5 chansons, 5 disques par Ventura

Publié par le 5 avril 2017 dans 5 chansons, 5 disques, Interviews, Notre sélection, Toutes les interviews

Quatre ans après Ultima Necat, son monumental troisième album, Ventura nous manque. Notre première rencontre peu de temps après la sortie dudit monument laissait entrevoir que ces messieurs étaient dotés d’une vaste culture musicale, il nous semblait donc fort légitime (et potentiellement intéressant) de discuter de nouveau longuement avec eux, de 5 de leurs morceaux puis de 5 albums de leur choix. Et on y tenait tellement que, faute de mieux, on l’a fait par Skype.

1 – I Keep Starting (Pa Capona – 2006)


C’est un disque que je maitrise un peu moins que les autres. Je trouve que sur cet album, et notamment ce morceau, il y a un côté assez indie rock slacker plus prononcé que par la suite où la prod a pris plus d’importance. Là je trouve que dans l’esprit on est assez proche de Pavement par exemple. C’est ce que vous ressentez aussi ? 

Diego (basse) : moi ce dont je me rappelle de l’enregistrement de ce disque, c’est qu’on a fait ça un peu à l’arrache par rapport aux suivants.

En 4 jours c’est ça ?

Diego : Ouais, 4 jours. Dans ce disque on a vraiment mis tous les morceaux qu’on avait, sans trop réfléchir. Aujourd’hui il y en a quelques-uns que j’enlèverais je pense. Cet effet que tu dis, slacker ouais peut-être. C’était un snapshot de cette période-là, on a voulu enregistrer tout ce qu’on avait.

Philippe (guitare, chant) : j’oserais pas spontanément nous comparer à Pavement, mais c’est un groupe qui m’a beaucoup marqué et qui m’a fait comprendre qu’il y avait pas besoin d’être technique. Dans ce sens-là c’est un groupe totalement essentiel pour moi, parce qu’ils avaient des mélodies incroyables, sans être techniques et tout en étant hyper drôles. J’ai toujours trouvé qu’ils avaient des textes très drôles. C’est un groupe qui personnellement m’a beaucoup marqué. J’ai réécouté ça l’autre jour ça faisait longtemps, et j’ai tendance à oublier que ce groupe a existé et c’est bête parce que c’est vraiment un groupe assez génial.

Et les travaux de Malkmus, vous suivez encore ?

Philippe : J’ai pas réussi à accrocher sur ce que fait Malkmus tout seul. Mais peut-être que je devrais réessayer. Mes goûts changent aussi, peut-être que ça passerait mieux maintenant. Je relisais l’autre jour sur wikipedia la biographie de Pavement et il semblerait que l’essentiel de la biographie de ce groupe repose sur Malkmus lui-même alors que je trouve que sans les autres, il est moins intéressant. Mais j’ai jamais vraiment creusé non plus.

Et pour en revenir un peu à ce morceau et l’album, vous dites que vous avez tout mis c’est à dire qu’il y a des trucs qui datent vraiment ? C’est étalé sur combien de temps à peu près ?

Diego : une à deux années de local. On a écrit tous ces morceaux, certains ont fini sur des splits, c’était y’a tellement longtemps.

Philippe : je crois que quand on a fini, on avait à peu près 17 ou 18 morceaux, une partie a fini ailleurs, le reste a fini sur ce disque. On est allé enregistré ces morceaux pour tourner une page d’une époque. « Enregistrons-les puis passons à autre chose ». C’était une façon de le faire.

Et celui-là vous l’auriez gardé quand même ou j’en ai vraiment choisi un que vous trouvez tout pourri ?

Diego : « I Keep Starting » ? (Hésitant) Ouaaais, ça fait tellement longtemps que j’ai pas écouté ça, je sais pas…

Philippe : tu l’aimais pas, il me semble.

Diego : ouais, il m’a un peu gonflé au bout d’un moment. Surtout qu’on l’avait pas mal joué, l’intro est cool (rires). Elle est toujours chouette.

Ouais y’a un côté un peu bancal, désabusé, c’est pour ça que ça m’a rappelé Pavement je pense.

