Interview – Tar Pond

Publié par le 21 décembre 2023 dans Interviews, Notre sélection, Toutes les interviews

C’est peu dire que Protocol of Constant Sadness, le premier album de cet « anti-supergroupe » suisse, avait fait des émules au sein de la rédaction. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Déjà marqué par la disparition de son bassiste fondateur Martin Ain (Celtic Frost) en 2017, Tar Pond a également dû faire face à d’autres changements de line-up avec le départ de Monica Schori (qui avait succédé à Martin Ain à la basse) et du guitariste Alain Kupper, remplacés respectivement par Chris Perez et Daniele Merico. Cela ne l’a nullement empêché de sortir un second album, PETROL, du même calibre que le premier, toujours aussi lourd, sombre, pesant et terriblement addictif. Les deux guitaristes, Stefano Mauriello et le petit nouveau Daniele Merico, ont accepté d’interrompre leur répétition pour se confier sur sa conception, leur nouveau label, les concerts et leurs idoles d’antan. En toute décontraction, sans jamais regarder derrière leur épaule si leur batteur Markus Edelmann (ex-Coroner) validait leurs propos, bien qu’on devine, au gré de la discussion, le poids de ce dernier dans les décisions prises par le quintette.

« Notre musique parle d’elle-même et parviendra à toucher le public approprié. On sait pertinemment qu’elle ne s’adresse qu’à une niche, mais c’est celle qu’on aime jouer. Si on parvient à toucher plus de gens, tant mieux, mais ce n’est vraiment pas l’essentiel. »

© Christian Poffet

Si je ne dis pas de bêtises, le groupe a donné sa toute première interview en 2020 à new Noise (NdR : new Noise #54). J’espère ne pas être en train de faire la seconde.
Stefano Mauriello (guitare)
 : Il y en a eu d’autres. Mais pas beaucoup. Deux je crois, et uniquement par écrit.

Vous n’êtes donc pas encore blasés de répondre aux questions idiotes de journalistes.
(Rires) Stefano
 : Non, pas encore.

À l’époque, vous aviez confié vouloir sortir votre second album en 2021, soit un an seulement après Protocol of Constant Sadness. Le Covid a-t-il perturbé vos plans ?
Stefano
 : Je ne m’en souviens pas. Que s’est-il passé ? Je crois simplement que tout s’est déroulé très lentement avec le label. On a connu quelques problèmes de communication. Et puis certains membres sont partis, d’autres les ont remplacés. On est plus lents que tu peux le croire.

Vous disiez alors avoir déjà composé plusieurs nouveaux morceaux. Cela signifie que la plupart de ceux qui constituent ce nouvel album datent de cette époque ? Ou certains sont-ils totalement nouveaux ?
Daniele Merico (guitare)
 : Trois des cinq morceaux datent de cette période. Un est tout nouveau et un autre est revenu d’entre les morts.

Lequel ?
Daniele
 : « Something ». Il avait été composé par Stefano et mis de côté il y a très longtemps. Puis j’ai entendu les riffs et j’ai pensé qu’on pourrait en faire quelque chose.
Stefano : Je ne l’aimais pas tant que ça. Maintenant ça va. (Rires) Parfois, tu te lasses de tes propres riffs… J’avais celui-là depuis peut-être dix ans, je le jouais dans mon coin. Puis j’en ai eu un peu marre de lui. Mais une fois l’ensemble du morceau composé, le résultat m’a finalement plu.

Pourquoi tous ces changements de line-up entre les deux disques ? Monica et Alain ont décidé de partir ?
Stefano
 : Pendant le Covid, Alain s’est vraiment mis en retrait. Il se contentait de venir aux répètes et un jour, il nous a confirmé que c’était trop pour lui, qu’il ne voulait plus continuer. Mais on est amis, tout va bien.
Daniele : Monica a rencontré d’autres musiciens et a commencé à jouer dans un groupe punk qu’elle aimait beaucoup, d’autant qu’elle vient plutôt de ce genre de milieu. Deux groupes, ça aurait fait trop pour elle, elle a donc décidé de privilégier l’autre (NdR : elle a tout de même enregistré les parties de basse de quatre des cinq morceaux de Petrol). Mais il est excellent, donc pas de problème.

Quel est le nom de ce groupe ?
Stefano
 : Sax.

Elle voulait peut-être jouer un peu plus vite !
Stefano
 : Oui… Mais je crois qu’elle regrette un peu ! (Rires)

Vous êtes parvenus à garder intact le style Tar Pond malgré tout. Comment ?
Stefano
 : En faisant contribuer tout le monde. Certains morceaux étaient à peine écrits. Sans Chris (NdR : Perez), notre nouveau bassiste, et Daniele, ils n’auraient probablement pas sonné comme ça. Ça a simplement bien fonctionné entre chacun de nous.
Daniele : Ça vient aussi sûrement du fait que Stefano et moi travaillons depuis longtemps ensemble sur plusieurs projets. On communique bien. Quand j’ai rejoint le groupe, ça ne m’a pas paru si nouveau. On avait l’habitude, on parle le même langage musical.

