Interview – Karate

Posted by on 14 mars 2025 in Interviews, Non classé, Toutes les interviews

Depuis ses débuts en 1993, Karate fait figure de groupe à part. Malgré une assise slowcore et des accointances avec la scène post-hardcore de Washington (Fugazi en tête) qui n’ont jamais fait le moindre doute, le trio de Boston a progressivement fait évoluer sa musique, en s’inspirant du jazz et du blues, devenant disque après disque de plus en plus insaisissable. Deux décennies après Pockets, le trio de Boston est parvenu à réaliser l’impensable : revenir avec un nouvel album superbe, Make It Fit, empreint de la classe qui l’a de tout temps caractérisé. Et c’est un Geoff Farina d’excellente humeur, malgré le coup de massue qu’a constitué le résultat des élections américaines, qui s’est présenté à nous. Karate a vieilli, évolue encore, mais ne souhaite pas non plus chambouler toutes ses vieilles habitudes : il fonctionne toujours à l’instinct et au plaisir et semble plus motivé que jamais à reprendre la route.

« À 56 ans, je sais qu’il faut toujours se réinventer. Quand on compose, il faut le faire comme s’il s’agissait de la première fois. Et dans mon cas, ça passe par garder à l’esprit ce que je suis et ce que je ressens actuellement. J’espère toutefois que l’album ne sonne pas comme du « dad rock », comme on dit aux États-Unis. Je ressens encore ce que j’ai toujours ressenti en composant les morceaux de Karate, mais Make It Fit est un album qui reflète nos personnalités actuelles et le monde qui nous entoure. »

On change tous beaucoup en vingt ans, la société également. Qu’est-ce qui a changé au sein de Karate ? Avez-vous retrouvé vos vieux réflexes rapidement ?

Geoff Farina : Oui, ils sont revenus très vite. Quand on a recommencé à jouer en 2022, je me souviens très distinctement avoir retrouvé les gars pour la première fois depuis 17 ans dans le sous-sol de Gavin (NdR : McCarthy, batteur). On a essayé de jouer un de nos vieux morceaux et, en l’espace de trente secondes, on avait le sentiment de ne s’être jamais arrêté. On était restés amis depuis toutes ces années et, musicalement, une alchimie a toujours existé entre nous. Mais effectivement, le monde a changé… J’ai arrêté de m’intéresser à la musique quand Pitchfork a démarré (NdR : le site a pourtant été lancé en… 1995), quand jouer dans un groupe n’a plus seulement consisté à tourner, voyager et rencontrer des gens, mais aussi à se connecter à Internet pour y parler de soi. Je ne trouvais plus d’intérêt dans la vie de musicien en groupe et je me suis contenté d’écouter des disques pendant 17 ans. Aujourd’hui, on fonctionne de la même manière qu’à nos débuts, et je crois que notre public apprécie cette façon de faire old-school, qui semble bien fonctionner pour nous.


Tu as donc cessé de t’intéresser de près aux dernières sorties musicales. Ce qui signifie que tu n’as rien découvert de marquant durant toutes ces années, qui aurait pu avoir une influence sur ta façon de composer ? 

J’ai découvert beaucoup de vieille musique ! J’enseigne l’histoire de la musique à l’université de Chicago et j’étudie toute la musique du 20e siècle, jusqu’aux années 90 environ. Le rock des 50s et 60s a dû impacter mon jeu de guitare, plus qu’avant. Ce n’était pas une influence à mes débuts, ou alors peut-être sur nos derniers albums. En tout cas, j’étudie principalement la musique des années 40 à 80… Le punk et le rock avant l’arrivée du punk et la musique populaire anglaise et américaine, voilà la musique du 20e siècle que j’adore.

Les groupes actuels ne t’intéressent vraiment pas ?

Mes étudiants me font sans arrêt découvrir des nouveautés. Dans certains de mes cours, ils doivent réaliser des projets basés sur la musique qu’ils aiment. C’est l’occasion pour moi de faire des découvertes grâce à eux. Je sais donc qu’énormément de jeunes musiciens sortent des trucs incroyables. Je suis ça du coin de l’œil, j’écoute un peu tout, mais… je n’ai plus de place ! Mon monde musical est bien rempli. Il existe tant de musique d’il y a trente à soixante ans que je veux écouter, étudier et dont je veux apprendre, que je n’ai pas le temps de m’intéresser aux sorties récentes.