Philippe : y’a un autre groupe slacker que j’ai beaucoup écouté que j’oublie jamais, c’est Superchunk. Un groupe un peu sous-estimé parce qu’ils avaient de très bons disques. Seam aussi, un groupe très méconnu. Ils auraient mérité d’être plus connus que Superchunk, je pense. C’est vraiment des grosses influences pour moi, des trucs que j’oublie jamais parce que c’est des musiques qui ne sont jamais allées vers la complexité, même si Seam avait un batteur très fin. C’est des groupes qui m’ont beaucoup marqué personnellement.

2 – Issue (split avec Disco Doom – 2005)


J’ai choisi ce titre… que vous détestez aussi je suppose (rires)

Diego : Non, il est cool !

J’aime beaucoup le morceau, je trouve qu’il y a un riff assez « Venturesque » et j’ai un petit faible pour le pont avec la gratte acoustique qui rend le truc vraiment cool… (Philippe n’a pas l’air convaincu) C’est pas une gratte acoustique ?

Philippe : je pense pas que ce soit de la gratte acoustique parce que je crois qu’on n’a jamais…

(Diego l’interrompt) : si, si !

C’est assez inhabituel chez vous, non ? Enfin, s’il y a vraiment une gratte acoustique !

Diego : si, si je confirme je m’en rappelle (rires).

Philippe : ça, c’est typiquement une idée qu’on avait fauchée à Dinosaur Jr. Ça m’avait frappé qu’ils utilisent ça sur Green Mind, je sais plus quel morceau où il y a de la guitare acoustique avec de la batterie derrière, ça déchire. Hum aussi avait fait ça, une espèce de transition entre deux passages électriques et la guitare acoustique qui fait le lien. Et je trouve que c’est une très bonne idée, après je me souviens pas spécifiquement de ce truc, ça fait un milliard d’années que je l’ai pas écouté. En tout cas il me semble que c’est un de ceux que j’aimais le mieux.

Diego : ouais, il était cool. Moi j’avoue je m’en rappelle un petit peu quand même, j’ai de la peine à l’écouter. Peut-être que je trahis quelque chose là mais, au tout début du morceau, faudrait que tu écoutes, quand la batterie commence y a un son très bizarre. C’est un défaut dans l’enregistrement qu’on n’a pas entendu et il est sur ce putain de disque. Quand la batterie rentre, je crois que c’est au niveau de la grosse caisse. J’aime bien ce morceau mais j’avoue que je l’écoute plus du tout parce que l’enregistrement me dérange.

Tu t’en es donc rendu compte une fois que c’était sur bandes ?

Diego : on s’en est tous rendu compte une fois que c’était trop tard, et ça je m’en rappelle très bien.

Et vous avez un peu moins de thunes que Radiohead pour le ressortir en version clean… Il n’est plus dispo d’ailleurs se split, si ?

Diego : on en a deux caisses si tu veux, on t’en envoie (rires).

Vous aviez tourné avec Disco Doom pour défendre ces morceaux-là ?

Philippe : pas spécifiquement avec Disco Doom, non.

Diego : on s’est retrouvé dans des soirées, on a joué une ou deux fois maximum avec Disco Doom.

Parce que j’ai vu que vous aviez repris « Revolution » de Spacemen 3, il y a une vidéo sur votre chaine Youtube. 

Philippe : ça c’était à l’occasion d’un petit festival, une soirée à Lausanne, le Lausanne’s Burning, où il y avait plein de groupes locaux qui à chaque édition jouaient trois reprises sur un thème prédéterminé. Et cette année-là, l’idée était d’étendre cette collaboration avec d’autres groupes suisses et nous on voyait pas avec qui d’autre que Disco Doom on pouvait faire ça. On leur a demandé, ils ont dit oui. On est allé une fois à Zurich où on a joué le morceau qui est donc un riff de deux notes sur 10 minutes puis on a joué ça pendant 2h et on s’est dit que ça le ferait.

Diego : c’est pas très compliqué.

Philippe : si, c’était difficile à faire mais…

Ça peut être lassant.

Philippe : c’était fun.

Diego : ouais c’était cool, y avait 5 guitares non ?

Philippe : oui. 5 guitares, une basse, une batterie. 

