Bitter Branches – Your Neighbors Are Failures
L’un de nos fidèles lecteurs a récemment eu l’outrecuidance de nous faire remarquer – sans velléité aucune, sachons le reconnaitre – qu’on semblait s’être légèrement assagi ces derniers temps, voire qu’on se « popisait » (brrr). Il est donc grand temps de balayer ses insanités en exhibant nos muscles saillants et en balançant du gros bourrin à même de faire fuir les habitués des pages de Magic et Section 26.
Bitter Branches est l’énième projet de Tim Singer, à qui on pourra difficilement reprocher d’avoir mal choisi son métier, même si Screamer eut été un nom encore plus approprié. Tim Singer a auparavant fait des siennes au sein de Deadguy, Kiss It Goodbye et autres No Escape, ce qui le place d’emblée comme une référence du punk hardcore à tendance noisy. Les lecteurs de cet article se divisent donc désormais en deux catégories : ceux qui se demandaient quand on allait enfin traiter cette sortie tant attendue et ceux qui estiment que notre assagissement avait du bon. Pourtant, ce premier album de Bitter Branches pourrait parler à chacun d’entre vous, pour peu que vous ne preniez pas vos jambes à votre cou à l’écoute de ce beugleur intimidant. Le premier EP du groupe, This May Hurt A Bit, sorti en 2020, avait le mérite d’arborer un titre des plus explicites. Si cet EP remarquablement rentre-dedans faisait l’étalage d’une indéniable efficacité, Your Neighbors Are Failures se révèle bien plus abouti et éminemment plus subtil qu’il ne veut bien le montrer de prime abord. En d’autres termes, il ne s’adresse certainement pas au dernier des demeurés. On se lance yeux fermés pour prendre une dérouillée et on repart l’esprit confus. Bitter Branches ne participe pas à un concours de testostérone (où il ferait très bonne figure, en atteste l’entame « Along Came A Bastard »), il virevolte, avance parfois à pas feutrés, émaille son périple de plans vicieux, d’intros tortueuses (« Plastic Tongues » presque blues, parsemé d’harmoniques roublardes, le torturé et quelque peu azimuté « Monsters Among Us »), le groove s’invite, les breaks sont soudains, les soubresauts coquins (diable que ce « Show Me Yours » final est pernicieux et jouissif !). La basse semble parfois faire tout le (sale) boulot, ce qui est souvent très bon signe (« Have You Tried Jogging? ») et laisse à la guitare le soin de ramasser les restes en cisaillant tous azimuts. « The Man Who Never Cries » qu’on n’osera pas qualifier de labyrinthique est assurément tordu. Certaines entames filent droit avant d’emprunter une trajectoire finale des plus transcendantes (si vous ne cliquez pas compulsivement sur repeat à la fin de « Solo Trip », vous avez de sérieux soucis d’audition et/ou une vie bien triste. Ptet même que vous avez voté Le Pen ou Macron). Les morceaux se suivent sans se ressembler, se gobent sans forcer. Et voilà que, comme on le souligne régulièrement, une musique aussi agressive et viscérale, sait se révéler hautement addictive dès lors qu’elle cesse d’emprunter les sentiers balisés et ose les pas de côté. Le grain de folie tant espéré est ici incarné, non seulement par Singer qui campe parfaitement le psychopathe constamment au bord du (ou en plein) pétage de plomb, mais également par ses comparses vétérans de la scène 90s* aussi instables qu’inspirés. Ce Bitter Branches est donc probablement avec le dernier album de Buñuel la sortie noise la plus enthousiasmante de ce début d’année. Et il va falloir y aller avec fermeté, virulence et (à ne surtout pas négliger) créativité pour les déloger.
Jonathan Lopez
*qu’on a pu entendre pêle-mêle au sein de Calvary, Lifetime, Lighten Up, Paint It Black ou Walleye.