Richard Dawson @ Petit Bain (Paris), 06/06/2025

On ne réussira jamais à bien dire le bien que l’on pense de Richard Dawson. Il existe une incapacité naturelle à appréhender l’ampleur de son œuvre et à retranscrire simplement et honnêtement ce qu’elle évoque pour nous. Il est aisé de verser dans l’emphase et les comparatifs multiples tant sa musique pioche dans nombre de références. Aussi, de par son caractère singulier et de par sa radicalité, l’œuvre de Dawson divise fermement. On trouve d’un côté la horde des indifférents irrécupérables, parmi lesquels quelques-uns ont effectivement écouté le gars en se pinçant le nez et n’y reviendront jamais – ceux-là, ce ne sont pas de pauvres chroniques sur Exit Musik qui les fera changer d’avis. De l’autre, on trouve les convertis, les fanatiques, les témoins… eux ont en commun une adoration sans mesure et une vision très personnelle de ce qu’est la musique de Dawson.
Découvrir cet artiste à nos âges avancés équivaut à retomber momentanément dans nos travers adolescents, quand nous n’avions aucune mesure et que nous adorions ou que nous détestions avec une passion dont on s’imaginait qu’elle était au prix de notre vie… rien de moins. Alors quand on arrive à Petit Bain et que l’on retrouve la poignée d’adeptes de nos amis, on sent qu’il va se passer quelque chose… et quelque chose s’est passé, qui restera longtemps dans notre mémoire.
Le soirée partait pourtant sur des bases inquiétantes. A peine sommes-nous arrivés sur les lieux que la nouvelle nous tombe dessus. Dawson jouera seul, sans backing band, et il a failli annuler à cause de son pied en vrac. Sachant qu’il était annoncé à 22h, nous craignions le pire. Avant lui devaient jouer Naima Bock, Clara Mann et Jake Xerxes Fussell dans le cadre du micro festival Diamond Day. On n’a d’ailleurs jamais réellement su si c’était un festival, ou autre chose… On s’est surtout focalisé sur le fait qu’il y avait beaucoup trop d’artistes susceptibles de vampiriser la durée du set de Dawson, et ce fut le cas.
Objectivement, nous n’avons pas grand-chose à reprocher à Clara Mann et Jake Xerxes Fussell (on a raté Naima Bock), en dehors du fait que, fondamentalement, ils évoluent à un bout de la galaxie musicale quand Richard Dawson évoluent à l’exact opposé de celle-ci. Il est absurde de vouloir les comparer, mais leurs sets étaient bien trop propres et bien trop lisses pour ouvrir celui du Tom Bombadil de Newcastle (NdR : nous recevons un chèque de la Tolkien Fondation chaque fois que l’on compare Dawson à l’aîné sans père). Pendant trois longues heures, on a donc fait des aller-retours entre le pont, le quai et la cale, en jetant une oreille distraite à ce qui se jouait sur scène, sans jamais vraiment tomber sous le charme. Ce n’est pas très glorieux, ni très sympa de notre part, mais bon…

Enfin, le gonze arrive sur scène avec sa patte de cyborg et sa guitare électrique. Le temps s’arrête et tend l’oreille. Débute une longue litanie à la guitare durant laquelle Dawson égrène les notes comme un élève anonnant ses gammes. C’est long… peut-être un peu trop… et l’on ne sait s’il s’échauffe ou s’il nous teste d’emblée. Enfin, ça démarre vraiment, et plus rien n’aura vraiment de sens. On n’est pas sûr de ce que l’on a vu ou de ce que l’on a cru voir. Richard Dawson a démontré sous nos yeux quel « artiste-monde » il était. Avec lui, il est vain de parler de folk, de rock, de prog, ou des choses de cet ordre-là. Sa force d’interprétation est telle qu’on a la sensation qu’il est tout en même temps et que ce que l’on sait de la musique et tout ce que l’on en attend s’incarne tout à coup dans ce petit gars venu d’Angleterre en boitant. Alors que l’on craignait un appauvrissement de ses chansons du fait de l’absence de backing band, nous avons été, au contraire, submergés par l’envergure colossale de celles-ci, alors même qu’elles nous étaient servies crues et frétillantes. Il y a dans le jeu de guitare de Dawson et dans sa manière de pousser son chant à la limite, une vérité qui nous émeut en même temps qu’elle nous percute. Si l’on n’avait aucun doute sur la qualité intrinsèque de ses chansons et sur sa capacité à leur rendre justice sur scène, jamais nous n’avions espéré semblable célébration ni pareille réponse émotionnelle de notre part.
Au-delà de ces considérations somme toute très personnelles, le déroulé du concert ne fut pas sans heurt. Contraint de jouer assis, Richard Dawson ne semble pas à son aise et cherche sa position. Une quinzaine de minutes après que le concert ait débuté, l’ampli guitare rend l’âme et on est obligé de le changer. Les minutes s’écoulent et l’on regrette d’autant plus l’horaire tardif. Considération personnelle à nouveau, sans raison aucune, on le verra au cours de la soirée, nous avions de Richard Dawson l’image d’un artiste taciturne et misanthrope, peu enclin à la souplesse et prompt à la colère. De là, la crainte qu’il n’interrompe purement et simplement le concert à défaut d’une résolution rapide du problème. Finalement, tout rentre dans l’ordre assez rapidement et ce court intermède aura pour effet de totalement le désinhiber, comme si le pire s’étant produit, on pouvait enfin aller à l’essentiel. Dès lors, le concert entra dans l’épique et le légendaire.
Pied en vrac ou pas, c’est un Richard Dawson désormais debout qui nous livre une performance d’une générosité rare, faisant la part belle à son dernier album, le fantastique et ignoré (même par les fans) End of the Middle, mais aussi des titres plus anciens de son répertoire, dont un a capella, pour le plus grand bonheur du public. Nous garderons longtemps en mémoire le visage de cette fille derrière nous, bouche grande ouverte, yeux écarquillés, incapable de cligner, totalement hypnotisée par ce quelle voyait. Les chansons nous arrivent les unes après les autres et l’on découvre alors toute la subtilité de leur structure et l’étendue du spectre couvert par Dawson en seulement deux accords. C’était ce genre de concert rare où l’on a la sensation que tout commence et tout s’arrête simultanément. Entre chaque morceau, Dawson se montre affable et drôle, brocardant Thom Yorke et Slash et blaguant sans retenue avec un gars qui lui demandait de jouer sa chanson « Masseuse » (Peasant, 2017)… il ne la jouera pas, préférant jouer « The Scientist » tirée du même album, mais saluera la requête.
Le concert se termine alors qu’un frisson nous traverse tout à coup. L’espace d’un instant, nous sommes plongés dans une léthargie aussi soudaine que déroutante. À nos côtés, l’amie qui nous accompagnait fond en larmes et autour de nous les yeux sont humides et hagards. La dithyrambe ne tarde pas, chacun ressent le besoin de verbaliser au plus vite son trop plein d’émotions, avant que la réalité ne reprenne ses droits. Depuis lors, le sentiment d’avoir vécu un moment privilégié ne nous quitte plus et l’on mesure, avec le recul, la chance que nous avons de connaître et d’apprécier un tel artiste. Et même si on ne sait pas bien le faire, il nous apparaît plus important que jamais de parler de lui, de dire qu’il existe aujourd’hui et que sa musique est à portée de main, maintenant.
Max