Protomartyr – Ultimate Success Today
Protomartyr a toujours été un peu en décalage. Né sur les terres du proto punk (Détroit), le quatuor a choisi de faire du post punk et il semble aujourd’hui se rapprocher de la fin quand le revival du genre bat son plein (ce qui n’est certes pas nouveau mais plus que jamais porteur).
Nul besoin en effet de faire preuve d’une imagination débordante pour envisager ce disque comme leur dernier, pour peu qu’on prête un minimum d’attention aux textes. Entendre Joe Casey déclamer « So it’s time to say goodbye. I was never keen on last words », l’écouter chanter à propos de ce « Day Without End » ne manque pas de soulever des interrogations*… et de susciter bien des craintes. Car si Protomartyr devait s’arrêter là, il nous manquerait terriblement. Le quatuor a beau n’avoir rien inventé, il a un truc de plus que ceux qui recyclent avec talent. Une identité plus affirmée, peut-être. Une singularité plus évidente, sans doute. Ou simplement de meilleurs albums que les autres.
Si la musique de Protomartyr ne manque pas de ce sentiment d’urgence souvent indissociable du punk (et indispensable au genre), elle dégage toujours cette puissante mélancolie qui lui confère une dimension supérieure, et elle est ici peut-être exprimée avec encore plus d’intensité qu’auparavant. L’ajout d’instruments de musique classique (flûte, clarinette, violoncelle…) y est pour beaucoup, bien sûr, puisqu’il viennent renforcer l’impact du chant monocorde de Casey et de ces fameuses guitares qui nous font immanquablement chialer (« The Aphorist », l’outro sublime de « June 21 » et le final déchirant que constitue « Worm In Heaven »). Ce qui ne signifie pas que Ultimate Success Today est le meilleur album de Protomartyr, nous ne serions pas honnêtes envers nous-mêmes si nous écrivions cela. Incontestablement moins immédiat, le disque est également le reflet d’un groupe qui maitrise son affaire mais n’a probablement jamais paru si désabusé. Il y a plusieurs années de cela, on avait pu être surpris que l’imparable « Pontiac 1987 » ne soit pas le single de The Agent Intellect, ici le choix de « Processed By The Boys » qui ne nous faisait ni chaud ni froid au départ, nous parait désormais comme une évidence absolue. Et c’est assez symbolique de ce disque qui, jamais ne cherche à faire étalage de sa toute-puissance et ne se contente de multiplier les assauts (même s’il contient son lot de titres saignants comme « Michigan Hammers », « Tranquilizer » ou « I Am You Now » qui semble emprunter le riff de « Paranoid » du Black Sab’), mais se cherche constamment de nouvelles voies, tout en exprimant cette même anxiété omniprésente, par le biais de cette voix que d’aucuns jugent trop peu impliquée ou pas suffisamment charismatique alors qu’elle est parfaitement à sa place, et qu’on ne verrait personne d’autre mieux faire le boulot.
Alors, l’Ultimate Success est-il pour Today ? Rien n’est moins sûr mais la reconnaissance éternelle semble la moindre des choses pour ces gars-là. Qu’ils s’arrêtent là ou qu’ils nous offrent 5 albums supplémentaires, peu importe au fond. On leur doit bien ça.
Jonathan Lopez
*Nous n’avons d’ailleurs pas manqué de les poser au principal intéressé, c’est à lire bientôt.