Paradise Lost – One Second
One Second, le sixième album de Paradise Lost, est sorti le 14 juillet mais je ne pense pas avoir à vous expliquer pourquoi en France il fut repoussé au 15 ? Le 15 juillet, donc, mon bac ES en poche, je suis allé m’inscrire en économie à l’université de Nanterre puis au retour, avant d’aller regagner mon poste dans le bureau où je travaillais pour l’été pour me faire un peu d’argent de poche, je suis rapidement passé à la Fnac Forum pour me procurer la tant convoitée rondelle. Bien sûr, ces derniers ne l’avaient pas. J’ai donc dû courir chez Gibert. J’étais exténué mais heureux. J’ai regardé la pochette encore sous blister tout l’après-midi puis l’ai déballée dans le RER A qui me ramenait au domicile familial pour découvrir la photo intérieure avec les cinq membres du groupes, ceux-là mêmes qui avaient donné naissance deux ans auparavant à Draconian Times, avec leurs nouveaux looks : cheveux courts ou peignés en arrière. Le pur look doom metalleux avait laissé place à un univers plus rock.
Ce changement n’était que la traduction esthétique d’une évolution musicale plus profonde. Greg Mackintosh, le guitariste et compositeur de tous les albums, avait prévenu lors de diverses interviews, il s’était mis à soudainement détester le metal et les solos de guitare. Ses influences étaient The Edge et Johnny Marr, des guitaristes plus intéressés par les textures sonores que par les riffs et la puissance. Ce ne sont d’ailleurs pas les distorsions qui donneraient au nouvel album sa force mais la rythmique. Cette dernière serait simplifiée et accompagnée de samples électroniques et de sons trip-hop pour coller à l’époque. Voilà donc quel était le programme annoncé. Paradise Lost avait d’ailleurs abandonné, outre ses cheveux, le producteur de ses années gothic doom metal, Simon Effemey, au profit de Ulf « Sank » Sandqvist, plus versé dans les sons electro.
Il y avait de quoi effrayer les fans, non ? Ces derniers – j’en faisais partie – avaient pourtant très bien accueilli « Say Just Words », le premier single, qui était bien mieux passé que, par exemple, « Until It Sleeps », premier single de Load, l’album « rock » de Metallica. Il faut dire que « Say Just Words », c’était du pur Paradise Lost : rythmique en palm mute, refrain ultra mélodique très enlevé. La seule chose qui frappait, c’était le son plus clair, le chant, désormais débarrassé de tout growl et une rythmique simplifiée. Mais globalement, on savait qu’on tenait déjà un tube et que Paradise Lost continuait à creuser la veine du disque précédent, dont l’immédiateté était déjà forte (cf. « The Last Time »). En face B, on avait eu droit à « Soul Courageous », un morceau qui flirtait plus volontiers avec Nine Inch Nails, tout aussi direct que la face A, mais avec un style « rock » plus assumé – voix passée à travers une saturation, riff d’intro… L’album allait-il se situer dans cette veine ? Et bien, oui et non. Oui car effectivement Paradise Lost ne va pas vraiment infléchir son songwriting avec cet album. C’est clair que c’est la même paire Holmes/Mackintosh qui est aux commandes. On reconnait la dynamique du groupe, les mélodies, malgré le changement de son et le caractère apaisé. Mais, par contre, il s’est avéré qu’en réalité « Say Just Words » et « Soul Courageous » étaient les deux morceaux rappelant le plus le côté « gothic metal » du groupe. Le reste de l’album allait mettre beaucoup plus l’accent sur les ballades et sur les textures. Je pense par exemple aux sublimes « Mercy » et « Disappear » sur lesquelles on trouve des cordes et des sons synthétiques (sans d’ailleurs qu’on puisse exactement discerner qui fait quoi).
On trouvait même deux morceaux sortant carrément de l’ordinaire et pas du tout typiques du Paradise Lost qu’on connaissait jusqu’à présent. Le premier, en plage 6, s’appelait « Another Day » et il démarrait, après une intro au clavier assez étonnante, par une gratte en son clair à la John Frusciante avec un groove que d’ailleurs les RHCP ou Faith No More n’auraient pas renié. Le refrain, plus électrique, revenait dans le giron du Paradise Lost plus classique, avec toutefois une esthétique plus « pop » que jamais. La fin, sublime, rappelait que le groupe n’était jamais meilleur que dans une veine un peu lyrique. Le deuxième morceau, le dernier de la version standard du disque, « Take Me Down » présentait Paradise Lost dans sa forme la plus expérimentale, un morceau presque « maritime » tant il semble noyé sous les textures – dont on ne sait d’ailleurs pas vraiment si c’est de la guitare ou des claviers. Ce qui est drôle, c’est que ces deux morceaux, dont on aurait pu penser qu’ils étaient indicateurs de l’évolution future de Paradise Lost – car encore plus pop et expérimentaux – se sont avérés de fausses pistes, des voies sans issues. Le groupe n’en fera jamais plus. La piste qu’il suivra un temps sera proche d’un Depeche Mode un chouia plus incisif, mais là, on était carrément dans autre chose avec le genre de crossover entre metal alternatif et shoegaze digne de Deftones période White Pony – celui de « Digital Bath », pour être précis. Paradise Lost n’y reviendra plus et je me dis que c’est peut-être dommage.
Vous l’aurez compris avec la description que j’ai faite des morceaux : One Second était globalement un disque très sombre, très mélancolique. Il sortait clairement du même fournil britannique que Mezzanine de Massive Attack ou Dummy de Portishead. Les mecs de Paradise Lost, dont on n’imagine pas qu’ils n’aient pas été biberonnés à Bauhaus ou Killing Joke n’auront jamais été aussi proches sur ce disque d’une sorte de post punk synthétique. Et c’est ce qui donne à cet album une place vraiment spéciale.
Je suis ravi de constater que, vingt-cinq ans après sa sortie, One Second est devenu un des disques préférés des fans. On dit parfois que les metalheads sont des auditeurs obtus. Pour moi, ce n’est pas le cas à partir du moment où le groupe qui change de direction propose à son public la même énergie et la même force dans sa musique. Or, c’était pleinement le cas dans cet album. C’est plutôt sur le suivant que cette passion va légèrement s’éroder. Attention, je ne dis pas que Host est un mauvais album, loin de là, mais il est juste moins habité que les six albums qui précèdent et sur les deux albums suivants, Believe in Nothing et Symbol of Life, Paradise Lost va même connaitre une sacrée baisse de régime. Malheureusement pour le groupe, cela correspond à la signature chez la major EMI qui ne va pas à tarder à les jeter. Le groupe remontera la pente en revenant au metal pur jus, avec des disques toujours passionnants comme Obsidian, son tout dernier, mais pas aussi déroutants que ce quasi-chef-d’œuvre que constituait One Second.
Yann Giraud