Diego : ouais, c’était cool. On était content, en plus on faisait un peu chier le monde parce que tout le monde avait joué 3 morceaux et nous un seul de 20 minutes. C’était une bonne façon à nous de faire chier. On a passé une bonne soirée, c’était cool de jouer avec Disco Doom. En fait, ça nous arrive de les voir, j’ai vu Gabri c’est le chanteur-guitariste, à Dinosaur Jr y a plusieurs mois en arrière. On se voit en soirée, à des concerts en Suisse-allemande… Mais sur scène Disco Doom et Ventura ça s’est très peu fait.

Philippe : en tout cas, je sais pas si tu suis leur carrière mais ils ont fait un disque sous un autre nom c’est juste les deux, Gabriele et Anita, ils ont sorti un disque sous le nom de J&L Defer qui s’appelle No Map et qui est un petit chef-d’oeuvre de rock expérimental lo-fi psyché absolument fantastique. Pour moi, c’est peut-être le disque de l’année dernière. Probablement passé inaperçu mais c’est vraiment un excellent album et je te le recommande chaudement.

3 – It’s Raining On One Of My Islands (split avec David Yow – 2013)


On l’a déjà un peu évoqué lors de notre première interview mais je me voyais mal faire l’impasse dessus, vous vous pincez encore des fois pour y croire à cette collaboration venue d’ailleurs ?

Diego (il me montre une photo) : ouais, on a des photos. On a des petits souvenirs, ici dans le local qui nous prouve que ça s’est vraiment passé. Parce qu’effectivement ça reste encore aujourd’hui un peu une expérience surréaliste.

En plus ce que vous me disiez, c’est qu’on vous avait demandé une liste d’artistes et vous l’aviez pas mis dedans, sans doute parce que vous n’y croyiez pas une seconde. Y avait qui du coup dans cette liste ?

Philippe : Low.

Diego : ceux dont je me rappelle : Alan Sparhawk de Low, on avait mis David Gedge de Wedding Present. C’est les deux dont je me rappelle.

Philippe : PJ Harvey, je sais que j’ai mis PJ Harvey.

Ah oui donc y avait quand même de l’ambition dans vos demandes !

Philippe : on trouvait ça drôle.

Diego : autant y aller quoi. J’avais dû mettre Scarlett Johansson, moi. Mais comme tu dis David Yow c’était pas notre idée, c’était les gens du Lausanne’s Burning au cours de cette soirée durant laquelle on avait fait ce morceau avec Disco Doom. Toute cette bande-là en fait.

Donc vous étiez dégoûtés quand on vous a dit David Yow (rires).

Philippe : en fait, on s’est dit « ouais mortel, allez-y demandez-lui mais ça m’étonnerait qu’il soit d’accord. » Et il se trouve qu’à ce moment-là, il avait le temps, il avait rien à faire, besoin de thunes et il est venu. Il est pas venu juste parce qu’il nous trouvait sympa, il trouvait que ce qu’on faisait était pas trop merdique et parce qu’on lui a payé le voyage et qu’il était payé pour le faire. Ça s’est très bien passé, c’était très cool hein. Mais c’était un peu à l’arrache quand même, j’en ai ce souvenir un peu difficile parce que vraiment à l’arrache. Je suis très fier des morceaux, je trouve qu’ils sont tout à fait cohérents même si voilà c’est pas non plus des trucs que j’écoute tous les jours. Mais je les trouve tout à fait corrects, vu les conditions qui nous étaient proposées, le résultat est vraiment excellent parce qu’on a enregistré les morceaux eux-mêmes à la fin de l’enregistrement de We Recruit. Il restait du temps, on a enregistré ces deux trucs en un soir et lui a posé ses voix au moment où il est venu mais on a manqué de temps pour se préparer.

Quand on a su qu’il venait, on s’est dit « extra ! Si on reprenait les Melvins ? », on avait ce fantasme. Les Melvins ont joué « Night Goat », leur tube, je sais plus où avec lui dans un live, on s’est dit « excellent, faisons ça avec lui ! » et ça s’est révélé être un cauchemar absolu, il n’arrivait pas à poser sa voix… Je sais pas où était le problème exactement mais c’était une très mauvaise idée. On s’est retrouvé avec un nombre de morceaux possibles à jouer extrêmement réduit donc c’était très stressant tout ça. Et les attentes étaient peut-être un peu trop grandes là où on a joué, en plus c’était une période assez merdique de ma vie, j’en ai pas un très bon souvenir. Mais je suis très fier de ce qu’il en reste, ce 45 tours et de la rencontre de David Yow que moi je connaissais pas spécialement bien. Jesus Lizard non plus, et rencontrer ce type qui était beaucoup plus que la figure du clown punk qu’on a l’habitude de voir. Dans l’imagerie « indie rockienne » c’est le showman mais il était tellement plus que ça en vrai que c’était très puissant mais très frustrant parce qu’on a vraiment manqué de temps.

