Protomartyr @ La Maroquinerie (Paris), 14/09/22

Publié par le 20 septembre 2022 dans Live reports

© Julien Savès

Certains méprisent si viscéralement le post punk qu’ils ne veulent entendre parler d’aucun groupe évoluant dans ce style.

D’autres s’accrochent à celui d’origine, comme des moules à leur rocher, ne jurant éternellement que par Joy Division et Killing Joke, en passant par The Sound ou Pylon pour les plus érudits.

Il existe également une troisième catégorie qui se passionne pour les nouvelles “figures” du genre, celles encensées par les médias, les Fontaines D.C., Idles, Sleaford Mods et consorts, délaissant ainsi les moins exposés, pourtant déjà présents quelques années auparavant (voire les groupes historiques, ce qui est là assez gênant mais tâchons de nous montrer tolérants).

Ces trois profils dominants laissent a priori peu de place à un groupe comme Protomartyr qui n’est ni britannique ni vraiment hype, qui n’a pas la gouaille des uns ou le son clinquant des autres. Toujours est-il que La Maroquinerie affiche complet ce soir-là. Et que le public qui la garnit va donner beaucoup d’amour au groupe de Detroit, qui le mérite amplement.

Joe Casey se pointe, l’allure débonnaire, chemise noire boutonnée jusqu’en haut, veste par dessus… Noire aussi, cela va de soi. Une journée boulot comme une autre. Enfin, pas exactement comme une autre. Son groupe va pouvoir enfin défendre Ultimate Success Today, sorti en plein confinement. La première fois que nous avions vu Protomartyr, c’était quelques jours après les attentats. La soirée avait par conséquent été spéciale, forcément. Un sentiment mêlé de crainte et d’euphorie, une sérieuse volonté de lâcher-prise et une communion réelle et formidablement intense. Une communion impossible à revivre à l’identique évidemment, le contexte étant tout autre, mais l’osmose entre le public et le groupe existe à nouveau. Et règne une atmosphère assez jubilatoire, à mille lieues de ce que ce style de musique peut parfois dégager de sinistre. Après le titre d’ouverture du dernier album « Day Without End », Joe boit une gorgée, ma meuf met ses sunglasses, et nous voilà « going out of style » sur la toujours très enlevée « Cowards Starve ». Le rôle de locomotive est assuré par le bassiste aux faux-airs (oui, vraiment faux) de Big Lebowski. C’est aussi ce qui fait le charme de ce groupe, ils ne sont pas plus beaux que nous et presque aussi cool, alors qu’ils ne font rien pour le paraître. De bons potes. Bien plus talentueux que nous. Aux côtés du Dude, Kelley Deal herself, aux chœurs et claviers, appliquée, presque effacée, se fait toutefois remarquer sur l’envoûtante « Night-Blooming Cereus » taillée pour le live, avant que le « vieux » (2015, tout de même) classique « Devil in his Youth » ne vienne secouer tout ce petit monde (qui a dit « ces petits vieux ?”), ne demandant qu’à s’encanailler.

© Julien Savès

Plus tard dans la soirée, après nous être abandonnés à plusieurs reprises, survient un interminable problème technique (sans doute pas si interminable mais le temps s’arrête dans ce genre de situation), privant le bassiste de son. Notre patience sera dûment récompensée avec l’enchaînement des tubes que sont « Processed by the Boys » (impossible de ne pas visualiser le clip intérieurement) ou « Pontiac 87 » et la somptueuse « Worm in Heaven » du dernier album pour clore le bal. Après avoir fait croire aux plus naïfs qu’il nous quittait, le groupe effectue son retour. Ce n’est certainement pas le plus grand des hasards si le concert s’achève sur deux morceaux de Relatives in Descent (album d’ailleurs le plus représenté) qui, à chaque nouvelle écoute, gagne cinq points de popularité et s’impose probablement comme LE chef-d’œuvre du groupe (ce ne sont que des mots, cessez d’en avoir peur). Chef-d’œuvre donc car plus savamment équilibré que le rageur The Agent Intellect qui dégueulait de titres propres à incendier votre salon (notez que cela fonctionne également avec une Maroquinerie) et le plus fin mais moins frontal Ultimate Success Today.

L’instant le plus longuement gravé restera ainsi celui où retentissent les interminables « She’s been trying to reach you » répétés à l’envi sur fond d’arpèges immaculés pour un crescendo dantesque. Ou comment faire frissonner toute une salle à l’unisson. Déjà entamé par cette batterie militaire immédiatement reconnaissable, « A Private Understanding » a décidément tout d’un grand et vient nous rappeler l’évidence : il s’agit là du meilleur morceau du groupe. Allons même un peu plus loin : top ten post punk ever. Laissez-moi, il ne faut pas toujours savoir raison garder, parfois il faut aussi l’envoyer valser, surtout quand on est un brin éméché.

Après cela, des cris, de la joie, des bières, de l’enthousiasme à la pelle, des conneries scandées torse bombé. Les tracas, le boulot, le covid, tout cela a-t-il la moindre importance ? Ce soir, on aime à penser que non. Le lendemain, notre pauvre crâne nous rappelle qu’on n’est plus si jeunes mais toujours aussi cons. C’est quand déjà le prochain concert ?

Jonathan Lopez

Setlist : Day Without End – Cowards Starve – Blues Festival – Tarpeian Rock – Michigan Hammers – June 21 – Up the Tower – Night-Blooming Cereus – The Devil in his Youth – A Private Understanding – Windsor Hum – Processed by the Boys – Pontiac 87 – Jumbo’s – Worm in Heaven.
Rappel : The Chuckler – Half Sister

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