Interview – Untitled With Drums
C’est avec Hollow, premier album très abouti, que les clermontois de Untitled With Drums nous ont tapé dans l’oreille. Un disque à propos duquel les références aussi évidentes qu’encombrantes (Slint, Cave In, Failure…) affluent et qui a bénéficié du savoir-faire de Serge Morattel, producteur suisse émérite qui a contribué à bâtir les murs du son de Ventura, Knut et autres Year Of No Light.
Sorti début mars, le timing s’est révélé assez opportun compte tenu des textes sombres qui l’accompagnent et collent tristement au contexte actuel, beaucoup moins pour ce qui est de promouvoir ce disque et le défendre sur scène…
Autant de sujets que nous avons pu creuser en détail avec Martin L.B, homme à tout (bien) faire du groupe, à la fois chanteur, bassiste, compositeur principal et illustrateur.
“J’aimais bien [Le nom du groupe] qui reflétait un peu le côté démo enregistrée à l’arrache dans une chambre sur laquelle on aurait expérimentée. (…) Prendre des démos inexploitées, des riffs au fond d’un disque dur et essayer de leur donner une ampleur qu’on n’aurait pas spécialement envisagée plus tôt.”
Le nom du groupe Untitled With Drums est une référence volontaire à Shipping News, j’imagine (NdR : c’est le nom d’un des morceaux de leur remarquable premier album, Flies The Fields) ?
Oui, c’est un groupe dont on est très, très fans et un des rares qui fait l’unanimité en termes d’influence. Ça ne se ressent pas forcément dans ce qu’on fait mais en tout cas dans la musique qu’on écoute.
Au-delà de ça, il y avait aussi l’idée de souligner l’importance de la batterie dans votre groupe ?
En fait, historiquement ça avait démarré suite à un de mes projets solos qu’on avait agrémenté de personnes différentes avant que ça devienne Untitled With Drums tel qu’il est aujourd’hui. Du coup, j’aimais bien ce nom qui reflétait un peu le côté démo enregistrée à l’arrache dans une chambre sur laquelle on aurait expérimentée. Ça représentait donc bien les débuts du groupe, c’était vraiment le fait de prendre des démos inexploitées, des riffs au fond d’un disque dur et essayer de leur donner une ampleur qu’on n’aurait pas spécialement envisagée initialement. Ce nom-là représentait bien l’idée de ce concept, à mes yeux.
On évoque Slint, Failure, Cave In dans vos influences, moi j’ai aussi envie d’ajouter Deftones (il confirme). Ce sont des groupes qui vous ont bercé ?
Dans le groupe, on vient d’horizons assez différents. Rémi, mon batteur, vient plutôt du post-metal, post hardcore comme Cult of Luna, Isis, Neurosis… Des groupes que j’aime beaucoup aussi donc on s’est pas mal entendus dans le délire heavy, metal… Notre claviériste, lui, vient carrément de la pop, folk… Donc on a vraiment plein d’influences différentes. Les groupes qu’on cite le plus dans les communiqués ou interviews, c’est plus par rapport à ce que notre son renvoie aux gens mais ce n’est pas prévu consciemment de sonner comme tel ou tel groupe.
Pour le coup, le côté pop et folk, on le ressent moins quand même !
(Rires) Oui, c’est vrai que c’est un peu plus obscur.
Au-delà de ça, pour généraliser, vous avez un son très typé 90s. C’est avant tout ce que vous continuez à écouter, ou aussi des groupes contemporains… Ou des contemporains qui font du 90s ?
Moi, j’adore tous ces groupes 90s un peu underground ! Mais le fait que notre musique sonne comme ça, c’est aussi la formule qui veut ça. On n’a pas beaucoup d’outils de production modernes, on est cinq mecs avec des guitares, des basses et des batteries. Faire du rock, c’est un peu 90s aussi ! Je crois que c’est surtout ça qui laisse cette impression.
D’ailleurs, vous avez écouté l’album de Human Impact (NdR : supergroupe avec des membres d’Unsane, Cop Shoot Cop et Swans dont on a dit énormément de bien) ?
Oui. J’ai été agréablement surpris. Mais j’étais un énorme fan de Cop Shoot Cop. Unsane, évidemment aussi. Et je crois qu’il y a aussi un membre des Swans. J’ai adoré ce disque, j’écoutais déjà les singles en boucle avant que l’album sorte et l’album a confirmé mon impression.
Il sonne d’ailleurs très Cop Shoot Cop donc t’as dû t’y retrouver d’autant plus.
Oui, complètement. Je trouve ça très, très cool !