Et vous disiez que vous regrettiez qu’il soit sobre pendant les enregistrements. Pourquoi, il était chiant ?

Philippe : non, il était pas chiant. Lui-même le regrettait, il était sous antibiotiques et il se faisait chier. Il disait « je peux pas picoler, je m’emmerde ». Mais je pense que les morceaux en ont bénéficié, les deux morceaux je les trouve très bien comme ça, je suis pas sûr que ça aurait été mieux… J’aime bien ces morceaux parce qu’on comprend ce qu’il dit, on comprend ce qu’il raconte. C’est pour ça que je trouve ça cool. Quand t’écoutes Jesus Lizard, souvent on comprend pas vraiment ce qu’il raconte. Cet espèce de borborygme… Enfin, je n’ai pas de regret sur le fait qu’il était sobre pendant l’enregistrement. Ça aurait peut-être été plus fun sur les quelques jours de tournée qu’on a faits s’il avait pu picoler mais en même temps…

Je trouve que sur ce titre Diego tu as un son de basse qui fait très Jesus Lizard justement ou Melvins, ce qui n’est pas trop le cas habituellement. Tu as fait cet effort pour que ça marche bien avec Yow ?

Diego : oui j’ai forcé. Et puis on a enregistré ça à la fin de We Recruit donc j’étais avec Serge Morattel et on s’est fait plaisir tous les deux. C’est une Mazette, une pédale française, c’est un mec à Montpellier qui fait ça. On l’avait mis à coin et c’était super. J’aime bien ce son et là c’était l’occasion parfaite pour l’exagérer.

4 – Amputee (Ultima Necat – 2013)


Celui-là aussi on l’a déjà abordé brièvement mais comme le titre est clairement à part dans votre discographie je me suis dit que ce serait intéressant de l’évoquer plus longuement. Vous m’aviez dit que c’est un morceau en deux parties, ça n’a pas été compliqué de raccrocher les wagons ?

Diego : oui il a été enregistré en deux parties. Surtout principalement parce que…

Philippe : pour toi (rires) !

Diego : pour moi ouais.

Philippe : il change d’accordage au milieu du morceau, il descend sa corde.

Diego : c’est vrai et puis pour Mike (le batteur, ndr) aussi.

Philippe : et puis il est long, c’était se mettre une pression inutile de se dire on l’enregistre d’un coup. On a déterminé en studio qu’on enregistrerait la première partie, il y a cette espèce de transition, on fait sonner la note puis on colle ensuite la deuxième…

Diego : c’est une des deux grosses tricheries du disque.

Philippe : ça et le… Comment il s’appelle ? Je sais plus…

Diego : « Body Language » !

Philippe : non (rires), je sais plus… (Longue hésitation) « Nothing Else Mattered » ! Il y a quelques edits sur la batterie. Tout le reste n’a pas nécessité de chirurgie sonore.

Diego : c’est vrai que pour en revenir à « Amputee », le fait de le diviser en deux, ça permettait de – je déteste ce que je vais dire… – ça me permettait d’avoir la meilleure performance. Il est long quoi ! Il est intense, fatigant.

En live, il est assez épuisant du coup ? Vous le jouez quand même, non ?

Diego : ouais sur scène, jusqu’au dernier concert, à chaque fois y avait « Amputee » dans le set. Ouais, moi personnellement je me retrouve dans une espèce de bulle assez intense, et puis ça monte, ça descend, et je suis le truc… J’aime pas utiliser le mot « transe » parce que c’est un peu hardcore mais c’est intense. Je suis vraiment dans une bulle.

Philippe : en tout cas c’est probablement notre morceau le plus exigeant à jouer en live. Celui-là, s’il y a des fautes, je pense qu’on a vraiment l’air con.

Diego : et puis à force de jouer ce morceau on s’est rendu compte que les gens l’attendaient aussi un peu donc s’il y a bien un morceau dans tout le set où faut que ça déchire c’est celui-là. Alors autant mettre toute l’énergie dedans.

