Mark Lanegan – Straight Songs Of Sorrow

Publié par le 6 mai 2020 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Heavenly Recordings/PIAS, 8 mai 2020)

On l’imagine sans peine, le passé de Mark Lanegan déborde de souvenirs pesants difficilement enfouis et de fantômes envahissants ne demandant qu’à ressurgir. 

L’été dernier, il a décidé de s’y replonger courageusement en trempant la plume dans sa plaie, jamais vraiment cicatrisée. Un livre d’abord, suivi d’un disque, celui-ci, qui sortent presque conjointement. S’il jure que l’expérience n’a pas été cathartique, qu’elle n’a fait que réveiller ses démons plutôt que les exorciser, elle a en tout cas permis la naissance de ces quelques chansons, forcément chargées d’émotions, « painful as a heart attack », comme il le chante sur “This Game of Love”. Il nous l’a dit : pas question de composer un Winding Sheet 2 (du nom de son premier album solo), il n’avait pas menti. Straight Songs of Sorrow condense assez bien les influences qui ont jalonné sa carrière solo et permet de mesurer le chemin parcouru depuis ses débuts. Un album long de plus d’une heure, auquel furent conviés bon nombre de musiciens de renom (Greg Dulli, Warren Ellis, John Paul Jones, Ed Harcourt, Adrian Utley, Mark Morton…) mais paradoxalement éminemment personnel… Et un tracklisting qui a dû ressembler à un casse-tête vu la diversité des morceaux. 

L’album débute ainsi par “I Shouldn’t Say”, titre électro expérimental assez proche de ce qu’on pouvait entendre lors de sa dernière collaboration en date, avec le DJ Not Waving. Plus loin, les bleeps et blops se tirent également la bourre sur l’étrange “Internal Hourglass Discussion”. Le beat est enlevé, l’humeur plutôt contemplative.

Mais si ses dernières lubies sont évidemment de la partie (“Bleed All Over”, entrainante et 80s en diable, est tout à fait dans la continuité de Somebody’s Knocking), Straight Songs of Sorrow ne manque toutefois pas d’évoquer également ses débuts avec certains morceaux de folk dépouillée comme « Apples From A Tree », de la trempe de ses toutes meilleures productions ou certaines collaborations avec son vieux comparse Duke Garwood lorsque sa seule alliée se résume à une guitare classique (“Hanging On (For DRC)”). Il est également de notre devoir de mettre en lumière “Daylight In The Nocturnal House” hanté par des chœurs sublimes et achevé par une électricité bluesy qui vient fendre les cieux. Au milieu de la foule d’invités prestigieux (à l’apport pas toujours limpide, confessons-le), une demoiselle se distingue : Shelly Brien qui partage sa vie avec le monsieur et lui renvoie ici la balle de fort belle manière au micro le temps d’un “This Game Of Love” élégiaque de haute tenue.

À l’image de ce dernier morceau, c’est à un autre grand chanteur abimé par le poids des années, influence revendiquée par Lanegan, que l’on pense souvent : un certain Nick Cave. Et notamment le Nick Cave des derniers albums, celui marqué par la mort tragique de son fils. Quelques notes de piano et nappes synthétiques. Autant dire rien, ou si peu. Mais l’essentiel : une voix. LA voix. Et de constater que ce registre lui convient parfaitement, semble quasiment taillé sur-mesure. Entendre Lanegan implorer le (supposé) tout-puissant (« lord don’t you hear me cry, don’t you hear me say goodbye » sur « ChurchBell, Ghosts ») et multiplier les références religieuses (« daylight is coming, all of god’s creature ought to be free » sur “Eden Lost And Found”) ajoute à la confusion. Est-ce un hasard si seules quelques lettres diffèrent entre le nom de l’avant-dernier album de l’Australien et le magnifique single « Skeleton Key », où la même boucle se répète inlassablement sept minutes durant sans qu’on songe à broncher ? Est-ce une coïncidence de retrouver Warren Ellis, Bad Seed en chef, sublimer « Stockholm City Blues » de son violon enchanteur ? On ne croit pas.

Finalement, on peut simplement déplorer que la voix rauque la plus identifiable des dernières années ait quelque peu oublié ses fondamentaux rock. À l’exception peut-être de cette “Ballad Of A Dying Rover”, ballade pour le moins mouvementée et tourmentée où les doutes du bonhomme ressurgissent « I sit up on the graveyard wall, These grounds will be my bed, Wonder when it’s gonna end, my days are numbered. (…) I’m just a man, just a sick, sick man ». Pour un homme à l’article de la mort, il nous parait pourtant très bien portant.

Jonathan Lopez

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