Interview – Mudhoney

Publié par le 10 mai 2023 dans Interviews, Toutes les interviews

Mark Arm est clairement une de mes idoles musicales, mais je n’avais malheureusement jamais eu l’occasion d’échanger plus de quelques mots avec lui. Lors de notre dernière interview de Mudhoney, même si Steve Turner et Guy Maddison avaient largement assuré la relève, le chanteur/guitariste avait préféré s’épargner la presse. J’avais un peu peur de lui casser les pieds en étant programmé sur la dernière interview d’une longue fournée, la veille de son départ pour préparer leur tournée australienne d’avril, mais c’est un Mark Arm affable, accessible et drôle qui a pris le temps de me répondre sans aucune gêne. C’est pour ce genre de moments qu’on continue de faire du journalisme musical amateur, merci Exit Musik (et Sébastien de Modulor qui a organisé l’entretien).

« Nous n’avons plus 20 ans, on ne se bourre plus la gueule chaque soir avant de dormir deux ou trois heures. C’était un peu comme ça pour notre première tournée européenne, en 1989. À la moitié de la tournée, on est devenu fous, mais ce n’était pas le genre de folie où on voulait se planter les uns les autres avec des fourchettes. C’était un genre de folie où tout nous paraissait absurde et hilarant ! »

© Emily Reiman

C’est votre dernière interview avant de partir en tournée, si j’ai bien compris.
Oui, nous partons pour l’Australie vendredi, mais je passe la journée de demain à préparer mes affaires.

Parlons un peu du nouvel album, puisque c’est pour ça qu’on discute. Vous l’avez probablement déjà évoqué en long, en large et en travers. Que vous reste-t-il à dire dessus ?
Je n’ai pas vraiment de plan à ce sujet, c’est difficile pour moi d’être objectif concernant notre travail. Je pense qu’il est bon, mais je ne sais pas si c’est vraiment le cas. Je suis en plein dedans, tu comprends ? Je l’écoute énormément parce que nous n’avons pas encore eu l’occasion d’apprendre les morceaux. On va répéter cinq jours avant la tournée pour apprendre les nouvelles chansons car certaines ont été composées directement en studio. Concernant le déroulé de l’enregistrement, dont j’ai parlé à tort et à travers en interview, je pense que ce n’est pas un sujet intéressant. La plupart des gens s’en fichent un peu de savoir si on est passé par Pro Tools ou si on a enregistré sur bandes, ou combien de temps on y a passé. C’est ennuyeux.

La plupart des gens n’écoutent plus de rock. Ça intéresse peut-être ceux qui en écoutent encore.
Oui, c’est sûr. Peut-être, je ne sais pas.
J’ai essayé d’expliquer ça à ma tante, et je voyais ses yeux devenir tout blancs pendant que je lui parlais, avant qu’elle me demande : « Tu veux un autre cookie ? Ou un peu de gâteau ? J’ai fait du gâteau », et moi : « Laisse-moi te parler de l’enregistrement ! »

On peut parler d’autre chose, alors, si vous préférez !
(Rires)

Les deux derniers albums que vous avez faits me semblent très engagés, notamment sur des sujets politiques ou plus sérieux.
Oui, je pense que sur Plastic Eternity, il y a clairement des thèmes politiques, mais il y a aussi d’autres chansons qui n’ont rien à voir avec ça. Et j’essaie un peu de sortir de ça dans une certaine mesure. Je pense que les paroles se produisent à partir de ce qui me vient à l’esprit et donc ce qui se passe à ce moment-là. Il y a cinq ans (NdR : à la sortie de Digital Garbage), le contexte était horrible. Il est toujours horrible, mais je ne veux pas m’enfoncer dans l’horrible. Ce qui ne m’empêche pas d’en parler de-ci de-là.

