Host – IX

Publié par le 26 février 2023 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Nuclear Blast, 24 février 2023)

Ce n’est pas un secret : j’aime énormément Paradise Lost. Le groupe emmené par le chanteur Nick Holmes et le guitariste Greg Mackintosh produit depuis près de 35 ans une musique à la fois sombre et mélodique qui n’a cessé d’être au minimum intéressante et parfois passionnante. Passé en quelques années du death metal poisseux de Lost Paradise à la pop synthétique de Host en passant par le doom de Shades of God ou le Gothic Metal d’Icon, le groupe d’Halifax n’a cessé de se réinventer tout en gardant un songwriting reconnaissable. Qu’elle soit hurlée ou chantée, portée par des riffs plombants ou des cordes soyeuses, la musique du groupe a toujours su garder un sens mélodique hérité du milieu des années 80, quand des groupes comme The Sisters of Mercy ou les Smiths baignaient la jeunesse britannique de leur noirceur mélancolique. Avec Host, que nous avons déjà brièvement mentionné, Paradise Lost avait atteint un point de non-retour. Le groupe, désormais signé par EMI, tentait le crossover en passant du metal alternatif à l’alternatif tout court. Après le très réussi One Second, il enfonçait le clou d’un son plus pop et de mélodies encore plus limpides qu’à l’accoutumée. L’album, artistiquement parlant, fut une réussite et il a globalement bien vieilli mais le succès ne fut pas à la clé et le groupe tenta alors un genre de « return to form » en réintroduisant les guitares et un son plus metal sur l’album suivant, Believe in Nothing, considéré comme son disque le plus faible. Commença pour le groupe une période un peu difficile faite de changements intempestifs de batteurs et de disques plus conventionnels, ayant le cul entre deux chaises. Symbol of Life, Paradise Lost ou In Requiem n’étaient pas mauvais mais ils n’étaient pas vraiment mémorables non plus. Avec Faith Divides Us, Death Unites Us, Paradise Lost remonta peu à peu la pop et en réintroduisant le chant « death » des débuts sans oublier les éléments plus pop de la suite, le groupe semble avoir retrouvé son mojo. De fait, les trois derniers albums peuvent être vus comme des hommages à la meilleure période du groupe, avec un spectre allant de Gothic à Draconian Times en fonction des humeurs (Medusa tirant vers le premier et le dernier en date, Obsidian, plutôt vers le second). Inévitablement, on attendait que cette entreprise consistant à revisiter ses meilleures années pousse le groupe à aller lorgner vers One Second et Host, les disques du tournant electro-pop alternatif.

C’est exactement ce que proposent Holmes et Mackintosh, pas dans le cadre de leur groupe originel mais dans celui d’un nouveau projet dont le nom annonce clairement la couleur. Faut-il cependant ne voir dans Host qu’une tentative de faire vibrer la corde nostalgique ? Cette dernière est clairement invoquée, avouons-le, mais c’est à la fois cela et quelque chose de différent. D’abord, parce qu’on ne peut pas être et avoir été, les musiciens ont mûri. Mackintosh maîtrise une palette sonore plus large et on peut dire à peu près la même chose de Nick Holmes, qui chante clairement mieux qu’à l’époque – les concerts du début des années 2000 n’étaient pas toujours très bons du point de vue vocal, il faut bien l’admettre. Il en sort quelque chose de plus professionnel, de moins ingénu que lorsque le groupe explora ce son-là pour la première fois au crépuscule des 90s. Quand One Second est sorti, Paradise Lost avait choisi un producteur rompu aux sons électroniques. Aujourd’hui, le duo peut s’auto-produire et comme tous musiciens maîtrisant un minimum les techniques d’enregistrement, il peut expérimenter avec les sons, produire des cordes synthétiques et des textures qui demandaient sans doute plus de travail il y a 25 ans. On retrouve donc bien en partie le son de Host mais avec dans l’idée qu’on n’est plus chez EMI, qu’on n’a pas l’intention d’en vendre des wagons, qu’on sait qu’on s’adresse à un public de niche, bien qu’ouvert, et qu’on peut donc garder une attitude « metal » plus appuyée. Le son est donc plus puissant, les guitares moins en retrait, le chant plus appuyé même s’il reste parfaitement clair tout le long. Au final, même si on comprend la logique du projet, sans doute lié au confinement, on se dit que le groupe aurait pu le sortir sous son nom et que ça n’aurait pas changé grand chose. Après tout, l’utilisation de programmations à la place de la batterie ne crée pas une énorme différence vu que Paradise Lost change tout le temps de batteur et que ce n’est donc pas ce dernier qui fait le son du groupe.

Du point de vue des compositions, sans être un trésor d’originalité, on peut dire que IX confirme que le regain de santé observé ces dernières années est durable. Les mélodies sont accrocheuses, les compositions sont solides. Elles ne sont cependant pas bouleversantes non plus. Malgré la grande qualité du disque, on ne cherchera pas les nouveaux « Another Day », « Disappear » ou « So Much Is Lost ». N’empêche, on est assez cueilli par l’intro acoustique de « Wretched Soul » qu’on n’attendait pas forcément, par le single « Tomorrow’s Sky », de très belle facture, par le lyrisme jamais pompier de la musique composée par Mackintosh et même par la noirceur de certains moments, comme « Instinct », qui sonne comme une réinterprétation d’une composition de la période Icon. Alors, peu importe si certaines mélodies semblent un brin trop familières, si les texte sont parfois un peu bateau (et oui, « tomorrow » rime avec « sorrow » et « pain » avec « again », qui l’eût cru ?) et si la dernière chanson, « I Ran » qui se finit trop abruptement, nous laisse sur notre fin : le plaisir des retrouvailles est palpable. À l’instar de Depeche Mode, désormais réduit à un duo, Holmes et Mackintosh continuent de produire de la pop de qualité qui plaira aux jeunes vieux que nous sommes devenus.

Yann Giraud

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