St. Vincent – All Born Screaming

Publié par le 29 avril 2024 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Total Pleasure Records, 26 avril 2024)

Mettons tout de suite les points sur les i : ceci n’est pas l’album metal/grunge/hardcore de St. Vincent. Les fans de la chanteuse/autrice/compositrice/multi-instrumentiste et désormais productrice ont peut-être cru voir dans les deux premiers extraits partagés en guise de singles, « Broken Man » et « Flea », une sorte de connexion avec « Krokodil », un morceau assez énervé qu’elle avait sorti en single il y a une dizaine d’années, au moment où elle avait également repris « Kerosene » de Big Black et peu avant de monter sur la scène du Rock’n’Roll Hall of Fame avec Dave Grohl et Krist Novoselic pour reprendre « Lithium » de Nirvana. C’est peut-être d’ailleurs la présence de Dave Grohl sur ces deux morceaux qui aura laissé présager un disque plus brut de décoffrage. Si c’est le cas, disons que c’est plutôt de l’ordre de la symbolique, au même titre que cette couverture très « rock », qui tranche sans doute un peu avec le côté sépia 70s de l’album précédent, Daddy’s Home. Pourtant, il ne faut pas attendre plus d’une minute trente de cet All Born Screaming, sur l’inaugural « Hell is Near » (encore un titre en trompe-l’œil) pour se retrouver en eaux connues avec une basse joliment funky et une batterie assez smooth, typique de la décennie au cours de laquelle des gens comme Curtis Mayfield ou Led Zeppelin sortirent leurs plus grands classiques.

Pourquoi a-t-on alors l’impression que ce disque tourne le dos à son prédécesseur et se présente comme un return to form ? C’est avant tout une histoire de production. Si Daddy’s Home était globalement brumeux, All Born Screaming se veut immédiatement très « ligne claire », avec un son bien net, presque tranchant. La mélodie aussi est simple, accrocheuse et ne s’embarrasse pas vraiment de détail. Si vous trouvez que l’album précédent manquait de tubes, alors, on sent que celui-ci va se rattraper. Et c’est vrai que toute la première partie est un véritable festival de hooks, de lignes mélodiques faciles à mémoriser, parfois au point qu’on croit déjà avoir entendu certaines choses. « Broken Man » chasse sur les terres de Queens of the Stone Age sans vraiment revêtir un aspect metal ou même stoner ; l’intro de « Big Time Nothing » ne manque pas de rappeler « Army of Me » de Björk ou certains singles de Garbage ; on pense encore à Björk avec l’intro de « Violent Times » et ses cuivres harmonisés, mais le reste, dans l’esprit John Barry et avec une mélodie très François de Roubaix nous renverrait plutôt aux débuts de Goldfrapp. Alors, oui, on semble se situer dans la période 1995-2000 mais sans vraiment l’air de nostalgie qu’avait Daddy’s Home. All Born Screaming est peut-être juste une ode à une époque où le rock, acoquiné avec l’electro, trustait la première place des charts.

Si l’album est un tour de force, c’est que malgré les emprunts et les références que je viens de mentionner, ainsi que la liste d’invités du disque – outre Grohl sur deux titres, on trouve des interventions du désormais membre des Foo Fighters Josh Freese, de Justin Meldal-Johnsen qui a joué avec Freese dans Nine Inch Nails ou de la décidément omniprésente Cate Le Bon –, il est avant tout l’œuvre de sa principale maîtresse d’œuvre. La patte d’Annie Clarke est en effet présente dans chaque note jouée, même quand elle ne le fait pas elle-même, et c’est sans doute ce qui fait que le disque ne se cantonne pas à un style ou à une suite de chansons « à la manière de » mais représente bien l’ensemble des facettes de son talent. Sur la fin, on a même un morceau de reggae, « So Many Planets », et un morceau-titre qui rappelle le pop punk de No Doubt (sans blague), du moins dans sa première partie. Peu d’artistes arrivent aujourd’hui à faire un disque de « variété » et quelque part on pense à des groupes comme les Beatles, Bowie ou Queen qui pouvaient pasticher un très grand nombre de genres, parfois sur un même disque, tout en restant suffisamment eux-mêmes pour ne pas qu’on le leur reproche.

Si on ajoute à cela que le disque, assez court, ne connait aucun temps mort, on se dit que c’est vraiment carton plein pour Annie Clark, qui s’approche donc de son meilleur niveau, celui de Strange Mercy (2011) ou de Masseduction (2017). Mais alors, comment se fait-il que malgré toutes ces qualités, je n’arrive à m’enthousiasmer pour cet album avec la même ferveur pour les deux disques que je viens de citer ? Je crois qu’il y a deux raisons à cela. L’une est interne, l’autre contextuelle. La raison interne, c’est que ce qui me manque un peu sur ce disque, c’est une forme de fêlure, une ballade du niveau de « New York » ou de « Year of the Tiger » qui viendrait un peu trancher avec l’efficacité des autres titres. La raison contextuelle, c’est qu’à l’instar de mon collègue et néanmoins ami Max, je suis depuis quelques semaines terrassé par le génie de Patrick Flegel et de son septième album sous le nom de Cindy Lee. Alors, désolé, Annie, mais cette fois, ce n’est pas vraiment toi, c’est nous. Ce qui ne nous empêchera pas de nous ruer dans les salles de concert si St. Vincent vient à porter cet excellent album sur scène – en espérant qu’elle ne se contente pas de la tournée des festivals européens.

Yann Giraud

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