Interview – FACS
Plus d’une décennie déjà que l’aventure Disappears a débuté, parvenant à positionner le groupe à une place singulière sur l’échiquier bien encombré du post punk. En 2018, FACS reprenait le flambeau avec la même intransigeance, sans concéder le moindre compromis. Sa musique, autrefois viscérale, a évolué progressivement vers quelque chose de plus cérébral. Austère diront certains, envoûtant leur rétorquons-nous. FACS joue sur les répétitions, se complait à créer d’inextricables nœuds au cerveau comme seuls savaient les nouer les groupes de l’autre côté du Rhin dans les 70s. Present Tense ne déroge pas à la règle, ne s’offre toujours pas au tout-venant, mais il s’agit peut-être là du disque le plus fascinant et accompli de l’œuvre du trio. Un seul homme est présent depuis les tout débuts : Brian Case, guitariste-chanteur. Le moins bon du groupe, d’après ses dires. Sans doute pas le moins volubile.
“Je ne suis pas un guitariste technique et je ne m’y connais pas trop en théorie, en langage musical, je me concentre davantage sur le feeling. Et dans ce groupe, ce n’est pas un problème car Noah et Alianna portent vraiment les morceaux. (…) Ce n’est pas grave si je suis le moins bon du groupe ! (Rires)”
Vous sortez un nouvel album chaque année. Vu que c’était déjà votre rythme avant la pandémie et que vous n’avez pas pu tourner depuis un an, vous devez avoir trois albums prêts à sortir !
(Rires) La composition, c’est ce que je préfère et cette collaboration avec Noah (NdR : Leger, le batteur) et Alianna (NdR : Kalaba, la bassiste) se passe très bien. J’adore donner des concerts et voyager évidemment, mais c’est surtout la création qui m’inspire le plus.
Composes-tu beaucoup seul chez toi avant de partager tes idées avec les autres membres ?
Oui, je joue énormément de musique seul chez moi. J’essaie de rassembler des idées, plutôt que d’arriver avec un morceau fini car j’aime démarrer à partir d’un fragment puis construire petit à petit de façon naturelle, en fonction de ce qui se passe en studios.
Vous avez même sorti l’an passé, contre toute attente, un album collaboratif de Disappears avec Steve Shelley et White/Light, enregistré en 2009. Avez-vous encore beaucoup de choses inédites dans vos cartons qui pourraient ressurgir durant les prochaines années ?
Non, on a bien fouillé mais on n’a pas trouvé grand-chose d’autre. (Rires)
Tu as également mis en ligne deux nouveaux albums solos sur ton Bandcamp en octobre 2020 et en mars dernier. Qu’essaies-tu de développer en solo avec ces travaux ambiant ? En comparaison, la musique de FACS sonne très commerciale !
(Rires) Oui, c’est surtout une question d’humeur. J’essaie de construire un univers sonore dans lequel on peut s’évader. On essaie aussi de le faire avec FACS mais en solo, je tente de me focaliser sur un seul instrument au lieu de l’intégrer à des parties rythmiques. J’enregistre longuement ce qui me vient à l’esprit et je conserve ensuite les meilleures parties plutôt que de composer directement un morceau.
Il t’arrive donc d’enregistrer des morceaux trois fois plus longs pour ensuite les réduire ?
Oui, c’est ça. Je m’affranchis ainsi des contraintes qu’impose le fait d’être dans un groupe avec deux autres membres, comme devoir respecter un temps imparti, s’adapter à un lieu établi, se fixer sur une direction musicale particulière. Là, c’est juste moi, sur mon temps libre, je fais ce que je veux. J’essaie de faire quelque chose de libre, ouvert et de conserver le plus intéressant.
Pour ce nouvel album, j’ai lu que tu avais travaillé d’une façon très particulière sur les textes de ce disque. Peux-tu nous expliquer ?
