Interview – Pixies
Soyons honnêtes, voilà bien longtemps que notre excitation n’est plus à son comble quand on apprend la sortie d’un nouvel album des Pixies. On doit également admettre ne pas avoir sauté au plafond lorsqu’on nous a informés que c’est David Lovering qui répondrait à nos questions, et ce durant seulement vingt minutes… Et puis finalement, ce huitième album du quatuor de Boston est un bon cru, comme l’était Beneath the Eyrie du reste. Un disque abouti signé par un groupe… mature. Voilà qui aurait pu sonner comme une insulte à l’âge d’or des lutins, mais le temps a fait son œuvre. Quant à Lovering, il s’est révélé un interlocuteur extrêmement agréable et surtout bien plus prolixe que ne le sont parfois ses comparses Black Francis et Joey Santiago. Voilà qui nous apprendra à ravaler nos idées reçues et à savourer deux choses simples : que les Pixies soient toujours debout près de quarante ans après leurs débuts, et pouvoir converser avec le batteur d’un groupe mythique à l’enthousiasme de jeune premier.
« En 2004, quand on s’est reformés, à ma grande surprise nous nous sommes retrouvés à jouer devant des publics très jeunes. Et ces gens connaissaient tous nos morceaux. (…) En 2022, notre public est toujours très jeune ! Avec beaucoup de gamins de 15, 16, 17 ans. Ce renouvellement du public, c’est génial. »
C’est le troisième album que vous enregistrez avec Paz Lenchantin à la basse et Tom Dalgety à la production. Est-ce bien plus simple que la première fois ? Et n’est-ce pas trop confortable ? Comment parvenez-vous à vous challenger ?
David Lovering : Absolument Jonathan, c’était beaucoup plus facile. À l’époque de son premier album avec nous (NdR : Head Carrier, en 2016), nous nous découvrions mutuellement, il fallait qu’on trouve le bon mode de fonctionnement. Il connaissait les Pixies, mais il lui fallait apprendre à connaitre la façon de travailler du groupe. Et ça s’est fluidifié à chaque album, particulièrement sur ce dernier. Il fait désormais partie de notre famille, on a bien plus de vécu ensemble et maintenant je trouve très confortable de travailler avec lui. Il sait comment tirer le meilleur de nous. Je suis très enthousiasmé par ce nouvel album, ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps. On était tous dans les meilleures conditions pour travailler au studio. Charles (NdR : Charles Thompson aka Black Francis aka Frank Black) a composé près de quarante démos pour ce disque, Tom en a choisi environ 16 et il y a ajouté de la batterie avant de nous les envoyer, pour que je puisse m’en inspirer. Je pensais d’ailleurs qu’il s’agissait d’un vrai batteur, mais c’était une boîte à rythmes ! Il est vraiment doué pour ça. Et ça m’a donné énormément d’idées, car j’ai tendance à apprendre lentement et il me faut du temps pour livrer quelque chose dont je suis satisfait. C’était un formidable guide, ça m’a donné beaucoup de confiance en studio. Je crois que tout le monde a beaucoup travaillé et a haussé le niveau de ses prestations. On a très bien joué, l’enregistrement était agréable, je suis très satisfait du résultat.
Tu le disais, Charles a composé quarante démos pour ce disque. A-t-il été difficile de vous séparer de certaines d’entre elles ? Avez-vous songé à en conserver plus pour un double… voire un triple album ?
Déjà, il faut savoir que Charles a composé ces quarante morceaux en deux mois avant qu’on entre en studio ! Pas durant nos deux ans de coupure, non. En deux mois ! Mais que ce soit Gil Norton ou Tom Dalgety, on confie toujours cette tâche au producteur. On lui donne tous les morceaux et il choisit. Il sait quoi retenir, c’est son boulot. Environ un mois et demi après l’enregistrement de Doggerel, nous sommes entrés aux studios Rockfield, au Pays de Galles et nous avons enregistré environ dix morceaux supplémentaires. On cherchait à rattraper le temps perdu de ces deux dernières années où nous n’avons pas pu nous réunir. Cela dit, on n’a pas joué toutes les démos, on en garde pour plus tard, peut-être.
