Interview – Slowdive
Slowdive respire le bonheur : deux décennies après avoir servi de punching ball à l’odieuse presse britannique, trois ans après s’être reformé à la demande générale, il sort le 5 mai prochain un quatrième album sans-titre, très fluide et un chouia plus accessible que ses lointains prédécesseurs, et le baromètre semble au beau fixe. Votre serviteur a rencontré le très érudit Neil Halstead, chanteur et guitariste, dans le petit salon rouge (orné de couvertures du magazine Lui) d’un discret hôtel parisien.
NH : ça fait vraiment tôt pour moi ! (NdR : l’interview se passe à 9h30)
Oui, pour moi aussi !
Tu as pu écouter le nouvel album ?
Oui, il y a deux jours, et j’ai entendu certains des nouveaux morceaux lors du concert au Trabendo. Ils sonnent vraiment bien.
Merci !
Certains morceaux sont plus rapides que sur les vieux albums, « Star Roving » notamment.
Ah tiens ? Oui, c’est vrai, il y a quelques morceaux plus rapides. Je n’y avais pas vraiment pensé. Effectivement, “Star roving” est un peu plus rapide, mais il y en a des plus lents aussi, comme « Slomo », « Falling Ashes », « Go Get It »… Je le perçois comme un disque assez classique de Slowdive. Il ne me semble pas qu’il y ait un gros changement au niveau de l’atmosphère ou de la manière de faire. Il fait référence à ce qu’on faisait à l’époque aussi bien qu’à quelque chose de renouvelé.
Vous avez fait des choses très différentes dans le passé. Pygmalion était différent.
Oui, tous les disques ont été différents. Pour moi, celui-ci a des éléments de Pygmalion, des éléments de Souvlaki, et des éléments de quelque chose d’autre. Alors oui, peut-être que certains morceaux sont un peu plus rapides… (rires)
Votre son sur scène est plus agressif, la basse notamment, un peu comme du Mogwai ou Explosions in the Sky.
Je ne sais pas, on a toujours été un groupe bruyant, c’est notre truc. Je crois qu’on a toujours sonné comme ça sur scène. J’ai rencontré Mogwai pour la première fois en 2014, et ils nous ont dit qu’ils faisaient partie de ces gamins au premier rang des concerts de Slowdive, qui essayaient de comprendre comment on créait notre son. Ils ont clairement été inspirés par Slowdive.
À partir de quand vous êtes vous rendus compte que des groupes avaient été influencés par Slowdive ?
Je pense que c’est quand Morr Music a sorti cette compilation, au début des années 2000 [Blue Skied an’ Clear, un double album de reprises de Slowdive par des artistes de ce label allemand de musique électronique, ndr]. Quand elle est sortie, avec ces artistes qui reprenaient des chansons de Slowdive, ça nous a familiarisés avec l’idée que Slowdive avait pu avoir une influence sur certains des artistes émergents de la scène électronique.
Mais en 2014, à ce stade, on n’avait pas vraiment conscience de comment on allait être reçus. On a été surpris qu’autant de gens viennent aux concerts, et de la jeunesse du public.
Est-ce que Mojave 3 a changé votre façon de travailler dans Slowdive ?
Pas seulement Mojave 3, j’ai fait beaucoup d’autres choses, beaucoup d’albums solos et aussi ce disque de Black Hearted Brother.
On est tous passés par des expériences différentes : Simon Scott, le batteur, a fait pas mal d’enregistrements dans la nature, il utilise Max Patch, cette technologie informatique incroyable qui produit des sons d’une manière très inhabituelle. On l’a beaucoup utilisé dans nos enregistrements.
On est tous restés actifs dans le milieu musical, ces vingt dernières années. C’est juste qu’on utilise de nouveaux outils pour faire de la musique : on a fait beaucoup de choses sur PC portable cette fois. Tu enregistres dans un studio et tu peux l’emmener sur ton portable et le retravailler dans ton studio. C’est tellement plus facile qu’à l’époque, quand on travaillait avec des bandes.
Donc oui, notre manière de travailler a changé.
« L’idée qu’à l’époque, en Angleterre, il y avait deux faiseurs d’opinion, le NME et le Melody Maker, paraît ridicule aujourd’hui, mais nous on en était à se demander : “Mon dieu, qu’est-ce qu’on va avoir comme chronique cette fois ?” »
Quelles étaient vos influences au départ ? Vous avez commencé très jeunes ?
On était fans d’une quinzaine de groupes, comme The Jesus & Mary Chain, The Smiths, The Pastels, The Vaselines, et puis Sonic Youth, Dinosaur Jr., The Cocteau Twins… My Bloody Valentine a eu une grosse influence, surtout quand on était plus jeunes : c’est le genre de groupe qui te fait prendre conscience, des sortes de héros, c’était à la fin de 1988. Ça nous a beaucoup influencés en tant que groupe. On était dans un groupe avec Rachel (NdR : Goswell, chanteuse), The Pumpkin Fairies, c’était plutôt indie. Le son a dû changer un peu quand Chris (NdR : Saville, guitariste) a rejoint le groupe.
