Paradise Lost – Obsidian
Pendant une poignée d’années, au mitan des 90s, Paradise Lost fut mon groupe préféré. Depuis le jour où j’ai entendu « Christendom » sur l’album Icon chez un ami, ma vie de mélomane en a été transformée. Jusqu’à la fin de la décennie, le groupe d’Halifax, Yorkshire m’a permis de m’initier à tout un tas de genres musicaux, tant lui-même évoluait. Du Death lent de ses débuts à la pop sous influence Depeche Mode de Lost en passant par le metal poisseux et sabbathien en diable de Shades of Gods, Paradise Lost a toujours su éveiller ma curiosité. Paradoxalement, cette capacité de renouvellement fut ce qui scella mon divorce d’avec le groupe. Lorsque sortit One Second (1997), cela provoqua en moi un point de non retour. Ce disque, que je considère rétrospectivement comme le meilleur album de metal hybride de la période, brassait tellement large avec son chant clair courageux, ses samples et ses guitares triturées qu’il me fit écouter des choses aussi variées que Massive Attack ou les Smiths. Devant les contrées qui s’ouvraient à moi, je me mettais alors à creuser, oubliant le groupe même qui avait attisé ma curiosité en premier lieu. Dans les années 2000, je ne m’intéressais à Paradise Lost que de loin, écoutant d’une oreille distraite chaque nouvelle livraison en regrettant de ne pas y retrouver l’excitation de mes seize ans. Pas grave : d’autres prendraient la relève. Ce n’est pas que des disques comme Paradise Lost (2005) ou In Requiem (2007) soient mauvais, mais ils manquaient juste un peu de direction et de compositions marquantes. Le groupe semblait avoir du mal à se renouveler, tentant une sorte de synthèse entre ses années gothic/doom et ses années pop, sans vraiment s’engager pleinement. Alors que My Dying Bride s’était à la même époque recentré sur son « cœur de métier » (un doom bien pesant), Paradise Lost souffrait de ce qui avait fait sa supériorité dix ans plus tôt : sa versatilité. Quand arriva The Plague Within (2015), la surprise fut très bonne : boosté par des side projects intéressants (le passage de Nick Holmes chez Bloodbath, notamment), le groupe proposait un véritable disque de doom, intense et puissant, avec un retour au chant death parfaitement maîtrisé, et des chants clairs toujours plus travaillés. On avait le meilleur des deux mondes et en même temps un disque véritablement cohérent et bien foutu. Medusa (2018) enfonça le clou : Paradise Lost était de retour pour dominer à nouveau la scène metal alternative britannique. Ce « retour à la forme » allait-il se prolonger ?
Obsidian constitue une nouvelle grosse – et heureuse – surprise. C’est en effet une sorte de synthèse entre tous les styles abordés par Paradise Lost au cours des trente dernières années, sauf que cette fois, il s’agit vraiment d’une synthèse réussie. Ragaillardi par son retour au death/doom des deux derniers albums, Paradise Lost revisite cette fois les disques Shades of God, Icon et Draconian Times avec tout le recul que leur ont apporté des années d’expérience. Le chant death de The Plague Within et Medusa est toujours là, toujours aussi convaincant mais au lieu d’être plaqué sur des morceaux de doom pesant, il est ici alterné en permanence avec le chant clair et s’adapte parfaitement à des compositions plus « gothic metal » faisant beaucoup penser aux Sisters of Mercy (une influence très forte pour le groupe au milieu des années 90). C’est le retour des arpèges de guitare cristallins, des sons de synthés 90s, des cordes et le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est très réussi. Le premier morceau, « Darker Thoughts » concentre un peu toutes les qualités de l’album : il commence de manière étonnante par une guitare sèche et une voix très posée de Nick Holmes et au bout d’une minute trente, c’est le grand frisson avec l’arrivée de la guitare et du chant saturés sur un lit de cordes du plus bel effet. Sans doute le disque de Paradise Lost le mieux produit du groupe depuis ceux réalisés par Simon Effemey, l’album enchaîne les excellents morceaux. On passera sur le single « Fall From grace », efficace mais pas vraiment représentatif du reste de l’album – il aurait pu se situer sur les deux disques précédents, ce qui est déjà pas mal – et on passe à « Ghosts », que personnellement j’aurais choisi pour représenter l’album si j’avais travaillé pour la maison de disque du groupe : une chanson gothic metal accrocheuse comme on n’en avait pas entendu depuis « Say Just Words » sur One Second. Et puis, un peu plus loin, il y a les sublimes « Serenity » et « Ending Days » qui réunissent toutes les qualités de Gothic, Shades of God et Icon, avec un mélange de riffs puissants, d’arpèges, de chant clair et death. Cette fois, Greg McIntosh nous revient vraiment avec des compositions marquantes dans le style des meilleures années du groupe. « Hope Dies Young » n’aurait sans doute pas déparé sur Draconian Times. Retour enfin au doom lourd pour le beau final « Ravenghast ».
Vous l’aurez compris à ce stade de ma chronique : j’aime énormément ce disque et je le trouve même supérieur par sa diversité aux deux précédents. Cela donne donc le meilleur disque de Paradise Lost depuis One Second et pour les fans qui n’auraient pas apprécié le tournant pop d’alors et préféraient leur période Gothic Metal, c’est peut-être même le meilleur depuis Draconian Times.
Yann Giraud