J’en reviens à Karate. Vous habitez tous assez loin les uns des autres désormais : Boston, Chicago et même la Belgique. Comment avez-vous travaillé sans vous retrouver régulièrement dans la même pièce ? As-tu dû davantage préparer les morceaux en amont ?
Oui, on a trouvé une nouvelle et très bonne façon de travailler ensemble. Quand on a décidé de réaliser un nouvel album, la principale question a été : en est-on capables ? Auparavant, ce qu’on faisait systématiquement, c’était composer des morceaux, partir en tournée et les jouer tous les soirs. De cette manière, on apprend vraiment à connaître les compos en profondeur, ainsi que les idiosyncrasies de chacun dans sa façon d’interpréter la musique. Mais cette fois-ci, j’ai procédé comme jamais auparavant : j’ai composé puis enregistré des démos de toutes les chansons – des démos de guitare et de chant au tout début. Ensuite, on a vraiment essayé de se retrouver dans la même pièce le plus souvent possible. On tournait beaucoup et, chaque fois qu’on voyageait, en Espagne, en Islande ou ailleurs, on demandait à un ami si on pouvait emprunter un local de répétition. Quand on a joué au Primavera par exemple, on a bénéficié de deux ou trois jours de repos, et on en a profité pour répéter les nouveaux morceaux dans le local d’un ami à Madrid. Même chose ensuite en Islande, à Boston, etc. Jeff (NdR : Goddard, bassiste) et Gavin ont, eux, travaillé la section rythmique en Belgique. On a donc vraiment optimisé notre temps pour se retrouver entre les concerts, parce qu’on en a donné beaucoup. On a probablement passé autant de temps à travailler ces morceaux que si on l’avait fait de manière classique, mais au lieu de répéter deux heures chaque après-midi, on s’enfermait dix heure dans un local pour se plonger totalement dedans. Et cette méthode a fonctionné. On est très heureux du résultat. Quand on s’est retrouvés en studio, on connaissait aussi bien les morceaux qu’autrefois.


Le choix d’Andy Hong pour enregistrer l’album a dû s’imposer naturellement. Mais apparemment, il était encore en train de construire son studio la veille du début des sessions. J’imagine donc qu’elles ont dû être plus stressantes que prévu…

Oui, effectivement, mais Andy parvient toujours à trouver une solution. Je suis quelqu’un de très stressé. Andy, lui, est très méthodique et sait précisément ce qu’il peut accomplir en 24 heures. Mais effectivement, ils ont installé l’escalier pour accéder au studio la veille de notre venue ! Et lorsque nous sommes arrivés, nous avons dû nous occuper de tous les branchements. On se retrouvait avec tant de travail que la tâche me semblait irréalisable en si peu de jours. Mais Andy sait parfaitement ce qu’il fait et nous nous sommes démenés, car on voulait vraiment se retrouver tous les trois avec Andy dans une ambiance sereine et ne pas avoir à souffrir du rythme effréné que t’impose souvent un enregistrement en studio. Andy est toujours en train de déménager, d’acheter et de vendre des studios – il en construit un à Nashville actuellement –, il faut donc faire ce sacrifice. Si nous voulons continuer à travailler avec lui, il faudra toujours faire ce genre d’effort : avec lui, rien n’est jamais fourni « clé en main ». Après les deux premiers jours, nous nous y sommes mis sérieusement et tout s’est très bien passé.


Sur l’album, j’aime beaucoup ce « Rattle The Pipes » très « punky reggae party ». Il m’a un peu rappelé les morceaux reggae des Clash ou des Bad Brains. Comment t’est-il venu ? Les autres membres ont-ils été surpris quand tu le leur as proposé ?

Non, parce que nous avons toujours intégré des petites touches de dub et reggae. Sur Some Boots (NdR : sorti en 2002), où j’utilisais un écho sur bande, par exemple. Et si tu écoutes notre deuxième album (NdR : In Place Of Real Insight, 1997), tu peux entendre une grosse basse dub sur un ou deux morceaux. Quand j’étais au lycée, j’adorais le reggae. J’écoutais Augustus Pablo pour m’endormir et les Bad Brains comptaient évidemment beaucoup pour moi à cette époque. J’adorais aussi Sly And Robbie. Ça ne s’entend peut-être pas de manière flagrante, mais ça fait vraiment partie de mes influences. On a juste voulu aller un peu plus loin dans cette direction avec « Rattle The Pipes », tout en conservant un rendu punk, d’où ce son de guitare très crunchy qui n’a rien de reggae. On s’est beaucoup amusés avec ce morceau, dont les paroles sont les plus légères de l’album : il y est simplement question de faire partie d’un groupe, d’être ensemble et de prendre du plaisir. Je trouve ce morceau très plaisant à jouer. On l’aime beaucoup, je pense donc qu’on réitérera ce genre de mélange à l’avenir. 