C’est pour ça que vous avez écrit une chanson mignonne comme « Little Dogs », pour équilibrer ?
En fait, sur Digital Garbage, on avait la chanson « Oh Yeah », qui clôturait l’album. Pour moi, en termes de sujet, c’était comme un rince-bouche car elle parle de ce qu’on aime faire dans le groupe : du skateboard, surfer, du vélo, ce genre de choses. Après tout un album de « fuck you, fuck you, fuck you » sur la politique et la religion, on pouvait se demander : « Mais vous aimez quoi, en fait ? » (Rires) Il fallait qu’on parle un peu de ce qui nous fait plaisir, non ? Et d’une certaine manière, « Little Dogs » remplit la même fonction, elle est à la même place sur le disque. On pourrait finir sur une note déprimante, mais je préfère nous donner, à nous et aux gens qui nous écoutent, un peu de soulagement à la fin.

Donc ce n’est pas cette chanson que tu es censé écrire depuis des années sur un chien malade ? (NdR : running gag sur le fait que les premières chansons de Mudhoney utilisaient régulièrement les mots « sick » et « dog »)
Non, au départ, c’est Dan (NdR : Peters, le batteur du groupe) qui a composé la musique, et la guitare était très chargée, je ne pensais même pas pouvoir chanter dessus, ça n’avait pas trop de sens puisqu’il y avait déjà tellement de mélodie. Je ne savais pas trop quoi en faire, donc en studio, on l’avait structuré comme une instrumentale. En fait, on avait enregistré vingt chansons, certaines avaient des paroles, certaines étaient déjà prêtes avant, mais la plupart étaient assez ouvertes. J’aime les écouter dans ma voiture sur le trajet du travail. Un jour, j’écoutais cette musique en boucle quand soudain cette idée stupide m’est venue en tête, sans doute parce que je rentrais chez moi et je pensais à retrouver mon petit chien ! (Rires) Ça s’est passé comme ça, il n’y avait pas d’intention particulière et pour tout dire, j’avais même un peu honte de la montrer au reste du groupe… (Rires)
En fait, c’est un peu comme l’album des Modern Lovers qui est très sombre, très inspiré par le Velvet Underground. C’est un de mes disques préférés de tous les temps, avec des morceaux comme « She Cracked » ou « Hospital », mais tout est super sérieux, il y est tellement question de traumatisme que Jonathan Richman a en quelque sorte tourné le dos à tout ça et s’est mis à chanter des chansons comme « I’m A Little Airplane ». On dirait qu’il a fini par péter les plombs et que son cerveau a lâché. Et moi, c’est comme si après toutes mes autres chansons, c’est mon cerveau qui avait fini par lâcher. Jonathan Richman n’a contemplé l’abysse que deux ou trois ans. Moi, je l’ai contemplée pendant des décennies ! (Rires)

Est-ce que la chanson « Flush The Fascists » parle de la montée de l’extrême droite ?
Le premier vers, c’est « Dropped the toothpaste in the toilet bowl » (NdR : « J’ai fait tomber le dentifrice dans la cuvette des toilettes »), et c’est vraiment la première chose qui m’est venue. Au départ, j’avais cette idée de rythme, et ça m’a semblé marrant, je ne sais pas pourquoi, parce que chez moi, la cuvette des toilettes est très proche de l’évier et il m’est vraiment arrivé d’y faire tomber des choses. C’était un peu comme de l’écriture libre, à partir de ça, comme faire rimer « Jean Genet » avec « Bidet » et Genet a écrit Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes mais il a aussi été dans la légion étrangère, et j’ai trouvé le jeu de mot « lésion étrangère ». Ce genre d’associations d’idées. Et je n’ai pas particulièrement été surpris du résultat. Les derniers mots étaient : « Flush the fascists » (NdT : « Tire la chasse sur les fascistes »). Ça s’est fait comme ça, et ça avait du sens pour mon cerveau, même si ça n’en a peut-être pour personne d’autre.
Et sur cette chanson en particulier, il y a quelque chose que j’adore, c’est le solo de guitare de Steve à la fin. On dirait du métal qui se casse, comme des échardes de verre et de métal qui s’envolent dans tous les sens. C’est génial.

