Fragile Figures – See The Charcoal Rats

Posted by on 24 février 2025 in Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Araki Records, 21 février 2025)

Au rang des (bonnes) nouvelles musicales de ce début 2025, le retour de Fragile Figures figurait en excellente position. Trois ans après Anemoia, le duo haut-rhinois revient avec six nouveaux titres toujours inclassables. 

Le groupe définit lui-même, dans sa bio, sa musique comme de la cinematic noise. Manifestant ainsi son goût prononcé pour… le cinéma mais également les arts visuels (peinture, photographie…). L’artwork est à nouveau très réussi d’ailleurs. Leurs prestations scéniques aux visuels évocateurs et soignés, participent ainsi grandement à leur identité singulière dans la scène française. Lors de l’une d’elles, début février, à la fin du set, en guise d’hommage, on pouvait apercevoir le visage figé de Jack Nance, dans le film Eraserhead de David Lynch. Le cinéma, l’esthétique du noir et blanc, même le brouillard produit par la machine à fumée dans la salle des cuves de la brasserie artisanale où se déroulait le concert (décor inhabituel mais excellente mousse locale), tout concourait à l’expérience visuelle de leur musique. 

Ce nouveau disque confirme cette puissance évocatrice. En bon amateur de SF, j’y entrevois souvent des cités tentaculaires, un futur (?) dystopique, des univers froids et déshumanisés, où quelques notes arpégées semblent figer une mélancolie au milieu du chaos ambiant. À l’image de cet « Arachnopolis » final qui nous lance dans un roller-coaster sensitif de plus de huit minutes. Citant au passage le Opening Night de John Cassavetes. La tonalité du disque est résolument sombre. À l’image de leur album précédent, les programmations rythmiques insufflent constamment le sentiment d’une inéluctabilité, d’une urgence vitale, tel un glas froid et millimétré. Il ne faut ainsi pas plus d’une dizaine de secondes d’une boucle comme un compte à rebours pour lancer le rush du premier titre, et single, « Charcoal », paru fin janvier. Parfait condensé du talent du duo. Basse en avant, et une guitare qui trace une ligne de fuite éperdue. Et si une accalmie semble laisser poindre une lumière accueillante en milieu de titre, un nouvel assaut furieux nous jettera à nouveau dans ce train fou. Plutôt Snowpiercer ou Runaway Train que l’Orient Express la locomotive. Une nappe synthétique inquiète installe une tout autre atmosphère sur le début de « Mosquito ». La guitare claire et mélodique dessine un crépuscule dans lequel on avance aussi prudemment que dans le brouillard le plus dense. Avec un orage de guitares qui résonne (bien fort) à l’arrière plan. La langueur de « L’automne » se distille via des guitares dopées à la Big Muff. Les sanglots longs des violons n’ont pas vraiment cours par ici. Et si « Post Industrial Nightmare » ne laisse que peu d’ambiguïté sur notre destin en tant qu’Humanité, le riff principal sonne comme un ultime espoir, un appel à défier le courant inexorable d’un progrès déchainé. À l’heure de l’avènement (mortifère) de l’IA, voici une bande-son parfaite pour balancer quelques grains de sable dans les rouages trop bien huilés du soulèvement des machines. Pas de trace de Sarah Connor pour nous avertir mais une citation du Westworld de Michael Crichton pour ouvrir « I know they’re robots ». L’introduction minimaliste et la pulsation inquiète nous intime de garder les sens aux aguets. Et au milieu du titre, jusqu’alors plutôt calme, l’explosion (pressentie) ne manquera pas de nous renverser. On déambule en fait déjà dans les couloirs sombres qui vont bientôt nous mener dans le labyrinthe d’« Arachnopolis ».

Ce serait enfoncer une porte ouverte que de parler de voyage musical à propos de ce nouveau disque de Fragile Figures. Plutôt d’un Objet Musical Non Identifié, quelque part entre post – saupoudrer punk et/ou rock selon vos envies – et musique électronique lorgnant vers la BO de films. Plutôt dark, les films, hein! On l’écoute autant que l’on l’imagine. Comme la bande annonce d’une BD dystopique de Mathieu Bablet ou la sirène annonçant Le Déluge de Stephen Markley. Et si c’était simplement leur version de la BO de notre présent ? 

Sonicdragao

PS : On ne le dira jamais assez, encore plus en ces temps troublés où ça sabre dans les budgets de la Culture, soutenez vos scènes locales. On y trouve plein de pépites.

La brasserie artisanale évoquée dans la chronique est la brasserie du Grillen à Colmar. 

Soutenez vos commerçants locaux.

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