Tricky – Fall To Pieces

Publié par le 6 septembre 2020 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(False Idols/PIAS, 4 septembre 2020)

Rares sont ceux qui frétillent à chaque nouvelle sortie de Tricky avec autant d’entrain qu’à ses débuts. Les plus belles œuvres du fascinant producteur britannique sont très probablement derrière lui, ce qui ne l’empêche pas de continuer de nous abreuver et parfois, de faire mouche (on garde notamment un très bon souvenir de Adrian Thaws, sorti en 2014).

Pour ce nouvel album, on ne tarde pas à s’apercevoir d’un détail qui n’en est pas un et fait toute sa singularité : la plupart des morceaux sont très courts (seuls trois excèdent les trois minutes). A-t-on affaire pour autant à un disque paresseux ? Pas tout à fait. Plus qu’une série d’interludes dénuées d’intérêt, Fall To Pieces semble constitué de fragments divers et – relativement – variés. 28 minutes seulement, au cours desquelles on picore et savoure des instrumentations travaillées, à dominance sombre. Tout sauf un hasard puisque ce disque est né dans un contexte excessivement douloureux : en 2019, Tricky se mettait au travail pour surmonter le deuil de sa fille Mina. En résulte des morceaux brumeux comme “Close Now” et son addictif “don’t let it get you down” répété comme un mantra, aussitôt suivi d’un “Running Off” qui semble d’abord vouloir nous emmener vers des contrées latines avant de se recroqueviller sur une basse maousse et de s’éteindre peu à peu. Comme s’il s’interdisait toute légèreté. Nonobstant un beat et une basse dubby sur “I’m In The Doorway”, l’ambiance est donc pour le moins morose et le timbre de Marta Złakowska (présente sur la quasi totalité du disque) se prête idéalement aux idées sombres de son producteur (on pense à “Like A Stone” ou “Throws Me Around”, sur lequel elle est parfois plus proche du murmure que du chant).

Tricky lui laisse volontiers le champ libre et daigne rarement donner de la voix. Parmi ses quelques interventions éparses, l’excellent “Hate This Pain” où une boucle de piano rudimentaire et un violoncelle nous invitent au comptoir avec ce dernier semblant ressasser son malheur, noyé dans un verre de whisky (“what a fucking game, I hate this fucking pain“). Sommet indéniable du disque, il couronne une première partie d’album de haute tenue, lequel s’essouffle peu à peu, pas au point de susciter l’ennui mais de regretter sa courte durée et de s’imaginer qu’effectivement, il y avait la place pour faire plus, et mieux.

Vous voilà donc avertis. Fall To Pieces est un rien frustrant mais une fois conscients que ce 14e album ne déborde pas d’ambition mais résulte davantage d’un besoin urgent d’expression, il y a fort à parier que vous trouviez votre bonheur parmi ces quelques pièces nées du malheur insondable d’un artiste qui, à défaut d’entrapercevoir ses sommets passés, prouve que son talent demeure intact.

Jonathan Lopez

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