En tout cas, je trouve votre nouvel album excellent. Comment vous faites pour continuer de sortir de bons albums après tout ce temps ?
Je ne sais pas, pour nous aussi c’est un mystère. Je pense que c’est simplement, et c’est très important, le fait qu’on s’apprécie en tant que personne et qu’on apprécie la musique qu’on fait. Nous avons chacun des goûts différents qui nous amènent dans différentes directions, mais il y a clairement un terrain d’entente entre nous tous. Et on a tous à peu près le même âge, donc on parle le même langage. Si quelqu’un parle de Pere Ubu ou The Cramps, les autres savent immédiatement de quoi il parle. Si je devais soudainement rejoindre un groupe avec des gens d’une vingtaine d’années, je devrais sans doute prendre du temps pour leur faire écouter mes disques préférés.

Votre bassiste, Guy Maddison, est retourné vivre en Australie ?
Oui, il a déménagé à Melbourne en juin dernier. C’est pour ça qu’on va en tourner en Australie.

Comment ça va changer votre fonctionnement ?
Steve (NdR : Turner, le guitariste soliste) habitait déjà à Portland, qui est à 3 heures de route de Seattle, mais on pouvait quand même se retrouver pour répéter, se retrouver dans une même pièce. Là, je pense qu’on a compris comment fonctionner pour les tournées, puisqu’on a fait une tournée européenne en octobre dernier. On s’est retrouvé pendant 5 jours à Eindhoven pour répéter. C’est ce qu’on refait à Melbourne pour cette tournée, et ensuite on aura des dates aux États-Unis, donc on retrouvera Guy un peu plus tôt en automne, pour qu’on puisse répéter quelques jours.
En revanche, je ne sais pas du tout comment ça va fonctionner pour composer, parce que je pense qu’on travaille mieux quand on est tous ensemble dans une même pièce. On n’est pas un groupe avec un compositeur principal qui arrive avec des chansons toutes faites et qui dit à chacun de jouer telle ou telle partie. On ne fonctionne pas comme ça, on est un groupe plutôt collaboratif.

Est-ce que ça veut dire qu’on va enfin avoir un nouvel album des Monkeywrench (NdR : excellent side-project de Mark Arm et Steve Turner qui n’a sorti que 3 albums depuis 1992) ?
Je ne sais pas si tu es au courant de la situation de Tom Price, l’un des guitaristes (NdR : ex-The U-Men, Gas Huffer notamment). Il a la maladie de Parkinson.

Oh, je ne savais pas, désolé.
Pas de souci. En tout cas, la maladie est très avancée aujourd’hui. Il l’a attrapée assez tôt, je crois qu’il a été diagnostiqué au début des années 2000. Donc je ne pense pas qu’il y aura d’autres albums. En plus, je crois que Tim Kerr, l’autre guitariste (NdR : dans ce groupe, Mark Arm n’est que chanteur et Steve Turner joue de la basse), s’est tourné vers la musique irlandaise acoustique. Il m’a envoyé récemment une vidéo de lui à l’accordéon avec un mec qui joue de la guitare acoustique et un autre du banjo. C’est une vidéo en hommage à SPOT, qui était producteur chez SST (NdR : de son vrai nom Glenn Lockett, SPOT est décédé en mars 2023). En fait, c’est lui qui a fait découvrir à Tim la musique traditionnelle irlandaise.

