Chaos E.T. Sexual – Only Human Crust

Publié par le 26 novembre 2020 dans Chroniques, Incontournables, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Chien Noir, 20 novembre 2020)

Il est des disques capables de vous happer dès les premières minutes et qui se démarquent d’emblée du commun des albums. Only Human Crust de Chaos E.T. Sexual en fait partie.

Du gangsta doom. Ce sont eux qui le disent et même iTunes a pris le pli. Doom indéniablement, tant les riffs sont lourds et écrasants. Pour l’appellation gangsta, à l’exception de beats hip hop fréquents, il faut un peu plus d’imagination. Ça tombe bien, la musique de Chaos E.T. Sexual invite à développer l’imaginaire. Impossible d’écouter cet album sans se plonger intérieurement dans la réalisation de notre propre film. Un film noir, terriblement anxiogène et éreintant. Il suffit de peu pour s’imaginer coincé par une bande de gangstas (les voilà) à capuche dans une ruelle glauque. Les seringues jonchent le sol, la crainte de passer un sale quart d’heure est bien vivace. La fuite nécessaire, les issues réduites et incertaines. Une fois échappé de (l’) “Asile”, deuxième titre faramineux qui vous suivra des heures durant, le chemin est encore long.
On pense alors qu’un type à capuche, plus avenant celui-ci, nous tend la main. Un gars du nom de Jessica93, dont la musique est assez familière si on lui ajoute une bonne couche d’épaississant et qu’on l’assaisonne d’un indus crasseux (“Tomorrow, Prudence” où un chant égaré vient se frayer un chemin au milieu des décombres). On est souvent proche d’une bande-son de film SF dystopique (on pense à Blade Runner 2049 et ses ambiances oppressantes) et constamment sur le qui-vive alors que les guitares semblent peser des tonnes, les riffs durer une éternité. Le disque, à mesure qu’il avance, continue d’exercer son pouvoir de fascination, d’accroitre son emprise. On s’enfonce inexorablement comme dans des sables mouvants, pris par ces rythmes fatidiques, ces guitares inéluctables, ces synthés déshumanisés qui distillent le mal-être. Toujours un peu plus, rien qu’un peu…

Plus loin, “La Française des Jeunes” semble prendre un peu de recul, desserrer l’étreinte, avec ses extraits décalés de l’émission Strip Tease dont elle reprend le thème au ralenti, mais cela vire très vite à la danse macabre, à l’affaire qui tourne mal. Au-delà de la densité de la bête, les mélodies, bien que mises régulièrement sous l’éteignoir, rongées par la suie et les larmes, ne sont jamais très loin et il suffit d’un riff pour nous émerveiller tout d’un coup, nous permettre d’y croire à nouveau (comme à mi-chemin de l’incroyable “1674-Now: Many Thousand Gone”* qui reprend ensuite le chant d’esclave “No More Auction Block (Many Thousand Gone)”).
En fin de course, on renoue enfin avec une forme de quiétude, un semblant d’apaisement, une lumière là-bas au fond (“Solace Exhaust”). Alors que la libération est proche, des cris de damnés semblent vouloir nous dire que ce n’est pas tout à fait fini. Le brasier s’éteint à mesure que se dévoile le dernier morceau éponyme, lequel nous remet la tête sous l’eau et nous embarque dans une dernière virée claustrophobique. On nous assène alors un accablant “You just let me down“. Et le chaos industriel de reprendre de plus belle. Les instruments ne sont plus que des machines à broyer l’humanité. Ouf, la sortie est là.

Vous l’aurez compris, Only Human Crust est une épreuve. Une œuvre imposante qui force le respect. Un monolithe impressionnant. Un tout majestueux. Terriblement éprouvant, comme le Chien d’la casse suffocant d’Usé il y a quelques années, comme un dälek privé de micro, comme un Godflesh à qui l’on suggèrerait de se montrer plus impitoyable. Comme cette foutue année 2020, sinistre à souhait qui ne nous aura pas épargnés grand-chose. Mais au moins offert quelques grands disques. Comme celui-ci.

Jonathan Lopez

*1674 fait référence au début du commerce triangulaire.

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