Les Thugs, Radical History, de Patrick Foulhoux
Il était parfaitement anormal que Les Thugs n’aient toujours pas droit à leur biographie, plus de vingt ans après avoir rangé leurs guitares dans les étuis (ressorties huit ans plus tard, uniquement à la faveur d’une tournée de non-reformation). Il est totalement logique que ce soit Patrick Foulhoux, journaliste rock et passionné de la première heure considérant les angevins comme “ses Beatles à lui”, qui s’y soit collé. Et ce faisant, l’auteur a eu la grande intelligence de s’effacer pour donner la parole aux principaux protagonistes, n’intervenant que pour donner quelques clés de compréhension et resituer le contexte, dans la pure tradition des “oral histories”, comme les indispensables Grunge Is Dead, de Greg Prato ou Everybody loves our town, de Mark Yarm. Deux livres traitant du grunge, genre finalement proche des Thugs, le plus Seattleite des groupes français. S’ils n’ont jamais eu l’aura d’un Nirvana, Les Thugs peuvent se rapprocher dans leur façon de faire et dans leurs chansons formidablement directes et instinctives, d’un Mudhoney, qu’ils ont d’ailleurs eu l’occasion de côtoyer en signant chez Sub Pop.
Mais revenons aux bases. Comme chacun sait, Les Thugs c’est d’abord une affaire de famille. Au sein du groupe bien sûr avec deux, puis trois frères Sourice sur les quatre membres, lorsque Piwaï a récupéré la basse abandonnée par Gérald Chabaud. Il est véritablement question de “famille” également dans leur entourage puisque les collaborateurs proches n’ont guère changé, les fidèles le sont restés, le cercle se limitant à une douzaine de personnes, lesquels constituent d’ailleurs l’ensemble des intervenants du livre, judicieusement choisis pour raconter leurs Thugs, pas celui fantasmé par l’observateur lointain. Après la série de portraits desdits intervenants aussi complète qu’un brin rébarbative, on entre dans le vif du sujet. Et les pages défilent, comme les chansons des angevins. Il n’est nullement question de sex, drugs & rock’n roll ici mais de riffs, d’engagement et de volume maximal. Tous les à-côtés habituels n’ont pas leur place ici, Les Thugs étaient régis par la passion et se sont toujours foutus des futilités, adoptant le DIY comme façon de faire, par nécessité autant que par conviction. D’une passion inébranlable, d’une rigueur parfois stalinienne de leur propre aveu, Les Thugs doivent leur succès aux litres de sueur perdus, aux longues heures passées au local, à la fougue qu’ils imprimaient à leurs morceaux.
“Trop rock’n roll pour la scène alternative et trop destroy pour la scène rock’n roll“, optant pour un chant en anglais, les angevins dénotaient au sein de la scène française et c’est tout naturellement qu’ils sont très vite devenus un groupe international, enchainant les tournées européennes, enregistrant des Peel Sessions (ce que seuls Gong, Magma et Metal Urbain avaient fait avant eux), intégrant des écuries prestigieuses comme Sub Pop ou Alternative Tentacles de Jello Biafra. Et c’est bien outre-Manche et Atlantique qu’ils parlaient le même langage rock, là où ils étaient perçus comme des martiens en France en raison de leur radicalité (chant très en retrait, guitares à fond, tout dans le rouge et supporte qui pourra). Ils ont, de ce fait, eu l’opportunité d’enregistrer avec des pointures comme Steve Albini ou Kurt Bloch… pour des résultats diamétralement opposés. La rencontre avec Bloch fut un véritable coup de foudre, tandis que l’expérience avec Albini s’est révélée bien peu concluante, en raison de la faible implication de ce dernier et du son trop brut de Strike qui demeure pour ces raisons l’album mal aimé par le groupe*. Les dates avec les Breeders, Nirvana ou Girls Against Boys ? Les anciens membres s’en remémorent davantage comme sources de conflits internes plutôt que souvenirs inoubliables puisqu’elles les voyaient se confronter à un autre monde, celui des grosses machines qui ne leur correspondait définitivement pas. Trop d’intermédiaires, trop d’espace avec le public… Trop peu pour eux. C’est aussi ça, Radical History, une grande franchise de la part des acteurs, une humilité de tous les instants et du recul sur le travail passé. L’intégrité des Thugs, prégnante sur disque, apparait également limpide dans les propos recueillis pour ce livre.
Commercialement, Les Thugs n’ont jamais été de très gros vendeurs (à leur apogée, ils vendirent 10 000 exemplaires d’IABF quand les Beru ou Parabellum en écoulaient 20 000 sans forcer), ce n’était pas là l’objectif. Ce groupe qui vidait les salles à ses débuts ne tardera pas à les remplir, se constituant un ensemble de fidèles, restreint mais passionné, ne jurant que par eux. Et ça suffisait amplement à leur bonheur. Aujourd’hui encore, Les Thugs demeurent une référence, un exemple à suivre. Le groupe sera parvenu à exaucer le souhait d’Eric Sourice, son chanteur-guitariste, lequel déclarait “je m’en fous d’être célèbres, j’aimerais surtout qu’on soit mythiques“.
Jonathan Lopez
*Mais ça, vous le savez déjà, vu que vous aviez lu notre première interview de LANE… mais on n’allait pas tout révéler non plus ! Et, de toute façon, vous savez beaucoup de choses puisque vous venez également de lire notre dernière looongue interview de LANE.