TH Da Freak – Negative Freaks

1993 a été une année, disons, prolifique : sorties d’In Utero (Nirvana), Souvlaki (Slowdive), Siamese Dream (Smashing Pumpkins), Pablo Honey (Radiohead), Rid of Me (PJ Harvey), Undertow (Tool), Last Splash (The Breeders), Houdini (Melvins), Cure for Pain (Morphine) et Where You Been (Dinosaur Jr.). Une grande partie des Tables de la Loi grunge et affiliés était alors transmise au monde par des Moïse dépressifs et plus ou moins sales. 1993 est aussi l’année de naissance à Bordeaux de Thoineau Palis, alias TH Da Freak, pivot de la scène indé locale, qui publie Negative Freaks, son quatorzième disque en huit ans (tout de même) et qui a manifestement longuement écouté le message des apôtres de la fuzz 90’s. « C’est simplement, dit-il, parce que c’est la décennie la plus fun. Les groupes s’amusaient vraiment à l’époque et l’autodérision était un truc méga ancré donc je me sens comme eux ». Pourquoi pas ? Beaucoup l’ont fait et le feront encore, quoi de plus normal, toute la musique post 50’s fonctionnant en cycle.
Ecouter en 2025 du rock indé teinté 90’s reste toutefois assez troublant après avoir soi-même vécu la période et invite deux sentiments : celui de tourner franchement en rond ou de se dire qu’effectivement, « c’est la décennie la plus fun ». Mais, de tourner en rond, il n’est heureusement pas question avec ce Negative Freaks. Car si le modèle/patron est sans conteste la décennie 1990-2000, les coutures sont bien de 2025 et l’album se révèle plus complexe et recherché qu’un simple copier-coller mudhonesque. « WAS Mode », en hors-d’œuvre de luxe, en est la preuve, avant que « Kelso » ne prenne la suite avec une belle âpreté et un refrain très Weezer où on retrouve le clavier pop de Rémi Palis, frère de TH Da Freak. Ce même mélange clavier/power chords est utilisé sur « 7 Pairs of Keys », qui sera aussi la recette, en plus torrentiel, du très bon « Rage Is Consuming Me ». « Infinite Love » s’avère très relevé, entre Grandaddy et Nirvana. « I’m Still » montre le jeu solide du batteur Quentin Plantier avec son intro à la Dave Grohl. Comme sur « Family Time » qui se termine toutes Converse dehors, l’album prend des directions assez inattendues : breaks, claviers, refrains anticipés, guitare tangentes. « Shut It », ballade à une voix, baigne élégamment dans le clavier delayé, que ne renierait pas le Beck des débuts, avant de laisser la (puissante) place à « Lost The Kids », un titre qui parlera aux parents. « White Punk Ass » se chargeant de la conclusion dans une version pop lumineuse et fuzzandée.
TH Da Freak livre en ce mois de mars 2025 un disque qui est aussi l’aboutissement d’une utopie musicale, familiale, régionale. Utopie musicale car Thoineau Palis est une sorte de Jason Lytle (chanteur de Grandaddy) girondin, prolifique, grand adepte du DIY et de la fabrication artisanale lo-fi. Cette sincérité, on la retrouve dans le label/collectif/commune autogéré Flippin’ Freaks monté il y a une dizaine d’années par Thoineau. Utopie familiale ensuite, car la fratrie Palis est la colonne vertébrale de Negative Freaks. Ses deux frères sont des acteurs bien connus de la scène indé bordelaise. Rémi Palis mène donc Animalmore et Siz, pseudonyme de Sylvain Palis, le cadet, est l’auteur d’un très bon premier album. Tout ce beau monde se retrouvant signé sur Flippin Freaks, avec une quinzaine de groupe aux line-ups très flexibles. Utopie régionale enfin, car le fonctionnement de TH Da Freak est symbolique de celui de la scène indé bordelaise où la monogamie n’est clairement pas la tradition. Il n’y a qu’à voir par exemple l’écosystème Juliens Pras, chanteur de Mars Red Sky, celui d’Arthur Satan, de Petit Vodo, Cockpit ou Magnetix, tous officiant dans 150 autres groupes. « A Bordeaux, explique TH Da Freak, il y a des caves. Maintenant, on n’y trouve plus de vin mais des groupes de rock. Des groupes se créent comme ça, et ça finit par former un cercle vertueux ».
Enregistré en seulement quatre jours, Negative Freaks fait une entrée remarquée dans ce cercle, avec sa propre lecture des 90’s : le cool sans le suicide au calibre 20.
Maxime Guimberteau