Est-ce que vous avez des sortes de rituels pour préparer les tournées ?
Accumuler du sommeil, surtout à mon âge, est très important. Si je ne dors pas suffisamment, la première chose qui lâche, c’est ma voix. Je ne sais pas si ça va intéresser grand monde, mais nous n’avons plus 20 ans, on ne se bourre plus la gueule chaque soir avant de dormir deux ou trois heures. C’était un peu comme ça pour notre première tournée européenne, en 1989, qui avait duré neuf semaines. À peu près à la moitié de la tournée, on est devenu fous, mais ce n’était pas le genre de folie où on voulait se planter les uns les autres avec des fourchettes. C’était un genre de folie où tout nous paraissait absurde et hilarant, on se mettait à rire au moindre petit truc. Je ne m’en rendais pas compte sur le moment, mais on était simplement en manque de sommeil. On n’avait pas dormi suffisamment. On allait ici et là, on nous offrait de la bière ou d’autres trucs, on se disait : « Tout est gratuit ! » et on courait partout.

Ça n’a pas l’air d’être une expérience horrible, ça avait même l’air plutôt marrant.
C’était surtout une expérience nouvelle, aussi. Deux d’entre nous n’étaient jamais allés en Europe avant ça. Steve était déjà allé en France avec son père, et ma mère est originaire de Francfort donc j’y étais allé quand j’avais dix ans.

Et ça vous plait toujours ? Vous n’en avez pas assez ?
Je peux te dire qu’on ne le ferait pas si on ne prenait pas de plaisir à le faire. On n’a aucune obligation, c’est notre style de vie. On a un travail à côté, une famille, on a d’autre choses dans nos vies. C’est vraiment sympa à faire, et on a de la chance d’avoir réussi à faire en sorte que ça reste sympa.

« Il y a des gens au pouvoir qui ont une vision à si court terme et qui sont tellement cupides qu’ils sont prêts à sacrifier l’avenir de leur progéniture. Ça me rend complètement dingue. »

© Emily Reiman

Sur un sujet plus sérieux, la Cour Suprême a invalidé l’arrêt Roe vs Wade qui légalisait l’avortement à un niveau fédéral. Ça m’a fait penser à votre chanson « F.D.K. » sur My Brother The Cow qui traitait ce sujet. Êtes-vous fiers d’être visionnaires ou plutôt énervés que cette chanson soit toujours d’actualité ?
En fait, cette chanson a été écrite à une époque où des docteurs qui pratiquaient l’avortement se faisaient vraiment assassiner. Et il est arrivé un moment où ça nous paraissait bizarre de la jouer, donc on ne la jouait plus. On l’avait un peu ressortie pendant la période Obama, mais elle n’était plus trop d’actualité. Et puis, évidemment, pendant la présidence de Trump, les mecs qui appelaient à tuer des docteurs sont arrivés au pouvoir et reprenaient de l’activité. Je pense honnêtement que les Républicains, ou en tout cas une partie des Républicains, ne souhaitaient pas vraiment que l’arrêt Roe vs Wade soit annulé, mais que c’était une sorte de bout de viande pour leur base électorale, les soutiens du parti, les évangélistes qui votent pour eux. Donc c’était une arlésienne qui leur permettait de garder l’attention de ces électeurs « On fera tout ce qu’on peut pour annuler cette décision de justice ! » Mais maintenant qu’ils l’ont annulée, et bien, je ne sais pas si vous avez cette expression en France, mais c’est comme le chien qui a attrapé la voiture (NdR : l’expression « the dog that caught the car » s’utilise pour parler de quelqu’un qui a atteint sans s’y attendre un objectif qu’il poursuit depuis longtemps mais ne sait pas quoi faire ensuite) et évidemment, il y a un énorme mécontentement populaire en réaction. Le fait que l’avortement devrait être en accès libre est une position partagée par beaucoup, et 65 % de la population américaine la soutient. Et ça va même au-delà de ça, car même les femmes républicaines se rendent compte que parfois, pour leur propre bien ou celui de l’enfant, on ne devrait pas les forcer à mener une grossesse à terme, pour tout un tas de raisons. Tout ça, ça a galvanisé les gens contre les Républicains, et je pense que ça va continuer.
Par exemple, il y a eu une élection pour la Cour Suprême du Wisconsin, une élection intermédiaire à laquelle peu de gens participent, d’habitude. Et le Wisconsin est un État très partagé, donc en général quand quelqu’un gagne de 1 ou 2 %, c’est une grande victoire. Là, le juge progressiste a battu le juge conservateur de 10 %. C’était une énorme dérouillée ! Le fond du problème, c’est que le Wisconsin a une vieille loi du XIXe siècle qui rend l’avortement illégal, dont ils ne se sont jamais débarrassés parce que l’arrêt Roe vs Wade était promulgué à un niveau fédéral (NdR : aux États-Unis, une loi fédérale passe avant une loi d’état, ainsi si les deux se contredisent, c’est la loi fédérale qui est appliquée). Cette loi redevenait donc valide et devait être examinée par la Cour Suprême du Wisconsin, ce que les gens ont bien compris.