Oui, plutôt que de m’asseoir pour écrire les paroles d’un morceau, et de ne parler que d’un sujet, j’ai simplement écrit plein de phrases sur une feuille. Et quand on terminait la musique d’un morceau, j’essayais de trouver les mots qui lui correspondait le mieux et d’élaborer les textes à partir de là. Puis, j’essayais de comprendre ce que ça signifiait. (Rires) J’ai beaucoup aimé travailler de cette façon, finalement c’est un concept plus intéressant que d’essayer d’écrire morceau par morceau.
Ça a également eu un impact sur la composition des morceaux ou c’était vraiment la touche finale ?
Non, on n’a pas vraiment prêté attention aux textes quand on composait la musique. C’est au moment de l’enregistrement qu’ils ont entendu pour la première fois certaines chansons. C’était cool d’avoir leurs impressions, leurs conseils sur la façon d’exprimer ces mots. Ils m’ont aussi questionné pour savoir d’où ça venait, pour comprendre le sens de tout ça, ce que ça signifie pour nous…
Étrangement, je trouve cet album moins claustrophobique que Void Moments alors qu’il a été composé durant la pandémie.
On vivait un peu dans notre bulle. On a été confinés donc on ne s’est pas vus pendant un certain temps. Quand on s’est retrouvé en salle de répétitions, on portait nos masques, il y avait beaucoup d’incertitude dans le monde, on se demandait même s’il n’était pas risqué de se retrouver ensemble. C’était comme si on fonctionnait dans notre petit monde à nous. Et il constituait comme une échappatoire car on n’était pas censé sortir de chez nous donc on laissait notre claustrophobie derrière nous. Ça s’est donc traduit d’une façon intéressante dans notre musique car elle contient beaucoup de tension, de répétition. Ces éléments sont toujours là mais ils sont amenés de manière différente, probablement car la musique symbolisait notre façon d’échapper à ce qui se passait dans le monde et à notre quotidien chez nous.
Malgré tout, tu pousses des cris terribles à la fin du morceau « XOUT ». Ils m’ont un peu rappelé ceux de « Frankie Teardrop » de Suicide (en moins terrifiants quand même !) ou à « Aumgn » de CAN. Il y a toutefois une différence majeure : ces morceaux se situaient en fin d’album alors que vous avez choisi de mettre « XOUT » en ouverture !
Oui, ça nous semblait justifié d’ouvrir l’album comme ça, sachant que le monde vivait cloitré depuis un an ! (Rires) Ce sont des cris libérateurs ! CAN et Suicide sont deux énormes influences, parmi mes groupes préférés donc merci !
Qui s’est occupé de l’artwork ?
Je me suis chargé du design mais la photo est d’une de nos amies, Allison Green. Cela provient d’un projet de logement proche de chez nous. Ils les photographiaient car ils allaient les transformer en appartements onéreux. Déloger les gens pour pouvoir les revendre à des riches, c’est très représentatif des Etats-Unis en 2020. (Rires) On aimait la photo, elle traduit bien l’idée d’être bloqué à l’intérieur. Tu commences à faire attention aux fissures, aux éléments détériorés car il n’y a rien d’autre à faire que regarder le mur.
À propos d’enfermement, vous avez fait un livestream la semaine précédant la sortie de l’album. Comment était-ce de jouer uniquement devant une équipe technique ?
On n’a pas de problème avec ça. On en avait déjà fait quelques-uns, ce n’était pas totalement nouveau pour nous. Évidemment, avec un public, il se produit un transfert d’énergie, rien ne vaut ça. Là, c’était également l’occasion d’entendre notre album différemment : il y a nos versions enregistrées et les versions live des morceaux, qui sont parfois très éloignés. On a simplement dû se concentrer sur la façon de les retranscrire, de les rendre différents mais plaisants pour nous.
Finalement les Etats-Unis semblent s’approcher du bout du tunnel. L’auriez-vous fait si vous aviez su qu’il serait finalement possible de tourner à nouveau prochainement ?
