largement quand il rabâche ses éternelles lubies (que de tubes, mes cadets !) que quand il est pris d’idées saugrenues (cette reprise de « We Will Rock You » à la fin de « Come Undone » qui n’est déjà pas le morceau du siècle… à quoi bon ?). Un groupe que certains se plaisent à ringardiser qui a pourtant bien de quoi la ramener (bien davantage que certains groupes « indés » insignifiants, qui ont inexplicablement bonne presse). Prestation d’ensemble très convaincante et ce final « Freak on a Leash » / « It’s On! » / « Twist » / « A.D.I.D.A.S. » / « Blind » : PLAI-SIR !

On s’approche lentement mais sûrement de l’épilogue et on réalise que tout cela est passé bien vite. Trop vite et il va falloir reprendre nos vies normales. Mais laissez-nous encore un peu kiffer notre parenthèse infernale. Vient ensuite Perturbator pour lequel on éprouve un peu plus que de la curiosité (même son dernier album qui ne fait pas l’unanimité, Lustful Sacraments, est vraiment digne d’intérêt). Malheureusement, la Valley est bondée et pour s’immerger dans un set très « clubbing » qui s’appuie notamment sur un gros lightshow, c’eût été préférable de se trouver une place au cœur du bordel.

Quelques morceaux d’Alcest plus tard (son impeccable, morceaux convaincants), il faut déjà filer. Pour picorer deux morceaux de Gojira (pas inoubliables, même si ça sent la machine redoutablement calibrée) et surtout filer se placer pour Killing Joke (ce ne fut pas un réel dilemme pour nous mais Gojira en même temps que Coroner et Killing Joke, c’était quand même un peu salaud de la part des programmateurs). Killing Joke est vieux, c’est un fait. Jaz Coleman a 62 ans. Son groupe, 43. Et il faut bien admettre que vu les énormes attentes placées en lui (dû à sa formidable réputation), on espérait un peu plus. Un peu plus fort, un peu plus marquant. Un son plus puissant, un Coleman plus habité et agité. Peut-être que passer en dernier n’était pas le meilleur cadeau à lui faire non plus. C’était juste très bien. Évidemment, quand on a des morceaux de la trempe de « Requiem », « Pandemonium » ou « The Death and Resurrection Show », c’est la moindre des choses. Voilà un autre groupe auquel on est extrêmement attachés et qu’on est ravis de pouvoir enfin « cocher ». Vu et globalement satisfait.

Totalement ravis en revanche d’avoir enfin mis les pieds au Hellfest, d’avoir fêté ses 15 ans dignement, d’avoir bouffé du riff en quantité démesurée, d’avoir vu plus de groupes en deux festivals (le Nos Primavera Sound l’avait précédé) que ces deux dernières années. Notre patience a été mise à rude épreuve, on a bien mérité ça. Et on ne va pas s’arrêter en si bon chemin.

Jonathan Lopez

*À moins qu’il y ait un quelconque rapport avec l’inaction politique de nos chers dirigeants en matière d’environnement ?!

**Je sais que ce n’est pas lui hein, on se détend.

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