Il y avait aussi tous ces trucs des années 60, les compilations Nuggets et Pebbles, du garage, de la musique psychédélique, les premiers Pink Floyd, CAN, à peu près tout de Neil Young à Bob Dylan, le Velvet Underground, ce genre de choses…
Tu étais un gros consommateur de musique ?
Oui, on était des gamins obsédés par la musique. On travaillait tous dans des magasins de disques, une chose en entraînant une autre, ça explique comment on est devenus accros à la musique.
Mais dans Slowdive, les influences directes c’étaient surtout The Cocteau Twins, Sonic Youth, My Bloody Valentine, The Byrds, les vieux Pink Floyd, et puis Dinosaur Jr. Beaucoup de musique à guitares, pour l’essentiel. J’aime la musique à guitares.
Quelles ont été tes dernières découvertes en musique ?
Récemment, je dirais Kevin Morby, son dernier album a un son incroyable. J’aimais bien ses précédents albums. Beaucoup de folk. Je ne sais pas. L’album de Tycho… Je ne sais plus. Mon cerveau n’est pas encore en état de fonctionnement !
Est-ce que vous avez recroisé récemment les groupes de Creation qui se sont reformés également ?
J’ai vu Ride l’an dernier, je jouais avec Sun Kil Moon dans des festivals, non, c’était en 2015. Ride jouait au Primavera, c’était leur premier gros concert. C’était bien. J’ai croisé Mark Gardener (NdR : le chanteur-guitariste) à l’occasion mais je ne l’ai pas vu depuis très longtemps.
Il y avait un lien particulier entre vous ?
On échangeait beaucoup avec eux, on a souvent fait leur première partie, tourné avec eux. Ils étaient beaucoup plus importants que nous. On était deux groupes de Creation donc on a pas mal tourné ensemble, on a fait des dates en Angleterre. On s’entendait bien. J’ai toujours adoré les voir jouer, c’est un super groupe sur scène.
Quelles sont vos relations avec les médias ? Est-ce qu’elles ont changé avec la manière dont la presse anglaise s’est comportée avec vous ?
Non, pas vraiment. On avait des chroniques atroces mais en général, quand on rencontrait les journalistes ils étaient très amicaux. Donc ça allait. (Rires) À la fin des années 80 et au début des années 90, la presse musicale était très cynique en Angleterre. Il y avait des plumes brillantes, comme Everett True et Chris Roberts, que j’admirais beaucoup, mais ils pouvaient être très cassants. Ils utilisaient un mélange étrange de cynisme et d’idéalisme, qui fonctionnait très bien, enfin, pour les lecteurs. Pour les groupes, ça pouvait être assez terrifiant. J’étais toujours très inquiet des chroniques qu’on allait avoir. Ça paraît idiot aujourd’hui parce que c’est un tout petit monde, celui de l’indé, de la musique à guitares… Les choses sont tellement différentes maintenant : tu as tellement de manières différentes d’accéder à la musique, d’écouter des choses nouvelles… L’idée qu’à l’époque, en Angleterre, il y avait deux faiseurs d’opinion, le NME et le Melody Maker, paraît ridicule aujourd’hui, mais nous on en était à se demander : « Mon dieu, qu’est-ce qu’on va avoir comme chronique cette fois ? » On a fini par s’habituer. Mais les journalistes étaient toujours cool. (Rires)
J’ai lu une anecdote sur Christian qui s’était fait interpeller dans un festival par un journaliste du Melody Maker (« J’ai écouté ton disque. On va le descendre. L’an prochain, tu viendras au festival en tant que bénévole. »)
Oui, c’était vraiment méchant. Il a dépassé les bornes. Il était probablement bourré mais ce n’était pas une chose à dire. Ça nous fait marrer aujourd’hui.
Est-ce que vous êtes plus sollicités aujourd’hui ? Le paysage de la presse est plus éclaté, il n’y a plus de monopole des faiseurs d’opinions ?
Oui, c’est très différent maintenant. Ça a complètement changé par rapport à ce que c’était il y a 20 ans. C’est devenu un peu plus compliqué de s’y retrouver, il y a trop d’informations. Tout le monde cherche de la bonne musique, et il semble qu’il y en ait beaucoup, mais tu as toujours l’impression de rater un truc.
Est-ce que vous prévoyez de reformer Mojave 3 ?
Personnellement, non, on n’en a pas parlé. Slowdive nous a bien occupés. J’ai toujours envie de faire des albums solo, et puis il y a d’autres choses. Pour moi ça ferait trop de choses à penser.