Oui, on l’aurait quand même fait. Même si on pourra reprendre la tournée cette année et revenir en Europe l’année prochaine, du moins, je l’espère. On se disait que ce serait cool pour les gens de nous voir jouer. C’est toujours une bonne chose car tout le monde ne peut pas se rendre aux concerts, selon leurs moyens, où ils habitent… Ça peut aussi donner envie de venir nous voir.
Tu as déclaré il y a quelques années que ton jeu de guitare était minimaliste en raison de tes capacités limitées. As-tu gagné confiance en tes capacités et cela a-t-il eu un impact sur ton jeu ?
Je n’ai pas de problème avec mes capacités. Je ne suis pas un guitariste technique et je ne m’y connais pas trop en théorie, en langage musical, je me concentre davantage sur le feeling. Et dans ce groupe, ce n’est pas un problème car Noah et Alianna portent vraiment les morceaux. Moi, je peux me détacher de ça, garder un jeu assez libre et imprécis, je contribue simplement de façon cool à la manière dont le son du groupe évolue depuis quelques années. Ce n’est pas grave si je suis le moins bon du groupe ! (Rires)
Quand on regarde rétrospectivement la discographie de Disappears, jusqu’à Pre Language, les morceaux étaient moins expérimentaux, plus structurés, il s’agissait davantage des chansons finalement. Pourquoi avoir décidé de s’affranchir de ça ?
Sur Pre Language, on jouait avec Steve (NdR : Shelley, batteur de Sonic Youth). Noah est ensuite arrivé et on est vite entrés en studios pour lui montrer ce sur quoi on avait commencé à travailler mais les chansons étaient loin d’être terminées. On voulait se retrouver, enregistrer et voir où on emmènerait les chansons. C’était aussi une manière de se mettre au défi. On a commencé à exploiter davantage les capacités du studio, réfléchir différemment, se demander comment un album pourrait être dans sa globalité plutôt que de se focaliser sur des chansons de trois minutes. Ça a très bien fonctionné, on a senti qu’on avait fait quelque chose d’accompli et qu’on avait franchi un pallier. On a ensuite poursuivi avec FACS ce qu’on avait initié sur Era. On écrit des chansons traditionnelles dans la forme et d’autres où on a juste une partie qu’on fait évoluer en studios. Je suis très content de composer de cette façon.
Vos albums sont composés de peu de morceaux, généralement assez longs. Avez-vous déjà songé à faire un seul morceau en guise d’album, comme une boucle infinie ?
Oui, j’adorerais faire un disque avec, disons, un morceau par face. Deux morceaux de 15 ou 20 minutes. On va probablement finir par faire ça !
Et maintenant que vous avez sorti presque autant d’albums avec FACS qu’avec Disappears, seriez-vous tentés à l’idée de démarrer un nouveau chapitre ?
Quand Disappears s’est arrêté, on s’était dit « construisons autre chose » et on a plus ou moins repris où on s’était arrêté. Et il a fallu tout recommencer. Maintenant, à notre âge, environ 45 ans, ce serait probablement trop difficile de le refaire. On va continuer sous ce nom-là ! Mais on essaie toujours d’évoluer d’un disque à l’autre, de se focaliser sur de nouveaux aspects, développer de nouvelles idées. D’un disque à l’autre, ce n’est peut-être pas évident mais si tu regardes entre le premier, Negative Houses, et celui-ci, ils semblent très différents. Avec le recul, tu peux prendre conscience de ça.
Avec Disappears, vous aviez repris sur scène Low de David Bowie. Ressentiez-vous alors une pression supplémentaire ?