J’aime beaucoup dans ce morceau ce côté un peu western au début avec la tension qui s’instaure avant que ça parte en vrille, avant l’explosion, où toi tu te fais canarder de partout Philippe. Et sur « Brace For Impact » il y avait cette intro sifflotée avant que les guitares prennent la relève. Vous avez un faible pour Ennio Morricone ? Ce côté « western » est voulu ou ça n’a rien à voir ?

Philippe : alors déjà le sifflement c’est typiquement le genre de truc que tu trouves super cool sur le moment et qui maintenant m’emmerde…

Diego : moi je suis arrivé un jour et le sifflement était déjà fait… Moi il me dérange toujours pas. J’aime bien. Mais j’étais pas au courant.

Philippe : en fait c’est un hommage à Swell, y’a un disque – je crois que c’est 41 – où le gars tu l’entends rentrer dans son local, ouvrir la porte, monter les escaliers et je trouvais cette idée hyper cool (c’est effectivement 41, sur l’intro bien nommée “In the Door, Up the Stairs”. La pochette de l’album l’illustre d’ailleurs parfaitement, NdR). Je leur ai piquée. Maintenant c’est fait, c’est fait mais ça aurait peut-être été bien de pas le faire. Le côté western je sais pas… Déjà franchement je trouve qu’il y a des trucs pires que sonner western, mais à l’époque où on enregistrait We Recruit, j’écoutais beaucoup Coalesce, un groupe de hardcore de Kansas City qui a fait un disque, Ox, qui a une claire influence western, et comme j’ai beaucoup écouté ce disque c’est bien possible que ce soit ressorti à ce moment-là. Y a d’ailleurs notre morceau « Will Kill For Love » qui, je pense, vient de là. J’ai beaucoup écouté ce disque, qui est un putain de disque d’ailleurs. Faut supporter ça parce que c’est vraiment intense, le chanteur hurle comme un goret. Il a une voix très particulière mais c’est un sacré album, assez monstrueux. Je pense qu’en fait ce disque m’a influencé à ce moment-là.

Et donc le martien qui fait sonner vos disques comme ça et qui transforme vos deux guitares en 12 c’est Serge Morattel, c’est un peu le Steve Albini suisse non ?

Philippe : C’est Serge Mortel (rires) !

Diego : c’est ptet pas le Steve Albini suisse parce que je pense que si tu lui fous une machine à bande, il panique. Lui c’est tout en digital. Mais ouais c’est un magicien ce mec et puis niveau humain c’est un mec tellement drôle, tellement cool… Au bout de deux semaines tu te dis « merde en fait on vient d’enregistrer un album » tu t’en es même pas rendu compte. Pendant deux semaines c’est les vacances. Tu t’es marré avec tes potes. Tu te rends pas compte mais le gars en fait est en train d’enregistrer un album de malade (rires).

Donc lui, il va vous suivre pour le ou les prochains ?

Diego : je pense oui.

Philippe : oui.

Diego : si ça se fait, ce sera avec lui.

Philippe : ça va se faire. C’est un vrai projet, on va le faire. Après la question c’est : est-ce qu’on va sortir un nouveau disque de Ventura, est-ce qu’on va trouver un nouveau nom ? On verra. En tout cas, rebosser avec Morattel c’est en route.

5 – Demons (We Recruit – 2010)


Philippe, j’adore ta façon de chanter sur ce morceau. Sur la fin notamment où c’est hyper mélancolique, ces mots que tu répètes… Un peu comme si t’étais sous les coups à force de te prendre 6 tonnes de guitare. Ce chant-là on ne le retrouve pas vraiment sur d’autres morceaux, je le trouve un peu à part. Ça t’est venu naturellement ?

Philippe : je ne me souviens pas exactement de quoi tu parles, en fait.

Merde, on peut pas l’écouter ?

Diego : je suis en train de le chercher.

Vous connaissez pas bien vos morceaux en fait (rires).

Philippe : c’est surtout que depuis 2 ans on essaie d’écrire de nouveaux trucs. De temps en temps, mon ipod me met des morceaux comme ça au hasard en shuffle. Mais c’est pas ce que je fais vraiment spontanément. Me réécouter. J’écoute beaucoup nos morceaux quand on les enregistre. Pour voir si je trouve des défauts mais le reste du temps je vais pas forcément aller réécouter tout ça.