On aura donc droit à de nombreux inédits et faces B à l’avenir ?
Oui, c’est possible. On adore ce qu’on fait, donc l’avenir s’annonce bien.
J’ai été assez surpris par le morceau « Vault of Heaven » que j’aime beaucoup et qui sonne un peu western, je trouve.
Je ne suis pas le plus doué pour parler de nos morceaux. Pour te dire, si une chanson des Pixies passe en fond sonore et que personne ne me le signale, je ne m’en rends même pas compte. (Rires) Je suis ce genre de type ! Mais lors de notre dernière tournée européenne, qui a duré presque trois mois, soit probablement notre tournée la plus longue, on jouait notamment « Vault of Heaven ». C’est l’un des seuls nouveaux titres qu’on a essayés live, avec « The Lord Has Come Back Today », « Human Crime », qui ne figure pas sur l’album, et « Who’s More Sorry Now? ». « Vault of Heaven » est un morceau très caractéristique des Pixies selon moi, il a en tout cas été très bien reçu par le public.
Comme les autres d’ailleurs… En 2004, quand on s’est reformés, à ma grande surprise nous nous sommes retrouvés à jouer devant des publics très jeunes. Et ces gens connaissaient tous nos morceaux. Sans doute nous avaient-ils découverts par le biais de groupes plus récents que nous avions influencés. Et aujourd’hui, en 2022, notre public est toujours très jeune ! Avec beaucoup de gamins de 15, 16, 17 ans. Ce renouvellement du public, c’est génial. Car les jeunes connaissent tous les nouveaux morceaux, pas comme les plus vieux, ceux de mon âge, qui ne sont là que pour entendre nos classiques des 80s et des 90s ! Ces morceaux ont donc été très bien reçus, notamment « Vault of Heaven ». Mais je ne sais pas trop quoi te dire à son sujet. Je trouve l’album assez varié, pop comme toujours, mais parfois aussi plus énervé comme sur « Nomatterday » en ouverture. C’est ça, les Pixies ! Peut-être s’essayera-t-on au reggae sur le prochain album, pour changer. (Rires)
Je suis curieux d’entendre ça ! Gil Norton avait déclaré il y a bien longtemps, après l’enregistrement de Doolittle où tu chantais « La La Love You » : « Au début, il ne voulait pas chanter un vers et ensuite il ne voulait plus lâcher le micro. Un vrai showman ! » Pourtant tu n’as plus jamais réitéré, sauf pour « Make Believe » (face B du single « Velouria », 1990).
C’était il y a bien longtemps, j’étais très timide à l’époque. Crois-moi, avant les prises de voix de « La La Love You », il a fallu que je boive quelques verres ! Mais je me suis éclaté à chanter « La La Love You » et c’est ce qui m’a donné assez de confiance pour recommencer avec « Make Believe ». J’aime beaucoup jouer « La La Love You », ce qui arrive régulièrement, contrairement à « Make Believe ». Je fais aussi beaucoup de chœurs avec Paz. On verra si je peux chanter à nouveau à l’avenir.
Et composer un peu plus ne t’intéresse pas ? Tu n’as rien écrit pour les Pixies depuis « Levitate Me » (sur Come On Pilgrim en 1987), Joey (NdR : Santiago, le guitariste) vient, quant à lui, d’écrire son tout premier morceau (« Dregs of the Wine »).
C’est le domaine de Charles. Et il fait du très bon boulot ! Je me suis toujours contenté de faire de mon mieux à la batterie. Comme tu peux le voir (NdR : son kit de batterie est en arrière-plan), mon équipement (« my drumworld ») est très réduit, mais je possède aussi de nombreux synthétiseurs. J’adore vraiment les synthés ! J’ai écrit plusieurs morceaux en 1993 dans une veine synthpop, je ne suis pas sûr que ça colle avec les Pixies. (Rires)
Tu me parlais de votre tournée récente où vous avez enchaîné les dates. Le fait d’être privés de concerts pendant deux ans a-t-il été difficile à vivre ? Ressentiez-vous la nécessité de retrouver cette adrénaline ?