J’adore également « Fall To Grace » et « Silence Sound ». Quand je les écoute, j’ai le sentiment d’être face à un groupe extrêmement mature, très apaisé. Comme si tout était du bonus maintenant pour vous. On a cru que vous ne reviendriez jamais et…

Nous aussi ! (Rires) En 2005, je jouais dans deux autres groupes, Glorytellers et Exit Verse, pour lesquels je composais. Et je crois que c’est grâce à eux que j’ai vraiment appris à écrire des morceaux en prenant uniquement en compte la personne que je suis sur le moment sans essayer de recapturer un quelconque feeling passé. Quand j’avais la quarantaine, j’ai traversé une période un peu difficile et j’ai vraiment eu du mal à en sortir. J’étais tombé dans le piège du quadragénaire se sentant dépassé et cherchant à retrouver l’énergie de ses vingt ans. Aujourd’hui, à 56 ans, je sais qu’il faut toujours se réinventer. Quand on compose, il faut le faire comme s’il s’agissait de la première fois. Et dans mon cas, ça passe par garder à l’esprit ce que je suis et ce que je ressens actuellement. J’espère toutefois que l’album ne sonne pas comme du « dad rock », comme on dit aux États-Unis. Je ressens encore ce que j’ai toujours ressenti en composant les morceaux de Karate, mais Make It Fit est un album qui reflète nos personnalités actuelles et le monde qui nous entoure. Et en ce moment, j’ai l’impression d’être de retour dans les années 80 quand je jouais dans des groupes punk rock, au lycée, que Reagan était président, que l’épidémie du SIDA débutait et qu’il n’en disait pas un mot. Un peu comme la révolution Gingrich (NdR : ou révolution républicaine, qui a eu lieu en 1994, du nom de Newt Gingrich, alors élu premier speaker républicain depuis 1953). Les forces de droite essayaient notamment d’éradiquer la culture indépendante. Et c’est ce qu’on ressent aujourd’hui. Il m’est donc très facile d’écrire des chansons actuellement, parce que j’ai beaucoup de choses à dire, tout un tas d’évènements importants se produisent. 


« La vie est devenue très compliquée, pour toutes sortes de raisons. Mais lorsque je me retrouve sur scène avec une guitare électrique, tout me semble rentrer dans l’ordre : je suis là où je dois être, je me sens fait pour ça. »

Puisque tu évoques la situation politique… la nouvelle élection de Trump a-t-elle constitué un choc pour toi ?

Non. Je suis très pessimiste et j’ai suivi tout ça de très près jusqu’à deux semaines avant l’élection. Depuis, je me suis juré de ne plus regarder les informations : je trouve ça trop déprimant. Personnellement, je ne suis pas un activiste, mais ma femme et beaucoup de gens de mon entourage sont très engagés et impliqués dans la politique, côté démocrate. Ils ont beaucoup démarché pour essayer de faire élire Kamala. Mais le résultat ne me surprend pas. La révolution Gingrich, les années 80 avec Reagan, ce genre de Majorité Morale, et ensuite le Tea Party vingt ans plus tard… Les États-Unis n’ont pas encore évolué. Certaines vieilles valeurs restent profondément ancrées alors qu’elles sont obsolètes. Pourtant, la plupart des Américains veulent une vraie démocratie multiculturelle : nous sommes la plus grosse démocratie multiculturelle du monde. Et nous n’y parvenons toujours pas. Ça va donc encore prendre du temps. Pourtant, tu sais, sur un plan local, des gens luttent vraiment. Mais ce n’est pas ce que montrent les médias.


En tant que Français, nous n’avons certainement pas de leçons à vous donner. Vu d’ici, ce qui est effrayant, c’est que ce type semble très imprévisible. On a le sentiment qu’il est capable de prendre une décision irrationnelle et irresponsable à n’importe quel moment. Est-ce aussi ce que vous craignez le plus ?