Vous qui avez connu la guerre froide, la peur du nucléaire et les années Reagan, en quoi est-ce différent de ce sentiment de fin du monde actuel, avec la catastrophe écologique, le Covid ou ce genre de choses ?
Si tu parles de l’environnement, du réchauffement climatique, ou ce genre de choses qui posent une chape de plomb, c’est un peu comme un anéantissement rampant. Ce n’est pas pareil que quand j’étais enfant. Je n’ai jamais eu à faire ces exercices où on te demande de t’accroupir sous ta table d’écolier, comme si ça allait avoir une quelconque utilité pour éviter les radiations ou survivre à une explosion nucléaire ! (Rires) Mais si tu regardes ce qui se faisait en punk et hardcore à l’époque, un groupe comme Discharge, par exemple, ne parlait presque que de guerre nucléaire. Et puis, je suis allé à l’école Luthérienne, et dans un lycée Chrétien, donc il y avait toujours cette espèce d’idée de fin des temps et du retour de Jésus qu’on m’enfonçait dans le cerveau. Je me rappelle quelquefois, quand j’attendais le bus et que je voyais un ciel sombre et menaçant, m’être dit : « Bon, voilà, c’est la fin. » C’est complètement débile, mais quand on est gosse, on est impressionnable, et puis il y avait aussi cette peur énorme du fait que les gens pensaient que Ronald Reagan était taré. On se disait qu’il pouvait appuyer sur le bouton de l’arme nucléaire à n’importe quel moment. Je ne suis pas assez vieux pour avoir vécu la crise de Cuba avec John F. Kennedy, mais c’était toujours en toile de fond. Mais ça aurait été quelque chose d’instantané, on aurait tous été exterminés en un instant ou très rapidement, en quelques heures.
Alors que ce qui se passe avec l’environnement, on en parle depuis les années 70, mais ça semblait très lointain. Dans les deux cas, je pense que la plupart des gens se sentent un peu impuissants. Ce qu’ont fait la plupart des sociétés qui se font de l’argent, par exemple en produisant du plastique, c’est de faire peser tout le problème sur le consommateur. C’est donc au consommateur de trier le plastique qui peut être recyclé, et de l’amener au lieu de recyclage. Alors qu’à la place, ils pourraient simplement ne pas utiliser de plastique, emballer dans du carton, du verre ou du métal. Mais il se trouve que le plastique est peu cher, efficace et rentable, et dans le fond c’est tout ce qui compte. Et de l’autre côté, il y a des gens au pouvoir qui ont une vision à si court terme et qui sont tellement cupides qu’ils sont prêts à sacrifier l’avenir de leur progéniture. Ça me rend complètement dingue.