(Diego met un morceau) : ah non, c’est pas celui-là.

Je peux le trouver sinon, sur votre bandcamp. Bon je vous la mets si vous voulez (rires). (Je cherche péniblement à identifier le fameux passage sur la fin) Le voilà !

Philippe : ah oui, c’est pas délibéré. Ça se prêtait plutôt bien à ce passage en tout cas. Je sais pas. J’ai absolument aucune confiance ni dans ma voix ni dans ma façon de chanter, c’est une torture pour moi de faire ça.

Ah oui toujours ?

Philippe : oui je déteste ça. C’est le plus difficile pour moi, le plaisir il est dans le riff, dans le côté un peu « sismique » du truc. Ce que j’aime c’est ressentir le truc physique. En même temps je considère les morceaux comme jamais finis quand y a pas de voix donc c’est très difficile mais non la voix c’est pas un truc maitrisé. Alors comment t’expliquer pourquoi je chante comme ça là et je le fais pas plus souvent, je sais pas.

En tout cas j’ai le sentiment que t’es allé chercher quelque chose, que t’as voulu exploré des choses différentes…

Philippe : c’est bien possible mais c’est pas conscient. C’est vraiment un truc qu’il faut faire la voix, il faut qu’il y en ait une. Tous nos disques ont été enregistrés dans un laps de temps relativement court, j’ai jamais le temps d’essayer. Je pense que si tu me donnais deux mois de studios, j’essaierai plein de trucs mais on n’a jamais le temps. Là ça doit être un peu un hasard.

Toi qui prend ça un peu comme une souffrance, tu n’as jamais voulu laisser certains titres instrumentaux. Tu penses que ce serait chiant ?

Philippe : c’est un peu paradoxal mais je pense que le fait qu’il y ait du chant, c’est ce qui donne un peu de la personnalité au morceau. On met juste le minimum.

En tout cas il y a toujours ce contraste et c’est aussi ce qui fait votre force. Ce déferlement de guitares et un chant assez clair. Tu ne t’énerves jamais derrière le micro malgré tout le boucan autour de toi. C’est ce qui marche bien aussi, cette pointe shoegaze.

Philippe : Moi je suis un grand fan de mélodies, être là et faire « AAAAAH » (il fait le mec qui gueule), ça m’intéresse pas. Ça n’a pas de sens, il y a bien assez de gens qui le font. Mais j’assume complètement ce côté un peu « pop », il y a un côté très pop dans Ventura. Ça me pose pas de problème j’ai pas d’autre prétention que ça. J’aime la mélodie, donc j’ai pas de raison de chanter autrement. On m’a appelé « bémol » dans mes jeunes années, donc ça refroidit aussi.

Diego (il se marre) : ça l’a marqué putain, il le ressort encore aujourd’hui.

Philippe : oui moi j’ai jamais eu de prétention, il fallait quelqu’un pour le faire. Personne s’est proposé à ma place donc j’ai pris le rôle mais loin de moi l’idée de prétendre que je suis un chanteur. Mais j’aime bien le faire quand je trouve que le texte a du sens. Y a du plaisir à trouver qu’un texte a une pertinence qui fait qu’on peut le rechanter plusieurs soirs de suite sans être complètement annihilé par la stupidité du truc. Je trouve que c’est assez cool, en fait.

5 disques

1 – Dinosaur Jr. – You’re Living All Over Me (1987)

Diego : Bug aurait pu être aussi choisi mais You’re Living All Over Me, y a juste un truc dans ce disque… Moi j’ai découvert Dinosaur Jr. à la sortie de Bug donc je suis revenu en arrière quand Bug est sorti et je sais pas… Tout est tellement bien dans ce disque, et puis avoir découvert ce disque à l’époque… Moi les disques qui m’ont marqué, c’est ceux qui m’ont fait comprendre des trucs. Ce disque-là particulièrement m’a fait comprendre que, on pouvait vraiment être à coin et faire des accords à la basse. Moi Lou Barlow m’a fait comprendre qu’on pouvait faire des accords. Etre tout le temps à la disto et y a pas de problème. Et ce disque vraiment illustre ça. Et puis y a des putains de mélodies. La dernière fois que je les ai vus, c’était il y a 3-4 mois, ils ont commencé par « Tarpit » ! Ah putain… A la fin de ce morceau, j’ai dit à mon pote « c’est bon je peux rentrer » (rires). Je l’ai pas fait, forcément hein. Mais ouais You’re Living All Over Me, c’est mon premier choix. Phil, à toi !