“[Serge Morattel] connait sur le bout des doigts la reverb du couloir qui mène à la cuisine, il va faire sonner des choses en mettant parfois des micros dans des toilettes ! Et ça, c’était déjà drôle de le voir faire, et au final ça marchait tellement bien !”
Pour en revenir à vous, vous n’aviez sorti qu’un EP jusque-là (S/T W/D en 2017) mais votre son a déjà pas mal évolué depuis avec un côté plus lourd et massif sur ce nouvel album. Qu’est-ce qui a motivé cette volonté de changement ?
Au début du projet, on rejouait mes compos et je pense qu’on ne s’était tout simplement pas approprié le projet à 100%. Certains n’y mettaient peut-être pas encore leur dose d’influences ou y allaient un peu à reculons et là, on a plus incorporé tout ça. Rémi, par exemple, qui a donc de grosses influences post-metal, a apporté des plans de batterie beaucoup plus agressifs, des roulés, etc. Le fait de faire des guitares hyper saturées, des murs de son, ça vient de la volonté d’incorporer tout ce qui nous fait vibrer dans les différentes musiques qu’on écoute. Et d’essayer de créer le cocktail d’influences. Je suis malgré tout très content du premier EP, qui a quand même bien tourné puisqu’à la base, ce n’était qu’une démo qu’on devait enregistrer, qui a juste été mixée par la bonne personne, au bon moment. Mais ce n’était pas encore complètement mature dans notre façon d’aborder le projet. Les autres, en tant que musiciens, étaient plus en retrait et pour l’album les compositions ont été pensées pour ces mecs-là, alors que l’EP, c’était des reprises de mes chansons. C’est aussi pour ça que je l’aime beaucoup, c’est très personnel mais je pense que les gars se sont plus épanouis lors de l’enregistrement de Hollow où ils ont chacun pu mettre de leur personne dans le son. Ils sont tous responsables du produit fini et c’est plus cool, gratifiant pour tout le monde et le résultat est d’autant plus singulier et intéressant.
C’est quand même toi qui es arrivé avec les idées de base ou les compos sont désormais plus collectives ?
Non, c’est toujours le cas, je viens toujours avec les compos. Avant, je proposais vraiment des compos finies qu’on rejouait. Maintenant, on a une façon un peu différente d’aborder les choses. Je viens vraiment avec une base, beaucoup d’idées (de tournures, de structures…) que je ne vais pas tout de suite mettre sur le tapis. Je leur propose une base et chacun s’éclate à mettre sa patte, c’est là que tout le monde intervient. Notre musique se crée vraiment quand on se rencontre autour de ce squelette de morceaux et qu’on y incorpore chacun notre style de jeu et nos influences.
Tu évoquais tout à l’heure le nom du groupe qui évoquait le côté démo enregistrée à l’arrache avec très peu de moyens. Là, vous avez quand même bossé avec Serge Morattel qui a plutôt un bon CV… Comment c’était de travailler avec lui ? Est-ce qu’il a des techniques particulières qui vous ont bluffés, par exemple ?
Oui, certains trucs précis m’ont bluffé. Déjà, comme tu disais, son CV en jette en terme de notoriété… Passer derrière des groupes comme Ventura, Year of no Light ou Knut…
Je me demandais d’ailleurs si vous écoutiez ces groupes-là.
Oui, oui. On s’est dirigés vers lui pour ça à la base. Et on savait qu’il était à l’aise avec des formules de groupes un peu délicates, sur le fil. Je pense à Year Of No Light, c’est quasiment orchestral, à enregistrer ça doit être d’une complexité complètement ouf. Là où Serge nous a vraiment impressionnés, c’est qu’il était vraiment fort pour prendre chacune de nos personnalités et parvenir à se connecter humainement avec nous tous pour nous pousser dans la bonne direction. Ce n’est pas la première fois que je note ça chez des ingés-son. Être super attentif humainement pour arriver à extraire le meilleur de leur musique. Parce que nous, quand on est arrivé en studio, on était dans des états de stress pas possibles, on était décontenancés, c’était notre première vraie expérience de studio avec ce groupe, vu que l’EP, on l’avait enregistré de manière plus décousue. Là, c’était donc vraiment l’expérience de studio, et il nous a aidés à la mener à bien. Vraiment très, très fort. Et au niveau du son, ce mec n’est pas un théoricien particulièrement érudit du son, c’est quelqu’un qui a beaucoup de feeling et connait par cœur le lieu dans lequel il enregistre. Ça fait plus de 10 ans qu’il enregistre dans le même lieu (NdR : le REC studio, à Genève). Il connait sur le bout des doigts la reverb du couloir qui mène à la cuisine, il va faire sonner des choses en mettant parfois des micros dans des toilettes ! Et ça, c’était déjà drôle de le voir faire, et au final ça marchait tellement bien ! Il créait des reverb lui-même. Il avait les bonnes intuitions, c’est surtout ça qui m’a bluffé.