Oui. Ma femme est italienne et je passe beaucoup de temps en Europe. Sa famille habite près de la frontière entre l’Italie et la Slovénie. Et évidemment la guerre en Ukraine paraît très proche de là-bas. Je sais qu’elle préoccupe bien plus les Européens que les Américains… L’OTAN a été une très grande réussite et la seule fois où l’article 5 a été utilisé (NdR : il stipule que si un pays de l’OTAN est victime d’une attaque armée, chaque membre de l’Alliance considérera cet acte de violence comme une attaque armée dirigée contre l’ensemble des membres et prendra les mesures qu’il jugera nécessaires pour venir en aide au pays attaqué), c’était pour nous, lors du 11 septembre. Il faut espérer que le sang-froid l’emportera. Je pense que l’isolationnisme ne fonctionne jamais vraiment. Et j’ai beaucoup de respect pour l’Europe, j’y ai voyagé durant des décennies. Tous ces pays si proches les uns des autres mais où les gens parlent des langues différentes… Cela dit, vous vous disputez tout le temps ! On travaille depuis toujours avec un manager belge et je ne peux pas parler directement avec les Français ou les Italiens. (Rires) Mais c’est juste interpersonnel et pas insurmontable, d’aucune manière. En fait, je trouve assez incroyable que des pays aussi proches les uns des autres et parfois si différents soient parvenus à travailler relativement bien ensemble depuis la Seconde Guerre mondiale. C’est ce qui me donne la foi. Même si la situation parait critique actuellement, il semble que le monde ne pourra qu’aller mieux après ça.  


Tu vas d’ailleurs revenir bientôt en Europe. Tu sembles plus heureux que jamais de jouer sur scène et tourner. Tu n’aimais pas autant ça auparavant ?

Je suis un peu introverti et je n’aime pas voyager. Je n’aime pas être entouré de gens. Je préfère rester chez moi, écrire des chansons, enregistrer, jouer de la guitare, enseigner… Je ne suis pas quelqu’un de très sociable, je dois le reconnaître. Et je n’ai donc jamais adoré tourner. Mes camarades du groupe sont beaucoup plus résistants que moi face au manque de sommeil et aux longs trajets en voiture. Je m’épuise assez facilement, mais je le sais maintenant, et je m’en accommode. Par contre, quand vient le moment de monter sur scène, j’ai l’impression d’être là où je suis censé être. Jouer de la guitare fort sur scène avec les autres, chanter mes chansons, j’adore. Tout le reste me semble faux. Comme on le disait, les choses ont si mal tourné à bien des égards, et pas seulement sur le plan politique… Je pense que la vie est devenue très compliquée, pour toutes sortes de raisons. Mais lorsque je me retrouve sur scène avec une guitare électrique, tout me semble rentrer dans l’ordre : je suis là où je dois être, je me sens fait pour ça. Et puis, en 2022, nous nous sommes tellement amusés ! Tous les petits détails qui nous stressaient, comme les petits problèmes d’attitude, ont tous disparu. On s’amuse, c’est tout. Les gens qui assistent à nos concerts font des efforts pour venir nous voir, ce n’est pas un public de bar présent par hasard. Tout le monde se sent donc vraiment chanceux d’être là, et ça se ressent sur scène. C’est un vrai plaisir. Et nous allons beaucoup tourner en décembre et l’année prochaine. J’en suis ravi. 


Tes problèmes d’audition avaient été avancés comme la raison officielle de votre séparation en 2005. Était-ce la seule, ou aviez-vous aussi le sentiment d’être parvenus au bout d’un cycle ?

Ce n’était absolument pas la seule raison. On sentait effectivement qu’on arrivait au bout d’un cycle. Je voulais apprendre différents types de musique, étudier la guitare plus sérieusement, la guitare solo, acoustique et éventuellement composer des morceaux avec cet instrument. On faisait la même chose depuis si longtemps… Puis, j’ai aussi souffert de problèmes d’audition. On ne gagnait pas beaucoup d’argent. On s’en sortait, mais on vivait vraiment avec peu. Bon, c’est toujours le cas… (Rires) Nous avons tourné très intensément durant douze ans, c’est long, pour n’importe quel groupe. Il faut vraiment être motivé pour continuer après ça. Nous avions aussi probablement besoin d’un peu moins nous voir. Et c’était le bon moment. Je suis heureux que nous nous soyons arrêtés. D’autant que nous n’avons jamais cessé d’être amis ni jamais perdu le contact.