Ce disque est présenté comme « la bande-son des ténèbres et du chagrin », ce qui lui convient plutôt bien. J’aime beaucoup certaines outros et je retrouve des similitudes entre elles, entre « Bomb », « Blind » et « Dirt », qui semblent indiquer que des jours plus lumineux arrivent… Avez-vous pensé à composer des morceaux entiers dans ce genre d’atmosphère avant de finalement vous dire que quelques secondes suffiraient ?
Daniele : (Rires) On garde ça pour d’autres groupes.
Stefano : On a un autre projet, seulement tous les deux. Là, Marky (NdR : Markus Edelmann, batteur du groupe et ex-Coroner) trouve que ça fait trop chochotte, pas assez dur et sombre. (Rires)
Daniele : On s’est battu pour garder ces parties.
Stefano : Je pense que c’est très important.

Vous aviez un morceau entier un peu dans cet esprit sur le premier album, le magnifique « The Spirit ». Cette fois-ci, vous aviez eu le droit…
Stefano
 : Oui, on a écrit ce morceau avec le chanteur Thomas (NdR : Ott). Martin était toujours parmi nous, allongé sur le canapé, tranquille. J’ai joué ce riff, Thomas y ajoutait des paroles. Une fois qu’on a terminé, Martin s’est levé et a déclaré que c’était notre meilleur morceau. Quand il est mort, on a décidé de l’enregistrer pour l’ajouter à l’album. Marky n’avait donc aucun problème avec ça. Et je crois qu’il l’aime bien. Il est très sombre, il faut dire.

Vous avez encore une fois enregistré avec Tommy Vetteli (NdR : guitariste de Coroner) au New Sound Studio. Qu’avez-vous essayé d’améliorer ou du moins de changer par rapport au premier enregistrement ?
Stefano : On a essayé de jouer plus live, sans overdub. Pour tous les morceaux, la basse et la batterie ont été enregistrées ensemble, puis les guitares et les voix. Et on a conservé à peu près les mêmes équipements, le même mixeur…
Daniele : Tommy possède beaucoup de matos génial. On ne sait pas forcément le son qu’on cherche quand on entre en studio, on le trouve là-bas en s’appuyant sur son équipement. Le son prend vraiment forme en studio.

Il est toujours très lourd. Le morceau « Blind » est toutefois le plus up-tempo que vous ayez jamais composé. C’est dû à Marky ?
Stefano : Je me souviens essayer quelques riffs, puis la composition de cette chanson a coulé de source. Ce riff était le premier que j’ai composé, je l’ai donc joué de façon très puissante. Marky voulait effectivement une ou deux morceaux plus rapides. La plupart se situent autour de 90 bpm, celui-ci est à 125. Mais il reste assez doom, très lourd.

Oui, ça reste du Tar Pond, pas de doute là-dessus. Ce qui me frappe, comme sur le premier album, c’est la présence très charismatique de Thomas Ott au chant, un chanteur vraiment unique. Était-il connu en Suisse ? Car ce n’est pas le cas en France. Je sais qu’il a joué dans quelques groupes auparavant…
Stefano : Oui, il a chanté dans des groupes plutôt rockabilly (NdR : The Playboys, notamment).
Daniele : Il criait plus qu’autre chose.
Stefano : Oui c’était très différent, tu ne le reconnaitrais pas. Il ne s’agissait pas de gros groupes. Ils ont un peu joué en dehors de Suisse. En Allemagne, en France.
Daniele : Il est surtout connu comme dessinateur/auteur de bande-dessinée dans le monde entier.

Comment s’est fait le rapprochement avec Prophecy ?
Stefano
 : Un vieil ami de Marky jouait dans un groupe berlinois appelé Depressive Age. Marky lui a fait écouter notre musique et comme il est proche de la direction du label, il leur a fait écouter et ils ont apprécié.

Vous connaissiez d’autres groupes du label ?
Daniele
: Certains d’entre eux, pas le label en lui-même.
Stefano : Quelques-uns oui. Le groupe suisse E-L-R notamment. On a demandé à leurs membres s’ils étaient satisfaits de Prophecy. On a signé un accord très correct. On est libres de faire ce qu’on veut artistiquement. Ils n’ont rien à dire, c’est très cool.

Sorti en autoproduction, votre premier album n’a pas bénéficié de beaucoup de promotion. Vous vous sentez soutenus pour celui-là ?
Daniele
 : Oui, ils ont du monde pour s’occuper de la promo, donc… Mais peu importe finalement. Notre musique parle d’elle-même et parviendra à toucher le public approprié. On sait pertinemment qu’elle ne s’adresse qu’à une niche, mais c’est celle qu’on aime jouer. Si on parvient à toucher plus de gens, tant mieux, mais ce n’est vraiment pas l’essentiel.
Stefano : Oui, mais je trouve cool qu’ils s’occupent de tout ce qu’on ne veut pas faire !

