Fátima – Eerie
Alors que les trois quarts de l’année sont presque écoulés et que l’on commençait (presque) à graver l’année musicale dans le marbre d’un traditionnel classement (I like Tops), voilà que Fátima déboule sans crier gare avec son (déjà) quatrième album. Si vous trainez parfois par ici, vous savez que l’on porte en haute estime le trio parisien. Qui ne chôme donc pas, un an après le Twin Monster Split EP avec Clegane et deux ans après le formidable Fossil, dont le raptor légendaire surveille d’un œil vif ma Batcave personnelle depuis. La chat n’est pas tranquille. Au passage, saluons le nouveau travail assez superbe sur l’artwork. Car, faut-il le rappeler, tout comme votre serviteur n’utilise pas ChatGPT pour commettre ces modestes billets d’intérêts musicaux, Fátima conçoit ses pochettes en DIY. Avec un soin qui confine à l’artisanat le plus pointu. Au temps de la prolifération anarchique de l’IA (beware le soulèvement des machines, jdcjdr), ça mérite d’être souligné. Vous pouvez d’ailleurs trouver sur les réseaux les photos du making-of. Ma préférence reste au raptor (vive les dinos, JR ou pas) mais cet Alien creepy aurait fait un sujet d’études intéressant pour les agents Mulder et Scully. Au chapitre musical, les neuf nouveaux titres de ce disque ne devraient pas trop désarçonner les aficionados du trio. Ce singulier melting-pot d’influences lourdes (grunge, doom, sludge…) et de mélodies orientales fait toujours son petit effet. Car s’il semble parfois facile de leur affubler une étiquette (sur l’intro de l’énervé « Ant Mill », on pense ainsi immanquablement au premier disque d’un certain trio de Seattle), le groupe se faufile habilement dans les méandres de ses influences tout en déjouant leurs pièges. Jamais monolithique ou totalement pachydermique pour les rapprocher du doom canal historique, Fátima module régulièrement le tempo. Capable de gros coups de sang (« Ant Mill », le martial « Cyclops Cave », « Three Eyed Enoch » et son riff cinglant) comme d’envolées plus mélancoliques au gré de mélopées envoûtantes. Tout en conservant un talent que l’on rapprochera du grunge originel. Ce goût prononcé pour les refrains ravageurs. On a le droit de citer aussi Alice In Chains à cet instant. Avec le timbre de voix savamment éraillé du chanteur Antoine Villetti, ils auraient tort de se priver. Tout comme cette capacité à pondre des bangers qui colonise nos tympans durablement. C’est donc avec un plaisir certain que l’on avait accueilli, dès juin dernier, le formidable « Miracle of the Sun », parfait concentré de 4’30 de leur savoir-faire. Le riff introductif et hypnotique semble joué à la cithare, la basse ronde gambade, et les coups de boutoir de la guitare emportent cette voix sur de belles hauteurs… sur les refrains. Schéma classique et bipolaire du loudQUIETloud. Mais diaboliquement efficace.
As I bathe in the sun…
On se surprend ainsi rapidement à chanter (mais assez mal, of course) ce chorus. Il y a de vraies chansons sur ce disque. Immédiates et directes. Mais avec de multiples détails à découvrir au fil des écoutes. C’est lourd, gras, rugueux comme on aime, mais on ne se vautre jamais dans des jams enfumés stoner-doom à la provenance aussi douteuse qu’une tequila de contrebande. La production est parfaite. Il y a l’espace nécéssaire autour du couple basse-batterie pour que l’ampleur des murs de guitares ne manque pas de nous renverser régulièrement. J’aime mes tsunamis de six-cordes avec du souffle, du grain, de la résonance. Sans une compression qui a tendance à effacer les aspérités de la distorsion.
Quand Fátima balance un refrain, on revit ce frisson (adolescent) de la première pédale DS-1 enclenchée sur un power-chord. Le rock n’est depuis toujours qu’une vaste entreprise de recyclage permanent de sa propre histoire (et du blues auparavant). Le trio parisien en offre sa propre version. Intrigante et délicieusement addictive. Si les premières écoutes nous avaient conforté dans l’idée d’un certain statu quo dans la proposition du groupe, force est de constater que ce disque esquisse quelques évolutions notables. Dès l’inaugural « Ceremonies », un clavier échappé d’une paroisse des alentours amène une atmosphère étrange teintée de mysticisme… et de rencontre du troisième type. Ce que le clip de « Miracle of the Sun » ne manque pas de souligner avec la grâce assumée d’un pastiche SF DIY. L’apparition de la Vierge Marie à Fátima* (l’équivalent de Lourdes au Portugal) serait-elle un fake ? Après moult écoutes, le disque apparait ainsi plus aérien et inquiet que son prédécesseur (« Portuguese Man O’War »). La gamme chromatique des artworks aurait pu nous mettre sur la piste. La basse ronde parfois en mode cold-wave bien congelée (cf l’intro curesque du superbe « Hypericum ») est un autre indice. On se prendrait presque à jouer les derviches tourneurs extatiques sur « Mosul Orb » avec ce duo basse-batterie de haut vol, ce petit riff hypnotique et un final sous psychotropes. Objet musical non identifié. Les six minutes rampantes du final « Blue Aliens Wears Wigs » ne feront que renforcer cette impression tenace.
À l’image d’un Mars Red Sky ou d’un SLIFT (NdRC : ou d’un Hangman’s Chair), Fátima confirme, une fois de plus, être un des plus beaux spécimens français dans la catégorie des musiques heavy. Un trio puissant au style étrange. Passionnant et mystérieux. Il se murmure même qu’un homme à la cigarette traine dans l’ombre après leurs concerts (si vous avez la réf). Rien de plus (para)normal.
Sonicdragao
* Une fiche wikipedia existe ainsi sur un certain Miracle du Soleil survenu le 13 octobre 1917 (on est le 9 octobre… jdcjdr musique mystérieuse)