Les masters de vos disques sont longtemps restés bloqués en Angleterre par votre ancien label Southern, Numero Group a dû envoyer quelqu’un les récupérer. Ça a été un long chemin semé d’embûches pour que ces rééditions voient le jour, non ?
Oui, on a cru qu’elles ne sortiraient jamais. Notre ancien label nous a comme tenus en otage pendant dix ou douze ans : ils ne voulaient pas rééditer nos albums et n’autorisaient personne à le faire. Ils ne voulaient même pas communiquer avec nous. C’était terrible. On a essayé durant des années et des années, on était dégoûtés. On pouvait trouver notre musique sur YouTube, mais le son était épouvantable. Puis Ken (NdR : Shipley, le directeur artistique) de Numero Group m’a contacté. C’est le genre de gars qui, lorsqu’il a un but en tête, fait tout pour l’atteindre. Bref, pouvoir effectuer notre retour a été une énorme surprise ! Nous nous amusons vraiment beaucoup depuis. Et Numero Group est un excellent label ! Les deux gars qui le dirigent sont vraiment très intéressants, très différents l’un de l’autre. Et puis, beaucoup de jeunes y travaillent et se montrent très créatifs. Ils sont vraiment motivés et je trouve très agréable de monter des projets avec eux. 


Ont-ils également joué un rôle dans votre retour en studio ?

Oui, indéniablement. On se parlait tous les jours à propos des rééditions, qui nécessitaient d’échanger quotidiennement. L’enregistrement d’un nouvel album est ensuite devenu un sujet inévitable. D’abord, quelqu’un nous a proposé de nous reformer pour jouer dans un festival. Nous avons accepté et pris énormément de plaisir. Puis une fois en tournée, j’ai eu l’idée d’écrire de nouveaux morceaux. Réaliser que des gens s’intéressaient encore à Karate nous a vraiment incités à nous lancer. Les concerts affichaient complet et le public était très réceptif. Nous nous sommes alors dits : « Pourquoi ne pas composer un nouvel album ? C’est l’occasion idéale ! » 


Vous devez être fiers de figurer sur ce label, entourés de tant de bons groupes. J’imagine d’ailleurs que vous vous sentez proches de Codeine ou Unwound, par exemple, avec qui vous avez joué récemment. Ont-ils beaucoup compté pour vous ? Je pense que quelqu’un qui découvre Karate aujourd’hui ne percevra pas de manière évidente votre filiation avec Unwound, qui vient de la scène post-hardcore/noise rock, mais elle est pourtant bien réelle…

Oui, c’est intéressant. Nos musique sont très différentes, mais nous avons joué plusieurs fois en Europe avec Unwound dans les années 90 ou au début des années 2000. Je me souviens quand leur première cassette est sortie (NdR : en 1991). Je vivais à Washington DC et quelqu’un me l’a donnée : elle sonnait tellement bien ! Ça a toujours été un groupe porté par une énergie cathartique. Tout le monde les adore. Je les aime d’ailleurs encore plus aujourd’hui qu’à l’époque. Quant à Codeine… On leur a tout piqué ! C’est vraiment l’un des groupes qui nous a le plus influencés. Nos premières chansons, comme « Gasoline » ou « The Schwinn », sont très lentes. Codeine a, d’une certaine manière, « autorisé » les autres groupes à jouer de cette manière, aussi lentement. Chris Brokaw, qui jouait de la batterie pour Codeine, fait aussi partie de Come (NdR : en tant que guitariste-chanteur), autre groupe ayant eu une grande influence sur nous. Quand Numero Group nous a sollicités, Gavin a tout de suite contacté des membres d’Unwound pour obtenir des renseignements sur le label. Leur retour s’est avéré très positif, on a donc accepté leur offre. Puis, le groupe Tsunami, avec lequel je suis ami depuis longtemps, a lui aussi été approché par Numero Group. Et ils m’ont à leur tour demandé comment ça se passait pour nous avec eux… Nous sommes nombreux à nous connaître depuis les 90s et à nous retrouver sur ce label parce que Numero Group a vraiment décidé de se focaliser sur la musique de cette décennie. Ils ont commencé avec le RnB, mais ils considèrent que la musique des 90s fait partie de leur identité. Nous sommes donc nombreux à nous connaître et je trouve vraiment agréable d’être ensemble. Pour les vingt ans de Numero Group, un festival a été organisé à Los Angeles (NdR : le 18 et 19 février 2023) et c’était une grande réunion de musiciens des 90s. Tous ces groupes étaient là : Dan Littleton avec The Hated (NdR : il est aussi membre du groupe Ida, présent ce soir-là), Alan Sparhawk (NdR : de Low, apparemment uniquement présent en tant que spectateur), et tant de grands musiciens que nous avons connus dans les années 90 et 2000 (NdR : à l’affiche également : Unwound, Codeine, Chisel, Everyone Asked About You, Ui, Rex, Tsunami).