Donc au-delà de l’aspect technique, il est parvenu humainement à vous mettre en confiance et vous pousser à vous lâcher, c’est ça ?
Oui, complètement. Il était très fort pour ça. Je pense que ça vient aussi du fait qu’il voit défiler une dizaine ou vingtaine de groupes par an. Il doit faire des catégories de profils de musiciens dans sa tête (rires) : le guitariste timide qui a besoin de tester des choses, de se sentir à l’aise… Il va alors falloir jouer sur le cadre de l’enregistrement, que personne ne soit dans la pièce en même temps que lui, par exemple. Il réussit vraiment à calculer la formule idéale pour chaque personne. Par exemple, avec le batteur, on a enregistré basse/batterie en live. Il a compris que ça ne pouvait pas se passer autrement, qu’il fallait l’enregistrer d’un bloc. C’est lui qui nous l’avait préconisé, il a vraiment appuyé ce choix-là. Il a vraiment réussi à tirer le meilleur de cette formule.
Et le fait d’enregistrer live, c’était d’ailleurs tout nouveau pour vous.
Oui, le précédent, on avait enregistré bout par bout, ce qui est la façon la plus classique. Je n’avais jamais enregistré live avant, même avec d’autres projets. La volonté d’enregistrer live, c’était aussi parce qu’entre cet EP et l’album, on a fait beaucoup de tournées, on s’est rendu compte que notre musique était vraiment une musique de live, qu’elle devait se faire devant des gens, dans des lieux appropriés pour cette musique. C’est là qu’on a su que le destin de ce groupe était de retranscrire un maximum de choses live, c’était donc la base choisie pour l’album. Après, avec toutes les idées de production de Serge, on a dû enregistré des choses à part. Je suis en tout cas très content du résultat et je trouve ça assez fidèle à ce qu’on arrive à restituer sur scène.
J’ai hâte de vérifier ça…Vous aviez beaucoup de concerts prévus qui ont dû être annulés ?
Oui, on avait des dates fin avril qui sautent, évidemment. Une release en mai… On prépare des choses pour juin, octobre. Les plans en octobre sauteront peut-être pour rattraper ceux prévus ces jours-ci. C’est un enfer, surtout que tout le monde est dans la même situation donc tout ce qu’on prépare en avance va être reconditionné par la façon dont ça va se débloquer. On essaie de se concentrer sur la communication en ce moment par le biais des interviews, en mettant en avant le digital car on n’a que ça sous la main. On essaie de mettre à profit cette période où tout le monde a le temps d’écouter de la musique donc on essaie d’attirer un peu l’attention sur nous. On reste quand même bien impatients de défendre l’album ! On ne veut pas gâcher le travail fait en amont et on va essayer de restituer ça le mieux possible.
En plus, l’album est vraiment sorti juste avant. C’est quand même possible de se le procurer ? Des disquaires ont été approvisionnés ?
Oui, à Clermont, on a un peu approvisionné les disquaires. On n’avait pas énormément de copies, j’en ai déposé 20 par disquaire environ. Les commandes sont toujours actives sur le bandcamp mais les délais vont forcément être bien longs…
“[Dans mes textes] je choisis volontairement de mettre l’accent sur des parties un peu sombres, c’est un bon exutoire pour ce genre de sentiments, d’état d’esprit. (…) Exprimer ça dans un morceau, le jouer avec et devant des gens, c’est pour moi la meilleure issue imaginable pour un problème personnel qui pourrait nous ronger.”
Plus généralement, vous le vivez comment actuellement ce confinement ? Comment vous vous occupez, vous jouez beaucoup de musique ?
Je n’ai jamais arrêté mon projet solo, MLB, à côté (NdR : ça s’écoute ici). Je fais beaucoup de musique, j’essaie aussi de démarrer une activité de musique à l’image donc j’expérimente beaucoup, je fais beaucoup de textures musicales, même au-delà du rock, je fais beaucoup de son toute la journée. Et à côté de ça, je suis illustrateur donc j’ai vraiment de quoi m’occuper pendant ce confinement, il n’y a pas de problème ! Je ne sais pas comment les autres le vivent…
Vous ne vous envoyez pas des idées ? Pour le moment, c’est uniquement pour tes projets solos ?
Je travaille toujours beaucoup de matière d’avance. D’autant que maintenant que le groupe est plus figé dans sa formule, que je sais qui j’ai sous la main et à qui je pourrai faire jouer quoi, ça me permet vraiment de me projeter, je vais pouvoir faire mes compos en avance. Et de savoir qui va jouer quelle partie, ce qui sera réinterprété, jouer tel quel, c’est vraiment intégré donc je produis beaucoup de choses. Je ne leur soumets pas toujours mais j’essaie toujours de garder une activité soutenue.
