Interview – Bryan’s Magic Tears

Publié par le 19 décembre 2021 dans Interviews, Notre sélection, Toutes les interviews

Ils sont jeunes, potes depuis la nuit des temps, ils aiment autant que nous les années 90 et ont sorti cette année un Vacuum Sealed qui se démarque quelque peu du reste de leur discographie (coucou Madchester), mais se révèle toujours aussi réjouissant. Leur passage à La Maroquinerie de Paris était l’occasion idéale pour poser quelques questions à Benjamin Dupont, guitariste-chanteur et compositeur du groupe. Il y est question des Beatles, de pressages de vinyles et de paradis artificiels.

“On a vraiment eu la chance de rester quasiment quatre ou cinq mois en studio. C’est pour ça que le disque sonne si produit. On aurait pu aller encore plus loin, mais on voulait éviter de tomber dans cet écueil de faire un gros son à la Muse ou je ne sais quel autre groupe à la con !”

© Emma Le Doyen

L’album précédent, 4AM, était plus énervé avec une place importante accordée aux riffs, un son un peu plus crade. Celui-ci est plus pop. Il y avait une vraie volonté dès le départ de s’en démarquer ?
Cet album a moins été fait dans l’urgence. On a testé pas mal de choses et essayé d’élaborer un son un peu moins crade. Sans renier pour autant l’album d’avant qu’on est très content d’avoir fait, il y avait là une volonté d’aller plus loin dans le son, quelque chose de plus limpide.

Ce disque a aussi un côté plus dansant, très Madchester. C’est une scène qui a compté pour vous ? Vous avez vu 12 fois 24h Party People ?
(Rires) Moi, j’ai vu ce film il y a longtemps. Je l’avais adoré mais ce n’est pas une scène qui m’a marqué plus que ça. C’est plutôt une découverte récente pour moi, ça fait trois, quatre ans que j’écoute des trucs comme ça. C’est pour ça aussi qu’on voit l’influence un peu plus marquée que sur le précédent où il n’y avait qu’un morceau comme ça. Ce n’est pas un mouvement musical de chevet pour moi, mais c’est quelque chose vers lequel je suis content de me diriger parce qu’il y a une énergie qui colle bien avec notre façon de penser. Danser sur des choses un peu tristes, c’est un peu nous.

On peut aussi voir un lien avec Happy Mondays et compagnie à travers la pochette avec les cachetons.
Ça s’est fait un peu naturellement. Moi j’ai rien demandé au graphiste, je lui ai dit “fais ce que tu veux“, je lui ai juste envoyé l’album et c’est à ça qu’il l’a associé ! (Rires) On a peut-être aussi la réputation d’aimer les paradis artificiels, ça a dû l’aider à élaborer le truc. Mais effectivement, ça colle avec la nouvelle image du disque.

Le fait d’avoir aujourd’hui accès à la musique en trois clics a-t-il un impact sur votre volonté de vous diversifier ? Cela vous incite-t-il à écouter des milliards de trucs et d’être comme une éponge, d’intégrer toutes ces influences ?
Oui, moi je ne suis pas du tout collectionneur de disques, donc effectivement, ma façon de consommer de la musique, c’est en trois clics, comme tu dis. Et peut être que ça ouvre plus d’horizons qu’à une certaine époque où il fallait faire une vraie démarche et digger pour aller acheter des skeuds, etc. Je ne suis pas un millennial mais j’ai grandi avec la musique sur internet. Ce n’est pas quelque chose d’inné pour moi d’acheter des disques et d’écouter ça sur une platine. Donc en un sens le renouvellement se fait aussi par ça, l’accès à la musique étant hyper rapide.

Vous sortez malgré tout vos disques en vinyle. Enfin, c’est avant tout une décision de Born Bad, j’imagine.
Oui, c’est surtout Born Bad qui met un point d’honneur à le sortir en vinyle parce que c’est avant tout un marchand de disques. Et d’objets. Moi, je ne suis pas du tout un collectionneur. Pour certains dans le groupe, c’est fréquent de consommer de la musique comme ça mais ce n’est pas mon cas. Sortir un vinyle, c’est surtout gratifiant parce que c’est un bel objet. T’es quand même plus content d’avoir ça qu’un CD ou un référentiel de téléchargement à la fin du mois ! (Rires)

On l’évoquait rapidement, c’est votre disque le plus produit. Vous avez passé beaucoup plus de temps que d’habitude, en studio ?
Oui, la situation s’y prêtait bien, on était tous un peu bloqués à droite, à gauche. On a effectivement passé énormément de temps en studio par rapport à un groupe de rock indé qui ne rapporte pas d’argent aujourd’hui. On a vraiment eu la chance de rester quasiment quatre ou cinq mois en studio. Pas tous les jours mais c’était un gros travail et je pense que c’est pour ça que le disque sonne si produit. On aurait pu aller encore plus loin, mais on voulait éviter de tomber dans cet écueil de faire un gros son à la Muse ou je ne sais quel autre groupe à la con ! (Rires)

