Pixies – Indie Cindy (Pixiesmusic)

Publié par le 5 mai 2014 dans Chroniques, Toutes les chroniques

pixies-Bon, je m’étais presque promis de ne pas en parler, sauf si l’envie venait, mais on lit tellement de bêtises sur ce dernier Pixies. A croire que peu de gens ont compris de quoi il retournait. Lui mettre 16/20, ou 1/10, c’est complètement absurde. Du coup, je me retrouve à endosser mon costume de prétentieux condescendant et je vais participer un peu à votre éducation musicale. Avant ça, je précise par honnêteté que moi aussi, je me suis fait avoir comme les autres.

Bienvenue au cours de décryptage du professeur BCG.

Aujourd’hui, le sujet portera sur Indie Cindy, le nouvel album des Pixies. Composé en réalité des 3 EP sortis depuis 2013, certains crient au génie, d’autres à l’arnaque. Ce que personne n’a compris, c’est que c’est exactement les deux. Mais peut-être pas comme vous le pensez.
Revenons un peu en arrière.

Après un démarrage plutôt satisfaisant pour un artiste indé, avec quelques tubes modestes à son actif, la carrière de Frank Black n’a jamais vraiment décollé. Pire, c’est sa rivale Kim Deal avec les Breeders qui a profité du statut culte et du succès d’estime des Pixies, SON groupe, pour trouver un plus large public. Jusqu’au jour où David Fincher a eu la brillante idée d’inclure “Where Is My Mind ?” dans son adaptation (brillante également) de Fight Club. Tout le monde se demande quelle est cette chanson, qui est ce groupe, et se charge de les placer à juste titre au rang des classiques (tout ça, JL vous l’a déjà bien expliqué ici). En 2004, quand les égos sont mis de côté et que le groupe se reforme, Frank Black peut enfin tirer matériellement profit de la légende qu’il a créée et gonfler son compte en banque. C’est mérité.
Il comprend également vite que le nouvel album qu’il espère pouvoir sortir avec cette reformation n’est pas à l’ordre du jour et qu’il ne le sera peut-être jamais. L’album devra être rien de moins qu’excellent pour trouver son public, puisque les attentes sont trop lourdes, et Kim Deal n’a pas l’air très motivée pour mettre leurs forces en commun.
Après avoir un peu capitalisé sur la reformation en remixant des titres, le gros Frankie qui reste un artiste de talent et prolifique a envie d’écrire, de composer, et il le fait à plusieurs reprises. Mais là encore, le public n’est pas au rendez-vous. Peu importe la qualité de ces disques, le public ne veut que des Pixies.
On accélère jusqu’à 2013. Kim Deal a repris goût aux Breeders avec la tournée hommage à Last Splash et veut se mettre à écrire mais en solo. Elle décide donc de quitter les Pixies. Tout le monde les pense morts et enterrés, surtout qu’ils n’ont rien sorti depuis un titre inédit en 2004 et qu’ils n’ont pas tourné depuis 2010. C’est compter sans Frank Black qui a de la suite dans les idées, et des morceaux sous le pied.

Il retourne donc en studio accompagné de Santiago et Lovering, demande les services d’un bassiste de studio et de Gil Norton. Les gens n’attendent plus les Pixies, on va leur donner les Pixies! Puis il enregistre les morceaux qu’il avait sous le coude (ou qu’il a composé sur le pouce, il en a largement les moyens).

Frank Black est un prestidigitateur. Et il est intelligent. Il sait, entre autres, 3 choses :
– Les gens critiqueront toujours le dernier Pixies, à moins qu’il soit vraiment excellent.
– Les gens critiqueront forcément un album sans Kim Deal.
– Le grand public se fout des sorties de Frank Black sous son propre nom, peu importe leur qualité.
Il sait aussi que ses compositions sont rarement des tubes instantanés, que le public a besoin de temps pour les apprivoiser. Et que critiquer un album, c’est aussi en parler. Et pour en parler, il vaut mieux l’écouter.

