Deftones – Ohms

Publié par le 23 septembre 2020 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Reprise, 25 septembre 2020)

Ceux qui suivent l’affaire de loin se disent peut-être que Deftones n’a plus grand-chose à dire de neuf depuis son chef-d’œuvre White Pony, que depuis qu’ils ont trouvé leur style, ils se contentent de répéter une formule qu’ils ne connaissent que trop bien. Et à l’écoute des deux singles envoyés en éclaireur, ils se sont sans doute sentis confortés dans leur erreur. Car oui, “Ohms” et “Genesis” ressemblent à du Deftones. Du bon certes, car bien composé, bien arrangé, bien produit, avec ce dosage méticuleux entre le Yin (Chino Moreno) et le Yang (Stephen Carpenter) deftonien, mais de l’attendu. Pas de quoi faire décoller du siège les mécréants mais de quoi largement satisfaire les éternels admirateurs. En toute honnêteté, même si je me place bien plus volontiers dans la seconde catégorie (malgré quelques réserves de-ci de-là), si j’en avais bouffé neuf des morceaux comme ça, aussi bons soient-ils, je serais resté sur ma faim. Ce fut d’ailleurs ma première impression et il m’a fallu de multiples écoutes pour la faire évoluer.

Le retour aux manettes de Terry Date, l’homme derrière les quatre premiers albums, renforçait si besoin était (non) les attentes. Allait-il avoir une réelle incidence sur le son du groupe, après la déception Gore ? Du point de vue de la production, pas de révolution en vue mais un énorme soin apporté aux arrangements. C’est là d’ailleurs le principal point fort de ce disque : son atmosphère globale, ses ambiances travaillées, l’osmose du groupe, davantage que des refrains inoubliables ou des riffs faramineux (encore que… On y vient).
Si on fait la fine bouche auprès des deux singles qui ouvrent et ferment l’album, c’est que le cœur de(s) Ohms, entre la troisième et la huitième piste pour être précis, est plutôt du genre à marquer au fer rouge. Non seulement, il s’agit de (très) bonnes chansons mais certaines se paient en sus le luxe de nous emporter ailleurs. Du fait notamment de ces idées, d’abord considérées saugrenues que l’on réévaluera peu à peu comme des inspirations géniales.
Il faut ainsi se pincer fort pour croire à ces longs claquements de doigts qui accompagnent le final de “The Spell Of Mathematics” dans un groove d’un autre temps, appuyé par la basse ronronnante de Sergio Vega. Un revirement pour le moins inattendu qui fait redescendre une tension terrible jusqu’alors renforcée par les synthés hurleurs de Delgado. Les synthés, parlons-en. De mémoire de Deftonien endurci, jamais ils n’ont occupé tant de place (ce sont eux qui ouvrent l’album, ils sont omniprésents également sur les refrains de “Error”, “Urantia”, “Radiant City”… et ce n’est pas tout). Après avoir dansé le doo wop comme au bon vieux temps des fifties, surprise encore avec la non moins étonnante “Pompeji” où les chants des mouettes (!) accompagnent de délicieux arpèges avant que la machine ne reparte de plus belle sur un refrain rageur d’un Chino remonté (“Jesus christ, you gave your life but we die in vain”) et ne s’achève sur des synthés inquiétants (oui, encore) semblant sortis tout droit de la brume de Twin Peaks (!!). Sommes-nous toujours en train d’écouter le dernier Deftones ? Oui, bien entendu. Chino alterne comme à son habitude chant clair ultra mélodique et cris de sauvageon en rut. Et il a toujours la grosse classe. Et on est là, errant, bien loin du nu metal, buvant goulument ce mix devenu si familier de post rock/hardcore/metal, synthwave ou shoegaze. Et alors qu’on s’y atttend le moins, qu’on s’est laissé allé à la méditation, bercé par le bruit des vagues et le chant des mouettes, Carpenter décide qu’il est temps de reprendre le bombardement intensif, de savourer sa revanche. Oublié Gore où il ne se sentait pas vraiment à sa place (et nous non plus), le revoilà en mode machine de guerre à nous asséner de riffs terriblement anxiogènes sur l’ahurissante doublette “This Link Is Dead” – “Radiant City”. De la violence pure, quelque chose de terriblement éprouvant et de résolument jouissif. End of the game. Il va falloir rouvrir les salles de concerts, et vite.

Derrière cela, une “Headless” de bonne tenue et une “Ohms” plus qu’honnête n’y changeront rien. Le mal est fait. La seule chose réellement ratée est cette pochette qui nous ferait presque regretter l’achat en format vinyle. Pour le reste, Deftones est là, revenu à sa juste place, Gore est loin, l’avenir s’annonce radieux.

Jonathan Lopez

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