Zahn – Adria
Il y avait de quoi être inquiet quand, dès les premières secondes, retentirent tour à tour une boîte à rythmes désuète et un synthé assez cheapos. Céder à l’angoisse pour si peu n’est toutefois pas le genre de la maison et ce serait mal connaître Zahn, un groupe que nous connaissons bien maintenant. Nous savons qu’il n’en est pas à son coup d’essai et que les membres qui le composent ont un CV qui parle pour eux. Nic Stockmann (batterie) et Chris Breuer (basse) forment la section rythmique chez Heads., où ça tabasse dru. Felix Gebhard joue de la guitare chez Einstürzende Neubauten en live, où ça doit filer droit. Pour situer. Chez Zahn toutefois, l’équation est tout autre.
De cette pochette déjà, se dégage une irrépressible envie d’évasion, pas tout à fait ce qui venait à l’esprit chez les groupes sus-cités. Zahn exècre le surplace, la prévisibilité. Il veut de l’espace, beaucoup d’espace, il cherche à scruter l’horizon, guetter le grand large, dévorer des lignes droites interminables sans personne devant, laisser libre cours à sa liberté et sa créativité… Et sa musique est bien plus retorse qu’on pourrait l’imaginer. La quiétude est parfois de mise comme sur la très ensoleillée « Tabak » ou la passionnante « Schmuck », entre electro et psyché façon Darkside (of the force). Mais lorsqu’elle est trop évidente, c’est qu’il y a anguille sous roche. Et cette anguille surgit plus souvent qu’à son tour et nous glisse systématiquement entre les mains lorsqu’on pense l’avoir enfin cernée.
Après l’introductive « Zebra », « Zehn » emprunte ainsi un tout autre braquet et se pointe avec une ligne de basse qui fait planer l’incertitude et grimper allègrement la tension. La guitare ne fait jamais le détour pour rien. Lorsqu’on l’entend, c’est qu’elle a des choses à clamer. Avec insistance. Si Zahn est capable d’instaurer de manière inattendue une ambiance western sous un soleil de plomb avant de repartir bouffer l’asphalte dans un final à toute berzingue (« Zehn » toujours), il sait également se fâcher très fort et nous rappelle ainsi par instants le fabuleux dernier album de Genghis Tron (« Faser » qui fracasse sans retenue, « Velour » chargé en plomb mais non dépourvu de légèreté).
Au cours de cette heure vingt d’un périple aventureux, entre post rock/metal, kraut et noise, aussi planant que vivifiant, fait de dérives, d’égarements, d’accélérations brusques et de redescentes hallucinées (idéale « Idylle »), Zahn fascine et nous incite à abandonner tout repère. Il a ainsi l’immense mérite de nous rappeler ce qu’on vient souvent chercher – et que l’on trouve rarement – lorsqu’on découvre un nouveau disque.
Jonathan Lopez