Peut-être qu’ils ont l’impression de sacrifier la progéniture des autres et que la leur achètera des maisons en Norvège ou autre et ne souffrira pas du réchauffement.
Oui, ou qu’ils réussiront à fabriquer des maisons à climat neutre sous la terre. (Rires) Ou à aller sur Mars, parce que tant qu’à faire, allons habiter une planète où il n’y a pas d’atmosphère ! Les gens qui disent ce genre de trucs sont tarés. Ils sont complètement tarés !

Je voulais savoir, en tant que Français, si vous aviez reçu des critiques à cause de « Chardonnay » (NdR : morceau dont le refrain était « I hate you Chardonnay! »).
Non, car les gens de la Vallée du Loire qui font du Sancerre ou boivent du Sauvignon blanc sont complètement de notre côté ! (Rires) Ou du melon de Bourgogne, c’est comme ça que ça se dit, je crois ? (Je confirme) Ou les producteurs de vin de Bordeaux, ils travaillent avec du Sauvignon blanc, du Sémillon ou du Muscadet.
Mais pour être honnête, j’ai déjà bu du très bon Chablis non boisé. Et le problème, ce qui a lancé la chanson, c’est notre fiche technique (NdR : fiche transmise aux salles recevant le groupe). Dessus, on écrivait qu’on souhaitait « tant de bouteilles de vin rouge, et tant de bouteilles de vin blanc. » Et, particulièrement aux États-Unis, c’était toujours un putain de Chardonnay californien dégueulasse. Je ne suis pas à 100 % contre le Chardonnay ! (Rires) Je voulais juste envoyer le message à ceux qui rédigent les fiches techniques. C’était plus prudent de dire « pas de chardonnay » que de dire « ce serait cool si tu pouvais m’en trouver un bon. » (Rires)

Merci pour cette réponse très sympa pour les Français. En parlant de France, Didier des Dum Dum Boys m’a dit qu’il vous avait accueilli à Nice, et je voulais savoir quel souvenir tu gardais de ce voyage.
Oui, c’était super ! Après ça, on a tourné avec son groupe Non !. Je ne suis pas sur les réseaux sociaux, mais de temps en temps, je reçois des cartes de sa part. Ils nous ont super bien accueillis et on a passé un moment génial avec eux. Il nous a montré le château où les Stones ont enregistré Exile On Main Street (NdR : la villa Nellcôte, à Villefranche-sur-Mer), on est allés à la plage, et à un super restaurant sur les collines. Je crois que j’avais bu un Châteauneuf-du-pape de 2007 qui était délicieux !

J’ai lu dans une interview que vous êtes devenus ami avec Thurston Moore (NdR : guitariste-chanteur de Sonic Youth) car vous étiez tous les deux collectionneurs de vinyles.
Et bien, la première fois que Sonic Youth est venu jouer à Seattle, c’est Green River (NdR : précédent groupe de Mark Arm et Steve Turner) qui a été choisi pour faire leur première partie. C’est parce qu’on était amis avec le promoteur qui organisait le concert, et qu’il savait que Steve et moi étions fans de Kill Your Idol, leur premier EP qui n’était qu’en import et que je n’avais pas encore. Steve l’avait, je crois. Bref, on était fans de ce disque. Et je ne pense pas qu’il connaissait d’autres groupes qui avaient entendu parler de Sonic Youth, donc il nous a demandé à nous si on pouvait jouer avec eux. À partir de là, en gros, à chaque fois que Sonic Youth jouait à Seattle et que Green River était disponible, on faisait leur première partie. Bruce Pavitt (NdR : un des co-fondateurs du label Sub Pop) aussi s’entendait bien avec eux. Donc une relation s’est forgée, même si c’était une relation à longue distance.
À ce premier concert, quand il était sur scène, Thurston Moore a parlé du fait qu’il cherchait le single de Solger, un groupe de hardcore de Seattle qui avait ce disque avec 5 ou 7 chansons dessus affreusement mal enregistrées mais géniales. À une époque, c’était super facile de le trouver, le groupe les sortait lui-même. Mais ils se sont séparés juste après la sortie du disque. Le groupe n’a dû exister que six mois environ, et après ça, c’est devenu introuvable. Donc au-départ, je me suis dit : « Je vais lui filer mon exemplaire », mais je n’ai jamais réussi à en trouver un autre ! Et il devait m’envoyer un exemplaire de leur premier EP sur le label Neutral (NdR : qui s’intitule simplement Sonic Youth, et est ressorti depuis chez SST puis Geffen), ce qu’il n’a jamais fait. Je lui en veux toujours terriblement aujourd’hui !