Oui, on était très jaloux, nous, pauvres Français… 

(Rires)


À propos d’albums et de groupes que tu adores, Double Nickels On The Dime des Minutemen vient de fêter ses quarante ans il y a quelques mois. S’agit-il toujours d’un de tes disques préférés (NdR : Karate a d’ailleurs repris quatre morceaux de Minutemen sur l’EP In The Fishtank 12) ?

Oh oui ! Quand j’étais au lycée, je possédais tous leurs albums et leurs singles. Ils ont tous énormément compté pour moi. Je ne les ai pas réécoutés récemment, mais j’adorerais m’y replonger ! Ce sont des disques vraiment uniques. C’était un groupe purement punk, de la meilleure façon possible. Ils ont emprunté à toutes sortes de genres, et pas seulement au funk, même si c’est sur cet aspect de leur musique que beaucoup de monde se focalise : ils adoraient aussi Creedence Clearwater Revival et le classic rock. Karate ne sonne absolument pas comme les Minutemen, mais je considère toujours qu’il s’agit de l’une de mes principales influences. J’ai toujours préféré les groupes qui mélangent et n’ont pas peur d’afficher une forte personnalité à ceux qui décident de suivre à la lettre les préceptes d’un genre musical précis.


Une dernière question : tu es un grand lecteur. Je crois savoir que tu as lu beaucoup de science-fiction l’été dernier. T’es-tu concentré sur certains auteurs ou en as-tu découvert un devenu important pour toi ?

Oui, j’ai été un peu malade cet été. Je me suis retrouvé cloué au lit à cause de douleurs au dos, rien de méchant. Et j’ai dû lire trente à trente-cinq livres de science-fiction. Dans le lot, la majeure partie du catalogue de Philip K. Dick, y compris la VALIS Trilogy (NdR : La trilogie divine), que je n’avais jamais lue auparavant. Je suis très heureux de l’avoir lue, car je comprends désormais beaucoup mieux Philip K. Dick. Mais je suis aussi revenu à ses œuvres des années cinquante et soixante. C’est ce que j’aime le plus. Je pense que The Three Stigmata Of Palmer Eldritch (NdR : Le Dieu venu du Centaure) est probablement l’un des romans de science-fiction les plus intéressants qui soient. J’ai lu quelques classiques, comme Tiger! Tiger! d’Alfred Bester (NdR : sorti sous ce nom en Angleterre puis The Stars My Destination aux États-Unis, traduit en France sous le nom de Terminus, les étoiles). Il n’a écrit que deux romans, mais il était scénariste et écrivain professionnel. Je crois qu’il a écrit des scénarios pour la télévision. C’est une histoire incroyable, l’une des meilleures de science-fiction et de cape et d’épée que j’aie jamais lues. J’ai lu deux livres sur les trois qui composent la Sprawl Trilogy (NdR : trilogie de la Conurb) de William Gibson. Je n’ai par contre pas lu Mona Lisa Overdrive (NdR : Mona Lisa s’éclate). Ces livres étaient vraiment fascinants. J’étais un adolescent dans les années 80 et un enfant dans les années 70 et Neuromancer (NdR : Neuromancien, le premier de la trilogie) m’aide vraiment à comprendre les années 80. Il y a eu un avant et un après Neuromancer en science-fiction. Les univers parallèles, les disques durs implantés dans le cou… toutes ces idées viennent de Neuromancer. Je l’ignorais totalement. C’était vraiment visionnaire. Je pourrais en parler pendant des heures ! (Rires) 


Toutes tes lectures, notamment de science-fiction, peuvent avoir une influence sur tes textes ?
Un petit peu. Certaines idées de Philip K. Dick ont fait leur chemin dans certains morceaux sur lesquels j’ai travaillés récemment, oui.


Interview réalisée par Jonathan Lopez

Cet entretien est paru initialement dans new Noise #73, disponible sur commande ici.

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