Vous avez arrêté en raison des problèmes de santé de Rachel ?
C’était une des principales raisons. Tout s’est ralenti, Rachel ne pouvait plus tourner avec nous. On faisait quand même des tournées, mais nous avions une autre chanteuse pour la remplacer. Les vies de chacun sont devenues plus compliquées, tout le monde a eu de plus en plus de mal à dégager du temps. Ça s’est en quelque sorte éteint naturellement. Le dernier album date de 2006 et depuis on n’a pas fait grand chose. On fait encore quelques concerts à l’occasion. Le dernier, c’était en 2012 ou 2013, ça fait un moment.
Tu as une idée de ce que tu veux explorer pour ton album solo?
Oui, le prochain sera probablement encore un album folk. J’ai un certain nombre de chansons que je voudrais enregistrer dès que j’en aurai l’occasion. Ces dernières années, la priorité c’était de mener à bien l’album de Slowdive. Mais c’est vrai que j’aimerais bien trouver le temps de faire un nouvel album solo.
Vous avez commencé à travailler sur le prochain album de Slowdive ?
Non, en ce moment, je suis sur un autre projet qui s’appelle Black Hearted Brother, avec Mark Van Hoen et Nick Hilton. On a sorti un album il y a trois ans, et on travaille sur un deuxième. C’est sur cet enregistrement que je travaille en ce moment.
On a commencé à parler d’un autre album de Slowdive. En faisant cet album, qu’on a terminé en novembre, on a ouvert des pistes qu’on a pas forcément explorées. J’ai trouvé ça stimulant. On est tous motivés pour faire un nouvel album et pour s’y mettre rapidement. Mais on a pas mal de tournées programmées, et ça va être la priorité pour l’instant.
C’était une bonne expérience d’enregistrer à nouveau avec Slowdive ?
Oui, c’était beaucoup de plaisir. Ça a été très agréable de travailler à nouveau avec cette formation, et aussi d’enregistrer dans des lieux qui nous sont chers. On est retournés dans deux studios qu’on avait utilisés à l’époque : le premier, c’est le studio où on a enregistré notre toute première démo. Et puis on est retournés aux Courtyard Studios où on a fait la plupart de nos albums. Je crois qu’on y avait fait l’essentiel des prises pour deux de nos albums. C’était très agréable de retourner là-bas, d’y retravailler. C’était le bon endroit pour nous.
Mes questions sont un peu en désordre, mais as-tu recroisé Alan McGee (NdR : patron de Creation records) ?
Je ne l’ai pas vu depuis longtemps, mais nous sommes restés amis. On s’est parlés au téléphone, ça devait être quand le groupe s’est reformé en 2014. Il semble dans un bon état d’esprit aujourd’hui, avec le retour de The Jesus & Mary Chain, il s’occupe à nouveau d’eux, la boucle est bouclée. Ça fait plaisir de le voir s’impliquer à nouveau dans la musique, participer à tout ça.
Je pensais que vous aviez été virés un peu brutalement de Creation, et en lisant son livre, il explique que vous étiez un bon groupe, qu’il était désolé que ça n’ait pas marché, que simplement le timing n’était pas bon.
C’est vrai. Il avait ses propres démons. Au moment où on a fait Pygmalion, on n’était pas le groupe qu’il fallait pour Creation. Alan venait de signer Oasis, le plus grand groupe du monde à l’époque. Tout tournait autour de la pop, et en Angleterre autour de la Britpop. Pygmalion n’était clairement pas un disque pour Creation.
Quand on s’est fait virer, ça nous paraissait inévitable, ça allait arriver, on s’y attendait. Je n’ai pas de problème avec ça. A Creation, ils ont été très bien, ils nous ont toujours laissé faire les albums qu’on voulait faire. On a sorti trois albums sur Creation, tels qu’on souhaitait les faire. Ils nous accordaient six semaines de studio sans interférer.
Le problème avec Pygmalion venait en partie du fait qu’ils n’avaient eu aucun écho de l’enregistrement, ils n’avaient rien entendu, et quand ils ont eu l’album définitif, ça a été un choc pour eux car ils ne s’attendaient pas à un album de ce type. On n’en avait jamais parlé. Ils ont été fair play et ont sorti l’album tel quel.
Au moins, vous mettiez moins de temps que My Bloody Valentine à faire un disque ! (NdR : l’enregistrement de Loveless avait duré… 3 ans)
Oui, c’est le genre de problèmes qu’on n’a jamais eu. On a toujours fait les choses assez rapidement.
Entretien réalisé par G.L
Merci à Agnieszka Gérard d’avoir organisé cette interview.
Le nouvel album de Slowdive paraitra le 5 mai prochain chez Dead Oceans. Le groupe jouera au Pointu Festival (ile du Gaou) le 8 juillet prochain en compagnie notamment de Ride et Dinosaur Jr. Rien de moins.