Nothing – The Great Dismal
On commence à avoir l’habitude. C’est souvent quand on attend le moins un disque qu’il parvient à nous séduire d’emblée, effet de surprise aidant. Je le constate tous les ans au moment de faire mon top, où une bonne moitié des albums retenus sont l’œuvre de nouveaux artistes ou de certains que j’avais ignorés ou boudés jusqu’alors. En 2016, lorsque Tired Of Tomorrow, deuxième album de Nothing, m’est tombé sur le râble, je n’ai eu d’autre choix que de le faire tourner inlassablement et, inévitablement, l’intégrer dans mon top.
Puis est arrivé Dance On The Blacktop (2018), salué un peu partout, et curieusement ça n’a jamais vraiment pris. Comme le sentiment d’avoir affaire à une redite de son prédécesseur, l’inspiration en moins. En dépit de quelques coups d’éclat indéniables, l’album – récemment réévalué, tout de même – demeurait bien moins consistant. C’est donc avec une excitation toute relative, non sans espoir de revivre un nouveau coup de foudre, que je me suis penché sur The Great Dismal.
Et étrangement, alors que le premier single, “Say Less”, ne m’avait fait ni chaud ni froid à sa sortie, il se détache aujourd’hui très nettement dans la hiérarchie des morceaux du disque. Après une très plaisante introduction totalement vaporeuse (“A Fabricated Life”), ladite “Say Less” déboule et Nothing fait alors hurler ses guitares comme rarement, façon My Bloody Valentine quand on ne sait plus trop si on a affaire à des six-cordes ou des sirènes, et il faut admettre que ça a une sacrée gueule. Ça pouvait difficilement mieux démarrer et malheureusement, ça va fort logiquement décliner.
Entendons-nous bien, l’écoute de The Great Dismal est très agréable d’un bout à l’autre, la production est impeccable, le groupe maitrise totalement son sujet (ce n’est pas toujours le signe le plus encourageant…) mais l’écoute demeure un peu passive, on a du mal à se laisser embarquer pleinement. Et on n’est guère plus avancé quand le disque est terminé. La multiplication du nombre d’écoutes y changera-t-elle quelque chose ? Pas sûr. S’il a tout du grower (et il a déjà bien grimpé dans mon estime), cet album part tout de même de bien bas pour combler son retard sur le terrassant Tired Of Tomorrow qui comprenait quelques tubes inexorables. Étonnamment, c’est d’ailleurs davantage du côté de Guilty Of Everything, premier rejeton, qu’on peut trouver des similitudes. On évolue davantage dans un shoegaze éthéré que belliqueux et c’est un peu là aussi que le bât blesse. On plane tranquille mais on aurait bien pris un petit remontant de temps à autre. Dominic Palermo, qui a à peu près tout vécu et plutôt des trucs qu’on préfère ne jamais vivre, est peut-être plus serein aujourd’hui qu’il y a quelques années (il faut le dire vite quand même, son inspiration pour écrire ce disque étant la photo d’un trou noir qu’il avait accroché au-dessus de son bureau…). En tout cas, son chant aérien fonctionne indéniablement mais prend moins aux tripes. La faute aussi à des mélodies moins évidentes. Quant aux guitares, elles ont beau être massives, elles semblent parfois quelque peu engoncées dans ce bourbier shoegaze et peinent à procurer l’effet escompté. Reste de beaux moments (le break assez classe de “April Ha Ha”, “Famine Asylum” qui allie puissance et émotion ou “Bernie Sanders” dont l’intro est bien supérieure à la conclusion de la campagne de ce dernier) contrebalancé par quelques-uns qui ne resteront pas dans les mémoires (le mignon “Catch A Fade” dont la montée/refrain sont assez convenus, “In Blueberry Memories” fort mélancolique mais qui semble issu du manuel du parfait shoegazer, “Blue Mecca” dont le souvenir s’évapore peu après l’écoute).
Quand on se remémore le bijou aussi bouleversant que surpuissant qu’a sorti Hum cette année de manière totalement inattendue, on est en droit de rester sur notre faim. L’effet de surprise, on y revient…
Jonathan Lopez