Extra Life – The Sacred Vowel
Un peu moins de deux ans après avoir signé son retour avec le spectaculaire Secular Works, Vol. 2, Extra Life publie aujourd’hui The Sacred Vowel et confirme son statut de groupe culte et inclassable. Ce nouvel album explore de nouvelles voies et se révèle au fil des écoutes aussi passionnant que dérangeant et d’ores et déjà indispensable. Toujours articulé autour de Charlie Looker et avec Toby Driver (Kayo Dot) de retour à la basse, Extra Life compte désormais David Bodie à la batterie et surtout Timba Harris de Secret Chiefs 3 au violon.
The Sacred Vowel s’ouvre sur le minimal « Corrupt, Corrupt » dont la ligne de chant à la première écoute, provoqua chez moi un éclat de rire primesautier que je n’ai su contenir tant le « da da da da da » de Charlie Looker m’interloqua. Une légèreté, voire une facilité, surprenante d’entrée de jeu, qui réveilla à ma mémoire son (mauvais) goût pour le cringe hors sol et son (meilleur) goût pour les chemins de traverse. Il est étonnant de voir comment le morceau part d’un postulat presque drôle (du moins ai-je ri) pour se diriger assez rapidement vers quelque chose de bien plus inquiétant. Le balancier de la guitare installe une atmosphère étrange et lorsqu’elle est rejointe par un piano fantomatique qui se fond délicatement en elle, le malaise est palpable. De façon plus ou moins subtile, la voix de Looker louvoie autour du pendule avec la facilité et la sensibilité qu’on lui connaît. Elle se déploie en un éventail de nuances qui rend le morceau déroutant, fascinant et par moments même déchirant. Au bout du compte, je ne ris plus du tout et comprends qu’une fois encore Charlie Looker s’est joué de moi et de mes attentes. Depuis cette première écoute, « Corrupt, Corrupt » ne cesse de me surprendre. Il prouve qu’Extra Life ne fait décidément rien comme les autres en mettant son morceau le plus improbable au tout début de son album.
Ce titre inaugural sera suivi par une chanson en forme de confession et d’aveu : « I’m Normal ». On retrouve à cette occasion un paysage légèrement plus familier, avec encore une fois le chant de Charlie Looker impressionnant et une instrumentation déjà plus évidente. Je suis à nouveau bluffé par l’aisance vocale de Looker et prends un plaisir d’orpailleur à décortiquer ses envolées et ses murmures. Avec cynisme et grandiloquence, il fait un état des lieux implacable de sa désintoxication et nous livre donc cette sentence absurde : « I’m Normal ».
Ce titre est l’occasion d’introduire le violon de Timba Harris qui tiendra dès lors une place prépondérante dans l’équilibre du disque. C’est d’ailleurs le violon qui lancera le morceau suivant, « Feet First », durant lequel il fera un contrepoint à la hauteur de la performance vocale encore une fois implacable de Charlie Looker. On notera également le jeu tout en finesse de David Bodie. Son groove élégant et direct amène la musique d’Extra Life sur un autre plan et parvient presque à me faire oublier la performance de Gil Chevigné sur Secular Works, Vol. 2.
Plus loin, « Haven’t Learned a Thing » verra le retour de la guitare acoustique dans un registre toutefois différent de « Corrupt, Corrupt », qui me fait penser à celui de Jerry Cantrell sur Sap. Charlie Looker reprend le thème tissé dans « I’m Normal » avec davantage de gravité et de recul et s’interroge sans fard sur ce qui l’attend maintenant qu’il est normal. En attendant d’avoir la réponse, il se mue en Rûmî post-moderne le temps de nous conter une histoire intitulée « Three Worms », certainement le titre le plus barré de l’album. Il poursuit ici son introspection avec ce conte moral racontant le périple de trois vers de terre nommés respectivement What If, Why Not et Fuck It. Le délire commence par une réminiscence de Zs (groupe expérimental new yorkais dans lequel Looker a fait ses gammes… vous le savez parce que vous avez lu son interview dans le dernier numéro du fanzine d’ExitMusik) dans une atmosphère proche du drone, avant de tirer vers quelque chose de tribal, proche du doom et de se terminer en apothéose glam totalement incongrue. « It’s gonna be a wormy weekend! » chante-t-il vêtu d’une combinaison argentée, chaussé de moon boots à fourrure rose et serti d’un bandeau léopard autour de la tête… (J’ai beaucoup trop d’imagination).
Après cette virée de l’autre côté du miroir arrive déjà la fin du disque avec le morceau qui donne son titre à l’album, « The Sacred Vowel ». Mon premier réflexe fut de voir en lui un pendant à « Diagonal Power », le titre central de Secular Works, Vol. 2, avec les cordes à la place des cuivres. Pourtant, la mélodie a quelque chose de très Broadway qui ne m’avait pas sauté aux yeux avant ça. Je suppose que le titre fait référence au yoga, mais je ne sais si Charlie Looker s’en amuse ou s’il s’est trouvé une nouvelle béquille dans sa pratique. Elle offre, quoiqu’il en soit, une fin magnifique et pour le moins extatique à cette dernière aventure d’Extra Life.
Jamais là où on l’attend et néanmoins toujours fidèle à lui-même – pardonnez les poncifs – il offre un nouveau chapitre de son histoire, à ranger une fois encore au côté d’œuvres également ambitieuses et aventureuses. Situé au-delà des modes et des chapelles, dénué de tout dogmatisme larvaire et baigné d’un humour irrésistible, The Sacred Vowel poursuit le Grand Œuvre de Charlie Looker avec une dextérité et une originalité qui le rendent d’emblée incontournable pour tous les amateurs du genre. Les autres passeront leur chemin sans avoir idée de ce qu’ils ratent. C’est dans leur habitude.
Max