Vous avez donc dû vous freiner pour éviter de faire un truc trop lisse ?
C’est surtout que quand on est un peu dans un fonctionnement “de nid” comme ça, là en l’occurrence on était que tous les deux avec Marc la plupart du temps, on risque d’oublier un peu où on va et qu’aucune des deux personnes présentes ne soit capable de dire à l’autre “stop”. Parfois justement, on est allé trop loin et on a su se dire “clairement, on arrête là” ! (Rires) C’est à partir de ces moments-là que le son général de l’album s’est créé. On voyait où on voulait aller au niveau des sons de guitares, etc. À savoir pas trop loin non plus. On tenait à ne pas trop s’éloigner de la fibre du groupe, de ce qu’il est en live, dans la vie, etc.

“On se connaît depuis longtemps, on est très amis donc quand il s’agit de dire les choses, c’est toujours un peu compliqué. (…) Il y a souvent des grands moments de bonheur entre nous qui sont aussi ponctués par des grands moments d’énervement vu qu’on est quasiment tous de la même famille.”

Le fait de vous connaître depuis pas mal de temps facilite-t-il les choses en termes de créativité ou au contraire, est-ce que parfois, ce n’est pas aussi un frein ? Est-ce qu’il n’est pas difficile de se dire “maintenant, faut bosser les gars. Assez déconné !
C’est une bonne question. On se connaît effectivement depuis longtemps, on est très amis donc quand il s’agit de dire les choses, c’est toujours un peu compliqué. Mais on ne crée pas beaucoup ensemble, on est surtout là pour mettre en œuvre le live. Il y a souvent des grands moments de bonheur entre nous, qui sont aussi ponctués par des grands moments d’énervement vu qu’on est quasiment tous de la même famille. On n’hésite pas à se le dire.

Vous étiez pas mal associés au début à cette scène garage psyché en France lorsque ça pullulait dans tous les sens. Ça s’est un peu tassé et vous vous en êtes démarqués aussi. Vous avez ressenti cet essoufflement et la nécessité de tracer votre propre route ?
Je ne sais pas si on s’en est détaché ou si ça s’est simplement essoufflé, mais on n’a jamais vraiment considéré qu’on faisait du garage psyché. C’est vrai qu’on était tous acoquiné avec le milieu du garage mais je pense que ça s’est fait assez naturellement. Et puis, le milieu de la musique s’est transformé aussi en même temps. Nous, on n’a fait que prendre le train en route. Il n’y avait ni une volonté un peu condescendante de s’en démarquer, ni une volonté d’en faire partie. On n’est pas des start-uppers qui pensons à chaque mouvement, chaque effet de mode pour s’y adapter ! (Rires)

Il y a aussi une vraie mélancolie dans votre musique. D’où vous puisez ça ? C’est quelque chose de personnel qui rejaillit dans vos compos ?
Si on regarde bien, c’est un peu notre nature à tous, dans le groupe. On n’est pas à s’apitoyer sur notre sort mais ce sont des états dans lesquels on se retrouve souvent, et qui parfois sont de vraies épiphanie de bonheur aussi. Bon, ça, ça se ressent plutôt dans la musique que dans les textes. Il y a un truc latent chez nous effectivement. On n’est pas tous sous Valium… mais ça ne tardera pas, je pense ! (Rires)

Au niveau du chant, la répartition est déterminée à l’avance, comme peut fonctionner par exemple Dinosaur Jr. où on sait qu’à chaque album, il y aura deux morceaux chantés par Barlow ou c’est vraiment hyper spontané ?
Là, c’était plutôt spontané. Après, il y a aussi le fait que sur l’album précédent, c’était une vraie réussite que Laurianne (NdR : la bassiste) chante, donc ça aurait été idiot de ne pas écrire en fonction de ça pour cet album-là mais il n’y a pas de quotas. Si j’avais écrit 4 morceaux de plus et que j’étais incapable de chanter dessus, Laurianne l’aurait fait.

Mais elle a pris un peu plus de place sur celui-ci.
Oui justement. À un moment, comme on a pris beaucoup de temps en studio, j’étais un peu limité au niveau de la voix. Elle a donc pris le relais et c’était très bien comme ça. À la base, elle ne devait faire qu’un morceau, et puis finalement, elle a pris la place qu’il fallait. Sachant qu’elle ne fait pas qu’exécuter ce que je j’écris, c’est elle qui écrit ses paroles et ses lignes de voix.

