Steve Von Till – No Wilderness Deep Enough

Publié par le 19 août 2020 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Neurot Recordings, 7 août 2020)

Relatif nouveau venu à la musique de Neurosis, à laquelle je ne me suis véritablement offert corps et âme qu’à partir de l’antépénultième album, Given To The Rising (2007), je place néanmoins le groupe très haut dans mon panthéon. Non seulement, tous leurs disques depuis Souls At Zero (1992) me fascinent par leur mélange de beauté, de violence et de noirceur, y compris les deux derniers que beaucoup de fans du groupe ont trouvé relativement redondants, mais plus que tout je crois que j’aime son éthique, sa manière de dérouler album après album son post-metal lancinant, tout en multipliant les collaborations, projets parallèles et disques en solo. Par exemple, Scott Kelly a tellement contribué aux albums des métalleux de Mastodon que le site The Hard Times (le The Onion de la musique indie) avait fait un post pour dire que le modèle signature Brent Hinds de l’ampli Orange était livré avec une apparition vocale du chanteur/guitariste de la formation d’Oakland. Quant à Steve Von Till, on peut dire qu’il aura contribué à l’un des plus beaux et des plus accessibles morceaux de Converge, parmi d’autres faits d’arme. Et pourtant, à l’heure d’écrire cette chronique, je dois vous faire un bien honteux aveu : sur les disques de groupe, je suis absolument incapable de vous dire lequel des deux chante quelle chanson. Certes, le traitement de la voix dans Neurosis est rarement la priorité. Comme dans les disques de shoegaze, celles-ci doivent être considérées comme des textures, mais quand même : ces deux voix si habitées, je n’ai jamais vraiment été capable de les différencier. Du moins jusqu’à ce que la sortie de No Wilderness Deep Enough m’incite à me plonger un peu plus dans la discographie de Steve Von Till. Et là, un constat sans appel : Von Till, c’est celui des deux qui sonne le plus comme Mark Lanegan. Impossible en effet de ne pas faire le rapprochement avec la voix grave et rauque de l’ex-Screaming Trees. Impossible aussi de ne pas faire le rapprochement avec cette capacité à donner à une ballade acoustique la même intensité qu’un brûlot de rock lourd et poisseux. Von Till n’a pas – à ma connaissance – écrit son autobiographie mais gageons que si un jour il le fait, tout n’y sera sans doute pas rose tant on devine dans ce timbre de profondes cicatrices. D’ailleurs, le titre du dernier album de Lanegan Straight Songs of Sorrow aurait convenu comme un gant à celui de Von Till, et ce n’est rien de l’écrire car en vérité, je dois dire que c’est l’un des disques les plus tristes qu’ils m’aient été donné d’écouter ces dernières années, une tristesse qui diffère radicalement de la mélancolie qui domine habituellement les disques de chamber folk. Fort heureusement pour nous, il s’agit aussi d’une très belle tristesse.

Il faut dire que si j’ai utilisé l’expression « chamber folk » par facilité sémantique, je ne suis pas sûr que l’appellation soit ici des plus adéquates. No Wilderness Deep Enough ne comporte en effet aucune guitare acoustique, l’instrument qui domine pourtant sur tous les précédents disques solos de Steve Von Till. On y trouve parfois quelques touches de piano, l’instrument sur lequel ces chansons ont été composées durant un voyage en Allemagne, mais ce dernier n’est pas utilisé sur l’album comme accompagnement du chant. Il est plutôt là pour apporter quelques touches percussives ci et là. No Wilderness est d’ailleurs un disque de texture. On n’y trouve pratiquement aucun des éléments traditionnels de la musique folk ou rock. Des nappes de mellotron, des sons électroniques, des instruments à vent et à cordes viennent créer un écrin qui met particulièrement en valeur la profondeur de gorge du chanteur, qui parfois susurre, parfois chante de manière plus franche, mais ne pousse jamais vraiment sur sa voix. Malgré tout ce chant est d’une grande intensité. Ce ne sont pas tant une voix qu’on entend mais des nerfs, de la glotte, de la gorge. L’album se compose de six pièces mais j’avoue qu’il me serait difficile de mettre en évidence un morceau plutôt qu’un autre. « Indifferent Eyes », la troisième plage, pour laquelle l’artiste a livré une splendide vidéo, est peut-être la plus accessible, mais je mentirais si je disais qu’elle se démarque franchement de l’ensemble. Par moments, des sons de basse profonde, produits par des sons électroniques, viennent apporter une dramaturgie supplémentaire, comme sur « Shadows On The Run », tandis que certains sons me font penser aux B.O. d’Angelo Badalamenti ainsi qu’à la musique produite ces dernières années par Nick Cave et Warren Ellis tant pour le cinéma que pour les deux derniers albums des Bad Seeds. Les textes, eux, restent très abstraits. Ils invitent à la contemplation et au rapprochement avec la nature. Von Till a d’ailleurs décidé de sortir par la même occasion un recueil de ses poèmes et de ses paroles de chanson, intitulé sobrement Harvestman: 23 Untitled Poems and Collected Lyrics.

Le disque plaira sans nul doute aux fans les plus ouverts de Neurosis – mais ne le sont-ils pas tous s’ils sont vraiment fans du groupe ? – et en particulier à ceux qui ont peut-être regretté que le groupe ait relativement peu évolué depuis une dizaine d’années. Ils ne retrouveront pas le Von Till fougueux de Through Silver In Blood (1996) – celui-ci a-t-il d’ailleurs la moindre envie de refaire surface ? – mais ils renoueront sans aucun doute avec la noirceur et l’intensité des meilleurs disques de la formation. Voyons maintenant si Scott Kelly aura profité du confinement pour offrir une suite à son dernier disque solo en date, ce très beau The Forgiven Ghost In Me qui a déjà huit ans.

Yann Giraud

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