2013, donc, il publie un premier morceau, assez proche de ce qu’il faisait avec les Pixies (on dirait même que Kim Deal a chanté dessus), “Bagboy”, ce qui fait monter le buzz. Puis un premier EP, inégal, qui provoque sans surprise l’acharnement critique. La tournée qui suit s’annonce gargantuesque, avec une ribambelle de morceaux peu joués, et le public est au rendez-vous (sans surprise non plus). Le rythme des sorties permet d’entretenir le buzz, appuyé par des clips, et ce en dépit des critiques. Il y en a même qui finissent par trouver que, au vu du dernier, le précédent est bon. Ainsi, Black touche à la fois les collectionneurs, les fans (les siens propres et ceux des Pixies) et le grand public.
Quand l’album sort enfin, en avril 2014, le public a eu plusieurs mois pour s’habituer aux compositions. Les morceaux sont variés, ce qui fait que tout le monde en aura pour son compte, et même les pires restent des chansons correctes, ce dont on a eu le temps de se rendre compte. Finalement, quand on passe Indie Cindy sur sa platine, on constate qu’on connait déjà les morceaux et c’est précisément ce qui les rend familiers et évite le choc d’une écoute avec trop d’attentes. Le principe de la prestidigitation, c’est de détourner l’attention du public pour qu’il ne voit que ce qu’on veut qu’il voit. En concentrant les critiques sur le départ de Kim Deal et la qualité des EP, Frank Black s’est en fait permis de sortir son nouvel album en s’assurant que le grand public l’écoute et l’achète.
Ce disque n’est pas un disque des Pixies, et quelque part c’est justement ce que les critiques en disent. Mais il n’est pas fait pour. C’est le nouveau projet de Frank Black. Frank Black et les Pixes*. Et c’est là à la fois la grande usurpation et le coup de génie. Personne n’aurait rien à foutre du nouveau Frank Black, et tout le monde critiquerait le nouveau Pixies. Alors le gros Frankie a sorti son nouvel album sous la forme du nouveau Pixies, et il s’est assuré que tout le monde l’écouterait. Quand les critiques seront passées, ce qui ira bien plus vite avec 3 EPs pour faire gonfler (et naturellement dégonfler) le buzz, le monde se rendra compte qu’il s’agit simplement d’un album sympa avec quelques très bons moments (“What Goes Boom”, “Magdalena 318”), des moments plus dispensables (“Andro Queen”, “Ring The Bell”) et un corps de morceaux honnêtes pas si mal (“Snakes” ou “Jaime Bravo”).

A la fois une arnaque, un coup de génie, et juste un album sympa. Bien joué, Frankie.

 

*Je désigne ici la formule des Pixies sans Kim Deal. Un jour, je vous expliquerai le jeu de mot. Peut-être.

 

BCG

2 Commentaires

  1. Intéressant, mais à moitié vrai seulement. D’accord pour dire que l’album est bon sans être impressionnant. Certes, on est loin de “Trompe le monde” ou “Doolittle”. Mais on est loin aussi des albums de Frank Black, et c’est là que ça devient intéressant. Après l’excellent “Bluefinger” (2007) et son petit frère “Svn Fngrs” (2008), Frank Black a semblé s’éloigner de la musique – sans doute pour s’occuper de ses quarante marmots. “Nonstoperotik”, “The Golem”, “Paley & Francis”, les deux albums de Grand Duchy : il n’a pas chômé depuis 2008, mais sans se donner à fond. A mon humble avis, en reformant les Pixies, il cherche surtout à retrouver le désir – et, si Dieu le veut, la magie. Et tiens, les deux morceaux géniaux que tu cites – “What Goes Boom”, “Magdalena 318” – ça faisait combien d’années qu’il n’avait pas composé des titres aussi beaux ces dernières années ? Tout ça pour dire qu’on peut soupçonner n’importe qui de cynisme ou de calcul, mais sans oublier qu’on cherche aussi tous la flamme. Black Francis sait bien qu’il n’a jamais fait mieux qu’entre 1987 et 1991, c’est pourquoi il y est retourné. Donnons lui sa chance.

    • Évidemment, je ne prétends pas savoir ce qui se passe dans la tête de Frank Black, il ne s’agit que de mon analyse.
      Et je ne sais pas non plus s’il a vraiment conscience qu’il n’a jamais fait mieux qu’entre 1987 et 1991. En terme de succès critique, c’est évident, mais j’espère à la fois pour les fans et pour lui qu’il apprécie vraiment ses morceaux quand il les propose à la face du monde et qu’il ne se dit pas “bon, ça passe mais ça ne vaut pas tel morceau des Pixies”.

      Je ne suis pas certain que cet album se place tellement au-dessus (ou en-dessous, ceci dit) d’autres de Frank Black, notamment les 2 que tu cites. Qu’il soit meilleur que les plus récents, certes, mais il n’y a pas de quoi s’exalter non plus à mon avis. On ne doit évidemment pas mettre Frank Black et ses comparses au pilori pour ça. Mon idée, c’était justement de dire “ce disque est faible pour un album des Pixies, mais ce n’est pas vraiment un album des Pixies; en tant qu’album de Frank Black, il ne s’en sort pas mal.”

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