C’est le Contemporary Art Museum de Chicago qui nous l’avait proposé, dans le cadre de leur exposition sur Bowie. On venait alors d’enregistrer Irreal, le dernier album de Disappears. C’était donc un bon timing car on n’avait rien d’autre à faire que d’attendre la sortie du disque. On s’est dit que ce serait un bon moyen de remettre nos idées en perspective, de se pencher sur autre chose et imaginer comment mettre tout cela en place. C’était super ! Mais complètement fou aussi, notamment pour le chant, personne d’autre ne peut faire ça ! Il a donc fallu se montrer créatifs dans notre approche. C’était très fun et c’est un de nos boulots les plus accomplis. On a dû reproduire des sons avec des instruments différents, recréer ces ambiances en gardant notre personnalité. On pensait utiliser des claviers et finalement non, uniquement des guitares, basse et batterie. On a énormément bossé mais ce fut très satisfaisant. J’adorerais le refaire mais il faudrait que j’y réfléchisse longuement !
J’imagine que ta période préférée va de Station To Station à la trilogie berlinoise.
De Station To Station à Scary Monsters, je pourrais écouter tous ces disques toute la journée. Mon préféré actuellement est Scary Monsters, même s’il est un peu controversé. Je l’adore, il est vraiment cool et je m’étonne que les gens n’en parlent pas plus.
“Maintenant que mon fils apprend à composer, il me demandait à propos du nouvel album « comment as-tu fait ça ?! ». Je lui montre mes différentes pédales, on parle du travail de John (NdR : Congleton, leur ingénieur du son). J’adore échanger à ce sujet avec lui.”
J’ai adoré le clip de « Strawberry Cough ». Ça a dû être très drôle à faire, chercher quel disque correspond à telle parole de la chanson. Tous ces vinyles sont issus de ta propre collection ?
Oui, ce sont les miens. C’était pendant le confinement donc j’écoutais de la musique tout le temps et il y avait des disques partout dans la maison ! J’ai donc commencé à chercher des visuels et des titres correspondant aux mots du texte. C’est au moment où on masterisait Present Tense donc j’écoutais l’album en regardant mes autres disques et ça m’a inspiré. Et puis, c’était gratuit, je l’ai fait seul avec mon portable ! (Rires)
Ça m’a fait très plaisir de voir cet album fantastique d’Unwound, Repetition. C’est un groupe qui a beaucoup compté pour toi ?
Oui, je les adore. Ils avaient toujours un temps d’avance avec leurs disques, ils étaient très inspirants. J’ai essayé de calquer mon éthique sur la leur, ils ont toujours su se remettre en question à chaque nouvel album, tout en restant cohérents par rapport à leur son et conserver un équilibre. Expérimenter, toujours aller de l’avant. C’est un grand groupe et Repetition est un des meilleurs albums au monde. Top 5 pour moi, clairement !
J’ai lu que ton fils de 15 ans est très curieux musicalement et se sert toujours dans ta collection de disques. J’imagine que tu tiens particulièrement à transmettre ta culture musicale et influencer ses goûts.
Oui, on parle beaucoup de musique, on allait à des concerts régulièrement. Ils ont un groupe et répètent dans notre sous-sol. C’est incroyable de pouvoir partager ça avec quelqu’un d’aussi jeune. J’adore qu’il me questionne sur des disques bizarres. (Rires) Ma fille de 8 ans commence aussi à s’y mettre. Bon, c’est différent bien sûr ! Mais c’est super cool, il y a toujours de la musique à la maison.
Ils écoutent ta musique ?
Ma fille, non. Mon fils aime bien ! Surtout maintenant qu’il apprend à composer, ils enregistrent régulièrement donc avec le nouvel album de FACS, il me disait « comment as-tu fait ça ?! ». Je lui montre mes différentes pédales, on parle du travail de John (NdR : Congleton, leur ingénieur du son). J’adore échanger à ce sujet avec lui.
J’ai vu que Rick Froberg (NdR : guitariste-chanteur de Drive Like Jehu, Hot Snakes, Obits…) avait fait les visuels de vos t-shirts. C’est un ami à vous ?
Oui, on avait fait une tournée de Disappears avec Obits et j’ai toujours été un grand fan de Drive Like Jehu. Son art est fantastique et c’est un super mec, c’est toujours agréable de lui parler.
Interview réalisée par Jonathan Lopez, à retrouver également dans new Noise été 2021 #58
Merci à Sébastien de Modulor.