Tu collectionnes toujours les vinyles, ou plus trop ?
Plus tellement. Le collectionneur, c’est plutôt Steve. Je crois d’ailleurs qu’une bonne partie de ses revenus y passe. Il fait ça depuis longtemps, il gère Ebay et Discogs et il a une patience immense, cette capacité à aller dans un magasin et de farfouiller pendant des heures. Alors que moi, je finis par avoir la tête qui tourne et je dois sortir !

Je voulais rebondir là-dessus pour parler de la situation du vinyle, qui paradoxalement revient à la mode alors qu’on dirait qu’il est de plus en plus difficile pour des groupes plus petits de sortir des disques ou de se les procurer.
Je m’en rends compte. Heureusement, Sub Pop est assez gros et est sur le marché depuis suffisamment longtemps pour avoir des relations avec quelques usines de pressage. Et je sais que Tim, par exemple, qui s’occupe de la production de vinyles en Europe, doit garder des espaces de stockage de côté dans l’attente des albums qui sont censés être disponibles ou qui vont sortir prochainement, pour que le fonctionnement soit optimal. Il doit réserver des créneaux. Du coup, j’imagine à quel point ça doit être horrible pour quelqu’un qui essaye simplement de presser son propre disque dans le cadre de son groupe, ou pour un petit label qui débute à peine. On dirait que c’est encore pire depuis le confinement, à cause des problèmes dans la chaine d’approvisionnement. Mais ça devrait être réglé, aujourd’hui. Et je crois que l’autre souci qui empire la situation, ce sont ces putain de majors qui ressortent Rumours de Fleetwood Mac ou ce genre de trucs. À quoi ça sert ?

Ça me fait penser que des quantités de copies neuves du dernier album d’Adele se sont retrouvés dans les magasins d’occasion parce qu’ils en avaient pressés trop comparé au nombre d’acheteurs.
Je pense que le fan moyen d’Adele écoute probablement de la musique en streaming. Ou de façon sarcastique, à la radio. La plupart des gens qui s’intéressent de très loin à la culture populaire sont généralement contents de manger ce qu’on leur sert.

Pour finir, y a-t-il des chansons que tu n’as plus trop envie de chanter ?
Il y a quelques chansons sur Superfuzz Bigmuff où je suis tellement sérieux, à la vie à la mort, en parlant d’une fille que ça me parait complètement idiot aujourd’hui. En plus, c’était plus l’extrapolation d’une situation que quelque chose que j’étais vraiment en train de vivre. Et puis, même si je la chante sans problème, il y a des aspects de « Here Comes Sickness », par exemple, qui me font un peu grimacer.

Mais c’est un classique, je pense que beaucoup seraient déçus si vous arrêtiez de la jouer.
Oh non, c’est un morceau génial, mais j’aurais aimé que les paroles soient différentes. Il y a un côté un peu misogyne. La seule chose qui la sauve dans ma tête, c’est qu’elle parle d’une femme qui serait partie avec mon père ; ce qui n’est jamais arrivé dans la vraie vie. Mais c’est un peu comme un gosse qui n’en voudrait pas à ses parents pour leur divorce mais à la personne avec qui le parent a choisi de partir.

Vu comme ça, on ne peut pas dire que ce soit misogyne, en effet ! Merci encore !

Tous nos articles sur Mudhoney (chroniques, interviews, playlist)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *