Richard Dawson – End of the Middle 

Posted by on 30 mars 2025 in Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Weird World, 14 février 2025)

Un album de plus pour notre Tom Bombadil perso au moment où nous sommes en train de lire Zanzaro Circus, l’ouvrage testamentaire de Jack-Alain Léger, le traducteur des aventures de ce personnage si particulier de l’univers Tolkienien.

Pourquoi le préciser ? Parce que Jack-Alain Léger était également connu sous le nom de Dashiell Hedayat (NdR : mais son vrai blase était Daniel Théron), coupable en 1971 d’un disque culte, Obsolete, sur lequel on retrouve les musiciens de Gong et la participation d’un certain William Burroughs.

Au moment d’évoquer le dernier né de Richard Dawson, donc, je ne peux m’empêcher de tracer un parallèle entre ses deux artistes qui partagent, outre leur physique rondouillard, une étrange voix de fausset qu’ils usent sur une musique empreinte de prog et de folk, et également un orgueil larvé un peu ridicule, qui ne les rend pas si sympathiques a priori.

La comparaison s’arrête là. Hedayat/Léger a viré facho petit bras sur la fin de sa vie, qu’il a lui-même abrégée en 2013, et il s’est constamment déshonoré à jouer les dandy tartuffe, tel un Patrick Eudeline, plus talentueux certes, mais tout aussi pathétique. Dawson, lui,  est depuis toujours du bon côté du manche, celui des faibles et des victimes d’un monde qui court à sa perte la bave aux lèvres et les yeux striés de sang… Du moins est-ce le cas aujourd’hui, ça va vite ces choses-là.

Maintenant que Trump est à nouveau le maître du monde et que Musk fait le salut nazi en plein meeting politique sans qu’il en soit condamné, ce nouvel album surprend et interroge. Alors qu’on aurait dû s’attendre à un durcissement du ton, ou du moins à une allégorie ferme et implacable du climat ambiant, Dawson, au contraire, calme le jeu et semble s’apaiser tout à coup et prendre une sage distance avec ce qui se passe. C’est du moins ce que l’on a pensé lors de notre première écoute, il n’en sera rien. 

Le titre End of the Middle peut faire écho au vers de Yeats, dans son poème Second Coming : « the center cannot hold ». Le centre ne tient pas, l’équilibre est rompu et l’heure est aux fâcheuses extrémités. En chantant sobrement l’Angleterre bucolique, Richard Dawson souligne en réalité la gravité du moment et l’implacabilité du constat. Les scènes de la vie quotidienne s’alourdissent de sombres nuages, et sur une simple inflexion de voix, un rideau s’écarte sur la déchirure à venir. Plus les écoutes s’enchaînent et plus le malaise s’installe, avec l’impression d’assister à un spectacle de clown délétère qui va forcément finir en catastrophe. Il faut du temps pour arriver à percevoir cette gêne qui finit par prendre toute la place dès lors qu’elle pénètre le flux de notre conscience. Une écoute paresseuse nous fera à peine reconnaître la douceur de façade, et on pourrait même condamner la léthargie supposée si l’on devait ne s’en tenir qu’à elle.

Le moment arrive où sans nous en rendre compte, on passe une journée entière à fredonner : « it could be seconds, it could be minutes, or on a good day maybe an hour » (les premiers mots du titre « Knot »). Alors c’est comme un barrage qui cède et on est tout à coup plein de toute cette musique que l’on écoute depuis des jours. Avec ce genre d’artiste il convient de vingt fois remettre son ouvrage si l’on espère en comprendre l’essence.

Passé ce cap et une fois la température prise, on réalise alors ce qui se joue entre le refrain de « Gondola » jusqu’à celui de « Boxing Day Sales ». L’apparente sobriété de l’ouvrage est bien un trompe-l’œil qui se joue des raccourcis que l’on trace inconsciemment dans notre esprit lorsque l’on écoute un artiste que l’on croit connaître. Des contours apparaissent soudainement et l’on croit enfin voir des formes et des silhouettes familières, avant de se rendre compte que l’on se trouve en fait entouré de miroirs déformants, tout en titubant sur des sables mouvants. End of the Middle est un disque doucement complexe dont les arêtes apparemment émoussées laissent des cicatrices profondes à ceux qui s’y frottent, et c’est toujours avec un certain masochisme que l’on rouvre ce genre de plaies en les grattant trop longuement.

Pour finir, le costume de Wyatt de son époque ne semble pas trop grand pour Dawson dès lors qu’il s’agit de mettre du jazz dans sa folk et du prog dans sa pop. End of the Middle est un cran en dessous de son prédécesseur (The Ruby Cord, 2022) en termes de prouesse technique et de démonstration de force, mais il se montre davantage subtil et grave. Si sa réaction au monde est peut-être moins épidermique que par le passé, elle gagne en conscience et en profondeur. Quoiqu’il en soit, Richard Dawson prouve une fois encore qu’il est un artiste monde de premier plan qu’il convient de redécouvrir à chacune de ses sorties. 

Max

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1 Comment

  1. Salut l’ami ! Belle chronique, qui me donne envie de me pencher sur cet album (le précédent était fabuleux !)

    Benoît

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