Après la sortie de Beneath the Eyrie, nous avons dû interrompre la tournée très rapidement. On a donné seulement cinq concerts avant de rentrer aux États-Unis. Durant les deux années qui ont suivi, nous nous sommes plusieurs fois dit que c’était bon, qu’on arrivait à la fin de la pandémie, et qu’on allait pouvoir reprendre les concerts… puis tout était de nouveau annulé. On a finalement pu revenir en Europe pour tourner pendant trois mois, et on a vraiment savouré ! On m’avait privé de ce plaisir pendant deux ans, j’étais prêt à tout, à faire ma lessive sur la route. J’ai ADORÉ.
« Avec les Pixies, j’étais toujours planqué derrière ma batterie et trois personnes, je n’ai jamais éprouvé de stress. Là, lors de mon premier spectacle, j’aurais pu essorer mon t-shirt et remplir un verre de sueur ! »
Cet arrêt forcé t’a-t-il rappelé la séparation du groupe ? Tu avais vécu difficilement cette période, non ? Ou était-ce comme un soulagement vu la tension qui régnait entre certains membres, notamment Kim (NdR : Deal, bassiste) et Charles ?
On était un groupe dysfonctionnel. On était jeunes. J’ai vécu cette séparation comme un déchirement, un amour perdu. Et je ne savais plus quoi faire de ma vie ! Avant les Pixies, j’étais électricien, mais ne pouvais pas revenir à ce travail ; j’avais arrêté depuis trop d’années et de bien plus jeunes que moi se chargeaient désormais de ce boulot. Je ne savais donc pas vers quoi me tourner et j’ai fait le choix improbable de devenir… magicien ! (Rires) Ça m’a bien occupé. Puis, nous avons été de nouveau actifs de 2004 à 2011. Une période irréelle, plus longue que la durée d’activité initiale du groupe (NdR : de 1986 à 1992) ! C’est ce qui nous a poussés à enregistrer Indie Cindy et tous les albums qui ont suivi. Mais l’arrivée du Covid a vraiment été flippante, je me demandais si ça allait être la fin, si on allait pouvoir reprendre ou devoir tout arrêter et se séparer. Je ne sais pas si ça a traversé l’esprit des autres… Reste que reprendre après cette longue pause nous démangeait tous. On s’y est donc remis. Et boum ! J’en suis ravi.
Quand tu as démarré cette carrière de magicien, cela correspondait-il aussi à un moyen d’être enfin sur le devant de la scène, après avoir joué pendant des années en retrait, derrière ta batterie et trois musiciens ?
Non, pas du tout. Un ami musicien m’a emmené à une convention de la magie à Los Angeles. Je n’avais alors aucun intérêt pour la magie. Si on m’avait dit que je deviendrais musicien un jour, j’aurais explosé de rire. Mais j’ai vu un tour qui m’a époustouflé et j’ai voulu le comprendre. J’ai acheté plein de livres, regardé de nombreuses vidéos, jusqu’à devenir magicien professionnel. J’ai alors commencé à me produire, à élaborer des tours. Ce n’était pas du tout par volonté de m’exposer davantage, juste pour le plaisir de faire ressentir des émotions au public. Et mon premier spectacle de magie, Jonathan, a eu lieu dans un sous-sol devant dix personnes. Et je n’ai jamais autant transpiré de ma vie ! Comme tu le disais, avec les Pixies, j’étais toujours planqué derrière ma batterie et trois personnes, je n’ai jamais éprouvé de stress. Là, lors de mon premier spectacle, j’aurais pu essorer mon t-shirt et remplir un verre de sueur ! La magie a été si importante pour moi, elle a changé ma vie. Maintenant je suis capable de parler en public. La magie m’a guéri de ma timidité, totalement. Je dois la remercier pour ça !
Sur scène, vous n’utilisez pas de setlist. Depuis quand fonctionnez-vous comme ça ? Toujours devoir attendre l’annonce de Charles pour savoir quoi jouer devait être difficile au début, non ?
