Fragile Figures – Anemoia
Comme on est toujours à fond sur la nouveauté, cette chronique concerne un disque de… 2022. Il aurait été dommage toutefois de ne pas en parler. Mais il aura fallu la recommandation éclairée d’un Francilien (merci Jonathan) pour que je découvre l’existence de ce duo colmarien, pourtant basé à 20 minutes à peine de chez moi. Les chemins de la découverte sont parfois tortueux. Jusqu’ici, je racontais à qui voulait l’entendre (ou pas) que le meilleur groupe haut-rhinois est Last Train.
Mais l’écoute des 7 titres d’Anemoia, premier album du duo Fragile Figures, va rebattre les cartes. Sur sa page Bandcamp, la description indique Cinematic Noise, suffisant pour intriguer l’amateur de musique instrumentale. Appelez ça post-rock si vous voulez. Le titre de l’album est un néologisme du poète américain John Koenig désignant la nostalgie pour quelque chose que l’on n’a pas vécu (j’ai mené l’enquête). Les mélomanes plus littéraires (que moi) pourront également rapidement reconnaître dans « Trouble Screen », Baudelaire et ses Fleurs du Mal. On se trouve donc bien en compagnie d’une œuvre singulière.
Dès l’introduction de « The Collapsing (parts I & II) », le voyage de 10 minutes qui ouvre ce disque, le style du duo est clairement affirmé. Des pulsations électroniques en guise de batterie, une basse tendue lorgnant du côté du post-punk et des lignes de guitares qui semblent dessiner une ligne de fuite. Vers une destination incertaine. Dans l’urgence. Maîtrisant parfaitement une dynamique post-rock classique, le duo ménage aussi régulièrement des plages contemplatives parfois surprenantes. Au détour d’un sample tiré de la série Wu-Tang: An American Saga évoquant le pouvoir de l’imagination, on découvre ainsi un clavier aux sonorités médiévales, gothiques, au milieu du titre introductif, qui annonce un nouveau crescendo. Pour un auditeur pas forcément amateur de machines et de programmations rythmiques comme c’est mon cas, ce disque est une belle surprise. L’alchimie avec le duo basse-guitare fonctionne à merveille, l’équilibre de la production est parfait. La tension est palpable à chaque instant mais jamais les machines n’écrasent les titres (« Alkaline Cloud »). Sur « Coded in your blood », l’imminence d’un drame inéluctable transpire des paroles de Sasha Andres (actrice… et chanteuse d’Heliogabale), et on comprend mieux à présent la dénomination Cinematic Noise. Des images affluent dans notre tête. Dans les mêmes teintes que l’artwork du disque. « Pulsar » serait une parfaite B.O. pour une course-poursuite dans la cité tentaculaire d’un monde post-apocalyptique. J’ai toujours trouvé le post-rock fascinant à cet égard. A son meilleur, et même sans mots, son pouvoir d’évocation est immense et on se surprend à projeter mentalement toutes sortes d’idées. A l’écoute de ce disque, comme ceux récents de Bruit ou L’Effondras, pour rester dans l’Hexagone, on aimerait pouvoir devenir réalisateur et mettre en image instantanément cette musique. On aurait sans doute un film « Noar », urgent et tendu comme cette basse, véritable fil d’Ariane de ce titre menaçant. Et peut-être une éclaircie, une accalmie au son (presque) apaisé de « Mute », ultime titre qui ralentit pour une fois l’allure. Avec « Trouble Screen » et son introduction baudelairienne, le disque s’offre sur la fin ses 2 titres les moins frontaux et par la même occasion un bel équilibre à l’ensemble.
On aura bientôt l’occasion de croiser Fragile Figures sur scène. Bon, ce sera sur le Territoire de Belfort, décidément les chemins… mais Support your local indie band… everywhere! Avis aux salles du 68 (67, ça va aussi), y’a un truc à faire avec Last Train et Fragile Figures, les deux meilleurs groupes du coin. Je dis ça, je dis rien.
Sonicdragao
NdR : Merci à Mike , guitariste de Fragile Figures pour les informations qui m’ont permis d’enrichir cette modeste chronique.