Tes textes parlent beaucoup d’isolement, de deuil. C’est plutôt d’actualité, malheureusement… Ce sont des textes introspectifs ?
Oui, c’est toujours très introspectif mais je ne suis pas non plus si sinistre ! (Rires) Je choisis volontairement de mettre l’accent sur des parties un peu sombres, c’est un bon exutoire pour ce genre de sentiments, d’état d’esprit. La meilleure transformation qu’on puisse en faire, c’est de le sortir, d’arriver à l’exprimer de manière plus ou moins directe. Exprimer ça dans un morceau, le jouer avec et devant des gens, c’est pour moi la meilleure issue imaginable pour un problème personnel qui pourrait nous ronger. Ça permet de le sortir, sublimer quelque chose, éventuellement parler à d’autres gens. Ma façon d’écrire n’est pas très directe, je prends beaucoup de détours, je ne vais pas forcément essayer de hameçonner les gens mais il se pourrait que ça résonne chez certaines personnes. Ça vaut donc le coup, rien que pour ça !
Tu me parlais du fait que tu es illustrateur, c’est d’ailleurs toi qui t’es occupé de l’artwork. C’est ton job à côté ?
Oui, je suis auto-entrepreneur. J’aime beaucoup travailler dans le milieu de la musique, faire des pochettes d’albums…
(Je l’interromps) T’en as déjà signées pas mal ?
L’occasion est assez rare parce que ce n’est pas tous les quatre matins que les gens arrivent à former des projets qui durent, passent la case studio… En général, ce sont des groupes de copains et ce sont toujours des projets qui me parlent musicalement. De toute façon, c’est très lié. Et le fait d’être musicien moi-même me permet d’être assez réceptif, de proposer des esthétiques cohérentes par rapport à ce que font les artistes donc ça se sert un peu mutuellement, c’est assez cool.
T’aurais peut-être plus de mal à dessiner pour un groupe de black metal ou de pop 60s ? (Rires)
Pas forcément car j’aime beaucoup le black metal aussi. Je suis très ouvert musicalement. (Rires)
Mais visuellement, c’est quand même très connoté.
Oui, mais en illustrations, je peux partir sur des trucs trash (rires) donc le black metal rentre aussi dans mon champ d’action !
Et l’exact opposé aussi ? Genre Ghosteen de Nick Cave, ça aurait pu correspondre à ton registre ?
Pourquoi pas ! Ne serait-ce que pour la performance illustrative du dessin qui est quand même beau. L’aspect technique est intéressant dans une telle pochette. Très bon album, d’ailleurs !
Oui, j’ai mis un peu de temps mais finalement je le trouve magnifique… Comme un peu tout ce qu’il fait !
Oui, pareil. Très éthéré par rapport à ce qu’il fait d’habitude mais intéressant.
Puisqu’on parle de grands noms, vous avez déjà partagé l’affiche avec Daughters, Esben & The Witch, Coilguns. Vous avez le sentiment que ça vous a aidé ? Vous en gardez de bons souvenirs ?
Oui, les mecs de Coilguns on s’entend bien avec eux. Ça fait plusieurs fois qu’on les fait jouer à Clermont-Ferrand car on a une petite asso d’organisation de concerts avec Rémi, le batteur. On se nourrit donc un peu de ça. Déjà, ce sont des groupes qui nous parlent et correspondent pas mal à ce qu’on fait et en terme de motivation pure, c’est tellement cool de se retrouver sur la même scène, devant les mêmes personnes qui vont finalement nous évaluer sur les mêmes critères que le groupe qui passe après. Et c’est souvent positif donc c’est très valorisant pour nous. Par exemple, pour Esben & The Witch, on a eu des bons retours sur Paris, on a vendu des disques… On sait qu’on a un petit nombre de personnes qui feraient le déplacement pour venir nous voir et c’est cool. Pour Daughters, c’est pareil, on ne s’attendait pas à ce que ça marche autant et on a eu de bons retours là aussi. En plus, on rencontre des gens, c’est des gros groupes, ça ne va pas les marquer mais ça reste super intéressant de les côtoyer, de voir un peu comment ils sont sur scène, comment ils vivent le truc et de s’en inspirer. On est des gamins, au fond ! On essaie quand même de faire profil bas, de garder nos groupies intérieures sous silence mais ça fait plaisir de jouer avec ces gars. Et dans le pire des cas, on assiste à un bon concert ! (Rires)
Interview réalisée par Jonathan Lopez
Merci à Elodie Sawicz