L’album se termine par ce morceau à rallonge hyper ambitieux “Superlava”. Vous n’avez donc pas le choix, vous êtes obligés de finir par celle-ci sur scène.
C’est marrant, on me l’a dit plusieurs fois, mais elle est un peu trop ambitieuse pour reprendre tes termes et donc pour le moment, infaisable en live. On aimerait bien, mais c’est vrai que pour l’instant, on a pu rajouter vachement de nappes notamment en studio, ce qui fait que les 10 minutes peuvent ne pas être trop ennuyeuses mais sur scène, c’est pas possible. Je pense qu’on perdrait les gens au bout de la 5e minute. (Rires)

Pourtant, vous étiez très satisfaits du résultat, c’est un morceau que vous avez bien bossé.
Oui carrément, mais je pense qu’il y a une vraie différence à l’écouter peinard au casque dans son canapé, plutôt que debout en fin de concert, sachant que ce n’est pas non plus un morceau transcendantal où on peut s’exciter. C’est assez lancinant, pas comme du Vox Low où tu peux bien bouger dessus. Elle n’est donc pas prévue en live pour l’instant.

J’avais lu que vous étiez assez déçu de votre dernier passage à la Maroquinerie. J’en ai déduit que vous étiez hyper exigeant avec vous-mêmes pour les live (je le vois prêt à ricaner)… Absolument pas, visiblement ! (Rires)
On peut être exigeant mais c’est pas quelque chose qui se ressent dans notre travail de concert. On peut très bien ne pas aimer un concert parce qu’il y a un petit détail qui nous a fait chier, mais on n’est pas du tout des monstres de travail. Là pour celui-là, on l’a fait sinon JB (NdR : le patron de Born Bad, présent lors de l’interview) nous mettrait des claques au cul.
JB : Je confirme. (Rires) 

Vos albums sortent en vinyle. La situation s’est pas mal dégradée ces dernières années, entre vos deux albums, est-ce que c’est de plus en plus difficile à ce niveau-là, économiquement chez Born Bad ? Avez-vous dû faire face à de gros décalages de sorties ?
JB : Moi, ça fait très longtemps que je travaille avec les mêmes usines, j’ai des amis qui en ont une, donc je suis mieux loti que beaucoup de labels. Même si ça reste compliqué, eux travaillent sous pression, leurs délais s’allongent. Pour l’instant, j’ai toujours tenu les délais.

Et la hausse des coûts de fabrication se répercute sur les prix ? En termes de ventes, ça se traduit comment ?
JB : Oui, ça a augmenté. Moi je ne l’ai pas encore répercuté sur les prix de gros. C’est la politique du label d’être très bon marché mais peut-être qu’à un moment donné, je serai obligé de le faire. Quant aux volumes de vente, c’est compliqué de savoir, l’album est sorti trop récemment, c’est au moment des réassorts que je me rends compte si ça vend et au moment d’établissement des comptes. Je crois que l’album plait et se vend plutôt pas mal. Remplir La Maroquinerie un mardi soir, en ce moment où c’est extrêmement dur pour toutes les salles, c’est très encourageant. De toute façon, il est très réussi ce disque, même si ça me fait mal au cul de le dire. (Rires)

Je vais finir sur un truc un peu hors Bryan, vous avez vu Get Back (NdR : la série documentaire de Peter Jackson sur les Beatles) ?
Benjamin : J’ai commencé à le regarder, mais c’est quand même un monument. Je n’ai vu qu’une heure et demie pour l’instant et j’ai adoré. Voir l’envers du décor, c’est trop bien et aussi voir un peu le malaise qui commençait à s’instaurer entre eux. Et la pression que peut représenter d’être sur une major à l’époque et leur devoir encore un ultime album alors que tu plus vraiment envie de faire de la musique avec les autres… Et c’est assez intense.

Et dans un monde parallèle où vous faites un carton phénoménal avec votre quatrième album et devenez blindés de fric. Un plan de carrière genre les Beatles qui à un moment ont arrêté de tourner pour se consacrer à fond au studio, bosser comme des malades pour repousser leurs limites. C’est un truc qui vous fait rêver ou qui est totalement inimaginable ?
J’aime bien avoir un équilibre entre la scène et le studio et j’aime ne pas faire que de la musique tout le temps dans la vie. J’espère que je serai jamais blindé pour me poser ce genre de question ! (Rires).

L’équilibre actuellement, c’est aussi l’alternance avec le boulot ?
Oui le boulot à côté ou faire de la musique pour d’autres trucs, pas seulement du rock. Quand j’ai du temps uniquement pour me consacrer à ça, en général, j’ai envie de faire autre chose. Pour l’instant, l’équilibre est très bien. Je pense qu’on te répondrait tous la même chose dans le groupe.

Interview réalisée par Jonathan Lopez, merci à Clarisse Vallée pour l’organisation de cet entretien.

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