En réalité, on a longtemps joué avec des setlists mais jamais les mêmes. Maintenant, on a une liste d’environ 70 morceaux dans laquelle on pioche. Bon, je ne prétends pas qu’on est capables de tous les jouer, hein… (Rires) Charles nous annonce ce qu’on joue dans l’oreillette. Si on exclut le Covid, ça doit faire quatre ou cinq ans qu’on fonctionne de cette façon. Et maintenant on maîtrise. C’est notre truc, ça fait partie du spectacle qu’on offre sur cette tournée. On ne connait à l’avance que le premier morceau du set. Le pauvre ingénieur du son n’a aucune idée de ce qu’on va faire ! C’est complètement nouveau pour lui. Charles nous regarde, parle dans nos oreillettes, ou nous fait des signes de la main. (Il mime des vagues) Ça c’est « Wave of Mutilation ». (Il forme un triangle au-dessus de sa tête) Ça c’est « Planet of Sound »… On communique donc en se regardant les uns les autres. Ça peut aussi passer par des gimmicks de batterie. Ou alors on sait que tel morceau va en suivre un autre parce qu’on a constaté qu’ils s’enchaînaient bien. Bref, sur ce plan-là, on est plus au point que jamais. C’est super et marrant à faire : tu ne regardes plus la setlist, tu ne te dis pas « on en est à la moitié », tu ne sais jamais quand ça va se terminer. (Rires)
Malgré tout, vous ne jouez pas beaucoup de morceaux de Trompe le Monde (généralement « U-Mass » et « Planet of Sound »), un disque que j’adore, personnellement.
J’ai mis du temps à l’aimer… J’adore tous nos disques, mais Trompe Le Monde est celui auquel j’ai eu le plus de mal à m’attacher. Je ne le détestais pas mais ne l’aimais pas autant que les autres. Puis je l’ai réécouté de nombreuses années plus tard et j’ai subitement réalisé que je trouvais ces morceaux excellents ! Mais franchement, je me demande comment j’ai pu en jouer certains, comme « Space (I Believe In) ». Je ne pense pas que j’étais particulièrement meilleur à l’époque, mais je ne sais pas, je ne serais plus capable de les jouer… Je ne me souviens plus comment tout ça m’est venu à l’époque. Effectivement, je crois qu’on ne joue que « U-Mass » et « Planet of Sound », mais on devrait en ajouter d’autres prochainement. On commence d’ailleurs à ajouter des morceaux de chaque album.
Je vous ai déjà vus jouer « Subbacultcha » aussi il y a quelques années… L’indie rock est beaucoup moins à la mode aujourd’hui que dans les années 90. En écoutes-tu encore beaucoup et notamment des groupes récents ?
Je suis vraiment nostalgique. J’écoute beaucoup de vieux groupes que j’aimais plus jeune. J’écoute surtout de la musique dans ma voiture, principalement la radio Alternative Nation qui diffuse beaucoup d’indie rock contemporain. J’écoute aussi de la new wave et de la musique des années 80 à synthés. Je ne me rue pas sur les nouveautés, mais je me tiens quand même au courant.
Que t’inspire le fait que les Pixies soient un modèle pour beaucoup de groupes qui débutent ?
C’est chouette d’être reconnu ! On m’a dit récemment : « Vous êtes une légende ! » « Quoi ?! » Ah mais non, je ne suis que Dave ! Je viens d’une petite ville. Je vais chez l’épicier, je suis M. Tout-le-monde. Je ne nous vois pas comme ça, le groupe ou moi. Après, je sais qu’il est difficile d’avoir un point de vue extérieur. Il y a quelques années, j’ai vu pour la première fois, à Los Angeles, The Cars, un de mes groupes préférés de tous les temps. Quand ils ont joué le premier morceau, je me suis mis à pleurer. J’étais tellement ému ! Un ami m’a soufflé : « C’est ce que les gens ressentent avec les Pixies ! » Ce n’est pas quelque chose dont j’ai conscience. Ça m’a permis de le réaliser un peu, mais ça me semble toujours aussi étrange.
Interview réalisée par Jonathan Lopez
A retrouver également dans l’indispensable new Noise #64 qui a besoin de votre soutien (pour le trouver près de chez vous)