(Pas de relance car on est déjà à près de 40 minutes d’interview et on essaie de passer la seconde)

2 – Failure – Fantastic Planet (1996)

Philippe : c’est beaucoup moins noise, c’est du grunge qui tend vers le rock progressif. Mais c’est un album qui m’a carrément marqué, je pense que c’est un chef-d’oeuvre ignoré du rock des années nonante même si la reformation aura prouvé qu’ils ont quand même récolté les fruits de l’avènement d’internet.

Toi, tu l’as connu dès qu’il est sorti ou c’est après en creusant dans cette période ?

Philippe : je l’ai découvert à peu près quand il est sorti.

T’achetais des disques déjà ?

Philippe : je suis un toxicomane du disque.

Mais pas en vinyle ?

Philippe : si mais plus tard, il est pas sorti à l’époque.

Il a dû être réédité à 35 balles…

Philippe : tu es bien en dessous du prix. C’était 60$.

Donc c’est un des disques qui t’a le plus marqué dans cette période-là.

(Il m’interrompt) Philippe : mais y en a tellement. On en parlait avec Diego avant. Je sais pas, les Cure, The Wedding Present… Seamonsters, Bizarro, j’ai tellement écouté. Pornography, Disintegration, c’est sans fin… On parlait de Bedhead aussi… Whatfunlifewas, un chef-d’œuvre !

Diego : c’est clair que Bedhead c’était sur ma liste !

3 – Beastie Boys – Check Your Head (1992)

Diego : il faut absolument Check Your Head, il faut du rap ! C’est la première zik que j’ai commencé à écouter avant le rock. J’ai un grand frère, y avait des trucs bizarres qui sortaient de sa chambre. Des Jesus And Mary Chain, des Cure, des trucs comme ça mais moi ce qui me faisait bander c’était du hip hop.

T’avais besoin d’un truc plus rentre dedans que ces ambiances froides ?

Diego : ouais et puis les Beastie Boys, Run DMC c’est vraiment les premiers disques que j’ai achetés avec mon argent. Les premiers Ice-T, c’était de la putain de tuerie, Public Enemy… Donc pour moi il faut du rap et je crois que Check Your Head c’est un chef-d’oeuvre du hip hop.

C’est ton album ultime des Beastie donc ? 

Diego : Sans dénigrer les autres ouais. Paul’s Boutique, Ill Communication. Putain quand on y pense, la suite de Check Your Head c’est Ill Communication, il est tellement bien aussi. Mais Check Your Head je me rappelle encore aujourd’hui la première fois que j’ai entendu ce disque, avec Philippe on les a vus à l’époque sur la tournée Check Your Head, moi je m’étais fait piquer ma casquette Check Your Head que je venais de m’acheter. Putain d’enculé… Mais ce concert je m’en rappelle comme si c’était hier. Ils ont vidé la salle d’ailleurs parce qu’ils ont fait du hardcore. La moitié de la salle est partie, et ça reste un des plus grands concerts de ma vie. Donc Check Your Head obligé, sur toutes les listes, y aura toujours Check Your Head (rires). Mais on disait que la liste est sans fin mais c’est le cas aussi dans le hip hop pour moi. On écoutait Vald avant de te parler donc tu vois… Le rap c’est important aussi !

Philippe : c’est une bonne phase pour Vald ça, « le rap c’est important ». « C’est important, petite chatte ! » (rires).

Donc vous aussi ça a dû vous faire quelque chose quand MCA est mort…

Diego : m’en parle même pas. Ouh ça a été très dur ouais. Enfin, pas très dur mais c’est un décès qui m’a touché, vraiment.

Philippe : moi pas. J’ai pas ce rapport-là. Je suis triste mais c’est la vie. Je suis triste parce que c’est la fin de Beastie Boys. C’est con mais c’est surtout ça qui fait chier. Le fait que le gars meure… Des gens meurent tous les jours. On s’en tape complètement, je vais pas m’offusquer plus de sa mort que de celle d’autres. Je prétends pas avoir raison mais ça m’a pas plus touché que ça, j’aime les Beastie Boys comme un groupe. Le fait qu’il meurt ça me semble dans la logique des choses.

