Bob Mould – Blue Hearts
La musique de Bob Mould a toujours été engagée. Engagée, non pas seulement dans le sens politique du terme mais dans le sens où elle a toujours été interprétée avec beaucoup de fougue et de passion. Digne représentant de l’éthique DIY du punk américain des années 80, aux côtés de Henry Rollins et Ian MacKaye, Mould fait partie de ces figures tutélaires du genre dont on apprécie tellement la droiture qu’on lui pardonne tous ses faux pas : ses excursions électro un peu moins réussies, ses disques plus mous du genou de la première moitié des années 2000 et même sa passion du catch, c’est dire.
Formant depuis 2012 un trio avec Jon Wurster (batteur et membre actuel de Superchunk et des Mountain Goats) et Jason Narducy (bassiste et également accompagnateur de tournée de Superchunk), son line-up le plus durable et productif depuis Hüsker Dü, Mould a sorti en sept ans quatre albums de très belle facture qui ne sont pas sans rappeler ceux sortis par Dinosaur Jr. depuis sa reformation. The Silver Age, Beauty and Ruin, Patch The Sky et Sunshine Rock sont des disques qui ne contiennent aucune mauvaise chanson et presque pas de temps mort et qui, s’ils n’égalent pas en termes de fraîcheur les vertes années de sa formation d’origine ou même la vigueur de Sugar, ont pour eux la distance et la maturité propres aux artistes qui n’ont désormais plus rien à prouver et n’ont plus qu’une envie, mener leur barque et jouer la musique qui les éclate. Franchement, si Mould avait continué à sortir des disques de cette trempe-là à raison d’un tous les deux ou trois ans, on n’aurait sans doute rien trouvé à redire.
Mais voilà qu’avec Blue Hearts, Mould et ses deux comparses ont décidé d’accélérer la cadence et de frapper un grand coup. Quelle ne fut pas notre surprise de voir un an à peine après Sunshine Rock le brûlot « American Crisis » débouler dans nos recommandations YouTube… et quel brûlot ! Sur un lit de guitares saturées par-dessus lesquelles Wurster semble frapper à s’en péter les poignées, Mould y vide son sac concernant les conservateurs américains et leur peu d’égard pour les minorités. Lorsqu’il évoque les années 80 et le fait de devoir « revivre ça », il fait bien sûr référence à l’indifférence des néo-cons à l’égard du sida et de la manière dont il décima (entre autres) les homosexuels durant cette période. Bien sûr, une telle rage ne surprendra pas les fans de la première heure, sur un plan strictement musical. Sur le plan personnel, cependant, elle illustre bien l’évolution de Mould qui, dans les années 80, n’avait pas encore révélé au public son homosexualité et qui, bien qu’ayant toujours vécu avec des hommes, ne se sentait pas réellement concerné par l’identité « gay » et les revendications LGBT nées justement de la lutte contre le sida. Assumant pleinement son homosexualité depuis maintenant plus d’une vingtaine d’années et évoluant aussi dans la culture des clubs et des bars « bear » (lire à ce sujet son excellente autobiographie), Mould semble enfin prêt à investir le champ de l’homosexualité politique, se tenant aux côtés des minorités et des dominés qui subissent depuis l’élection de Trump une chiée de discours décomplexés à leur égard. Cerise sur le gâteau : Mould exprime ses griefs sur fond de mélodies power pop qui doivent finalement plus à Sugar qu’à Hüsker Dü. Le tout donne un rock cathartique qu’on s’est repassé une bonne dizaine de fois cet été. L’album allait-il être intégralement de cette trempe ? Oui et non.
Le disque commence en effet sur une sorte de faux départ, une nappe de synthé et un craquement de vinyle, préludes à une chanson intégralement acoustique, semblant avoir été enregistrée avec un dictaphone, mais sur lequel Mould articule déjà un discours politique, dénonçant l’immobilisme au sujet du changement climatique, la crise des opioïdes, la démocratie américaine en déclin. Tout cela n’est pas particulièrement subtil mais quelque part, entendre un artiste comme Mould, en début de fin de carrière, prendre ainsi le taureau par les cornes alors que beaucoup de jeunes artistes tendent à enfouir leur propos sous des tonnes de métaphores, fait plaisir. Et quand la guitare et la batterie déboulent sur « Next Generation » pour ne plus jamais nous quitter jusqu’à la fin du disque, c’est effectivement jouissif. Le disque ne faiblit jamais mais s’offre quelques respirations, notamment sur le mid-tempo « Forecast Of Rain ». Plus loin, « Baby Needs A Cookie » – pas besoin de longue analyse pour comprendre de qui il est question – fait penser au dernier album de Superchunk, What A Time To Be Alive, forcément. Toutefois, si je devais rapprocher l’esprit de ce disque d’un autre sorti ces dernières années, ce serait Transgender Dysphoria Blues d’Againt Me!, un disque à la fois rentre-dedans et personnel. Le final plus apaisé « The Ocean » fait particulièrement penser au groupe de Laura Jane Grace.
On ne dira donc pas qu’avec Blue Hearts, on retrouve Bob Mould. Celui-ci n’avait pas disparu et cet album court et intense n’est que le parachèvement d’une carrière déjà bien relancée depuis une dizaine d’années. Notre seul regret : Mould, qui joue déjà rarement en France, ne passera sans doute pas encore par chez nous avant un bon bout de temps si on ajoute à cela la situation sanitaire actuelle et, pourtant, qu’est-ce qu’on aimerait découvrir ce disque en live !
Yann Giraud