The Murder Capital – When I Have Fears
À l’ère d’Internet, des réseaux sociaux et du tout-connecté, la scène musicale internationale a vu beaucoup de frontières tomber. Sur la foi d’une vidéo balancée sur Youtube, d’un début de buzz, des groupes se font une notoriété, accèdent (trop ?) vite à une exposition qu’ils pouvaient mettre auparavant quelques albums ou années à atteindre. Des scènes locales autrefois longtemps ignorées worldwide se voient offrir un éclairage presque instantané. Après les tornades psyché de quelques australiens cintrés, c’est un vent post-punk régulier et cinglant qui sévit depuis quelques temps outre-Manche, et notamment depuis Dublin l’irlandaise.
Fontaines D.C. avait déjà allumé une belle mèche avec un premier album (Dogrel) convaincant qui va squatter quelques tops de fin d’année. Avec When I Have Fears, The Murder Capital propose son post-punk au romantisme sombre. Titre d’album en référence littéraire au poète Keats, voix grave, basse caractéristique, guitares minimalistes dont chaque note raconte une mélancolie. 2019, c’est pas les 40 ans de l’album Unknown Pleasures de qui vous savez ? C’est pas tombé dans l’oreille de sourds côté Dublin en tout cas. Sans nier l’ascendance prestigieuse, ce nouveau quintet irlandais réussit le pari d’un post-punk moderne, aussi efficace et percutant qu’élégant et poignant. En seulement 10 titres, on en prend plein la tête et le cœur au fil d’un album remarquablement équilibré. Post-punk furibard avec le tubesque « More Is Less », addictif dès la première écoute. “If i gave you what you wanted, you’d never be full“. Pas faux. Dans la même veine bien énervée on trouve aussi « Feeling Fades » ou « Don’t Cling To Life ». James McGovern, chanteur du groupe, la joue petite frappe et sur le lalalala final de « Feeling Fades », ça sent plus la baston dans un pub que le cercle des poètes disparus.
Seulement, nos cinq irlandais ont plus d’une corde à leur arc. Et décoche quelques flèches chargées de mélancolie poignante qui vous transpercent le cœur. « On Twisted Ground », sa ligne de basse ronde, ce minimalisme élégant, ce chant habité. Dans l’obscurité, pendant ces 6 minutes, on regardera quand même derrière soi, histoire de voir si le fantôme de Ian Curtis ne rôde pas dans les parages. Même sobriété hantée, et un piano lugubre sur le spectral « How The Streets Adore Me Now ». Le groupe impressionne par sa maturité, la qualité des textes, sa gestion du silence, parfois lézardé par des guitares plaintives superbes (la doublette quasi instrumentale « Slowdance 1 » – « Slowdance 2 » ou « Love, Love, Love » crescendo qui sent pas la fleur bleue). Côté technique, belle production, sobre, efficace, c’est propre. Ah, c’est Flood derrière les manettes, quand même. Pas l’inconnu du coin. Ce romantisme élégant, un peu dark, n’est d’ailleurs pas sans rappeler PJ Harvey et To Bring You My Love, autre ligne du CV du producteur anglais. Alors, The Murder Capital, promesse en devenir ? Feu de paille de 2019 ? En tout cas, les dublinois ont eu le bon goût de laisser au moins deux pépites aux allures de classiques instantanés en guise d’indice. Histoire de convaincre les sceptiques. « For Everything » qui pose dès le début de l’album les bases du style du groupe. Entre tension sourde et mélancolie élégante. Et « Green And Blue », 6 minutes de haute volée.
Dix titres, ça fait un peu court pour construire une carrière. Laissons-les revenir avec un autre album pour confirmer. Malgré notre ère de l’instantané qui éclipse rapidement toute nouveauté pour la remplacer par une autre, on se gardera quand même de côté ce premier album de The Murder Capital. Pour ne pas insulter l’avenir. Et on cochera la ville de Dublin comme candidate crédible à nouvelle capitale du post-punk. Premier examen réussi en tout cas. Avec mention. Y’a le fantôme de Ian Curtis qui vient de liker.
Sonicdragao