Diego : tu sais que j’ai appris l’autre jour que mon frère n’a jamais vu les Beastie Boys en live !

Moi aussi et je suis bien dégoûté !

Diego : ah ouais surtout qu’en live, mamama…

4 – Pantera – Far Beyond Driven (1994)

Diego : Bon, ça manque de metal…
Philippe : Far Beyond Driven de Pantera !
Diego (rires) : j’y ai pensé aussi. Il faut du metal, je suis d’accord pour ce disque.

Il fait l’unanimité chez vous deux ?

Philippe : Pantera ouais, dans le genre… La pochette originale du disque c’était un cul qui se fait défoncer par une vis. C’est tellement approprié comme pochette. Il déchire cet album ! Encore aujourd’hui je suis surpris par sa brutalité. C’est un chef-d’oeuvre.

Diego : et puis il y a un côté redneck.

Philippe : c’est un disque de paysan oui.

Diego : ça devait être bien raciste Pantera (rires). Et ça s’entend, y a un truc vraiment ricain.

Philippe : un disque de bouseux oui ! Je considère pas ça comme une influence mais il m’a vraiment marqué.

Diego : cette grosse caisse qui sonne comme la caisse claire. Ce batteur c’est quasiment lui qui enregistrait les Pantera. Pour avoir ce son de merde, forcément il les enregistrait lui-même ses disques (rires).

Philippe : mais ils payaient quand même Terry Date.

Diego : oui y a eu Terry Date derrière. Mais en parlant de mort ça aussi ça fait chier, plus jamais de Pantera ! Quand il s’est fait descendre, mourir comme ça, c’était assez surréaliste… Je m’étais dit « merde, plus jamais de Pantera ! ».

Et t’aimais bien encore leurs derniers trucs ?

Philippe : ah non ça c’était deg (rires) ! Un des plus mauvais trucs que j’ai jamais entendus de ma vie c’était dégueulasse.

Diego : je crois que c’est encore pire maintenant ce qu’il fait. Bon a eu Down avec Phil Anselmo.

Philippe : les deux premiers sont bien ouais.

Diego : ouais ça c’était cool. Mais Pantera c’était mieux quand même ! Tous les ans aux States y a un Dimebag Darrel day, une journée hommage.

Philippe : THE Dimebag day !

5 – Hum – Downward Is Heavenward (1998)

Diego : c’est super bien Hum.

Philippe : si je devais citer qu’un groupe, ce serait celui-là je pense. Ils ont fait 4 albums, un premier qui a rien à voir avec le reste, le 2e qui s’appelle Electra 2000 qui est un peu monolithique, ensuite ils ont fait You’d Prefer An Astronaut sur RCA qui a été enregistré par machin Cleversly (Keith, ndr)… Ils ont eu un tube, « Stars », j’aime bien ce disque, y’a des putains de morceaux mais pas « Stars ». Celle-là je peux plus l’entendre. Et après ils ont fait Downward Is Heavenward. Un disque de 10 titres, il a pas eu de succès, c’est un de ces disques un peu oubliés mais qui est assez incroyable. Je me suis pris une monstrueuse baffe quand il est sorti et il reste aujourd’hui sans équivalent, je trouve. Ils avaient les moyens hein. Serge Morattel disait en lisant les crédits du disque quand je lui ai apporté que de sacrées pointures ont travaillé dessus. Y a qu’un groupe sur une major qui obtient ce genre de conditions. Ça s’entend, le disque est vraiment incroyable.

Diego : je crois que quand on écoute Hum, on comprend l’influence que le groupe a eu sur Philippe. Le son de gratte, les idées de riffs… Des fois c’est une espèce de blague ici dans le local…

Philippe : des fois c’est gênant, oui (rires).

Diego : des fois, je me fous de sa gueule, en disant « putain, c’est vraiment du Hum ! ». Je suis content qu’il parle de ce groupe parce qu’à mon avis, s’il faut vraiment citer une influence de Ventura, c’est Hum. Y en a plein d’autres mais…

Philippe : oui, une, c’est celle-là !

Entretien réalisé par Jonathan Lopez

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