Vous n’avez quasiment pas pu donner de concerts pour défendre le premier album, à cause du Covid notamment. Avez-vous des dates prévues pour cette fin d’année et l’an prochain ?
Daniele : On commence à s’y pencher. La sortie de l’album a pris du temps et nous souhaitions aussi ressortir le premier avant de partir en tournée. Maintenant on accepte tous les concerts intéressants et suffisamment proches de chez nous. Et une tournée est carrément envisageable puisque l’album est sorti.

Il faut venir en France !
Stefano
 : On adorerait ! On n’a pas de tourneur mais un gars vient de nous proposer de le devenir. Je pense qu’on va accepter, de bons concerts devraient donc arriver. On ne fait pas vraiment de démarche nous-mêmes, on attend qu’on nous propose des dates. Et quand tu es un petit groupe, c’est compliqué. (Rires) On ressent beaucoup de soutien de la part du public français qui semble vraiment apprécier ce genre de musique.

Je sais que nos lecteurs vous apprécient beaucoup en tout cas !
Daniele
: On aime de nombreux groupes français, ils font souvent preuve d’une approche assez unique pour composer ce genre de musique.

Des nouveaux groupes notamment ? Lesquels appréciez-vous particulièrement ?
Daniele
: Un groupe comme Monarch par exemple pour rester dans le doom.
Stefano : Et Alcest bien sûr !

Comment vous est venue l’idée de cette introduction en mode spoken word récité par Nathalie Dreier sur le dernier morceau, « Dirt » ?
Daniele
: On s’est dit que du spoken word fonctionnerait bien sur cette intro un peu sinistre. Nathalie est une bonne amie à moi. Et je connais sa musique, elle joue dans Perverts In White Shirts, un groupe noisy pop. Je lui ai donc proposé. Elle m’a lu plusieurs poèmes à voix haute, puis j’ai choisi celui qui collait le mieux à l’atmosphère du morceau.

Une atmosphère qui n’est pas sans rappeler Alice In Chains, tout comme les harmonies sur le refrain. Est-ce pour cette raison que vous l’avez appelé « Dirt » ?
Daniele
 : (Rires) Absolument ! Le morceau n’avait pas de titre durant un bon moment. « Dirt » n’était d’abord qu’un nom de travail car la musique dégageait ce genre d’ambiance à la Alice In Chains avant même que le chant soit enregistré. Puis on l’a gardé.

Ce groupe a exercé une forte influence sur vous deux ?
Stefano
 : Oui ! (Il me montre son tatouage du logo Alice In Chains sur son bras droit.) Je l’ai depuis quinze ans, ce groupe a énormément compté pour moi.
Daniele : On n’essaie pas nécessairement de faire sonner notre musique de la même manière, mais j’imagine que ça transparaît.
Stefano : Ce n’est pas intentionnel du tout. Quand notre premier album est sorti, j’étais surpris en lisant des commentaires YouTube qui soulignaient cette ressemblance, car je ne l’entendais pas. C’est ce qui est venu spontanément, ce sont les harmonies que j’aime jouer. Je lisais : « ça sonne comme Mad Season ou une version doom d’Alice In Chains ». OK cool !
Stefano : On préfère ça à « On dirait du Nickelback » ! (Rires)

Pour être honnête, ça ne m’a pas frappé à l’écoute de votre premier album. J’y entendais plus certaines références 70s/80s comme Black Sabbath évidemment ou St Vitus. Mais j’ai lu entre-temps votre interview « Chacun mes goûts » sur le site Internet de new Noise et vous avez répondu tous les deux que Nirvana vous avait donné envie de jouer de la musique. J’imagine donc que la scène de Seattle en général a joué un rôle non négligeable dans votre cheminement musical.
Daniele : Absolument.
Stefano : Oui, Nirvana a changé ma vie. J’avais commencé la guitare acoustique deux ans auparavant, mais quand j’ai entendu Nevermind, j’ai dit à ma mère : « Il me faut une guitare électrique tout de suite ! » (Rires)

Une influence moins évidente dans la musique de Tar Pond…
Daniele : Je crois que Marky n’accepterait pas ! (Rires)

Appréciez-vous particulièrement certains groupes actuels ? Ou êtes-vous bloqués quelques décennies en arrière ?
Stefano : Oh non, j’écoute tout le temps des nouveautés. Nos amis de Soldat Hans, notamment. Il faut que tu écoutes, c’est totalement dingue ! Du folk/doom/post-rock/je ne sais quoi. Très calme, planant, mais aussi super lourd… Hyper bon ! Leur dernier album (NdR : Anthaupt, sorti en 2022) est dingue. On a aussi joué une fois avec eux et on va recommencer. Ils sont devenus des amis.

Interview réalisée par Jonathan Lopez, parue initialement dans new Noise #68 actuellement en kiosque.

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