50 Foot Wave – Black Pearl
« 50 Foot Wave est l’autre groupe de Kristin Hersh », nous dit la feuille de presse qui accompagne la promotion de Black Pearl, le deuxième véritable album du groupe – dans une discographie qui bien que s’étendant sur près de vingt ans, ne comporte pratiquement que des EPs. Mais qu’est-ce qui distingue donc ce power trio de « l’autre » groupe de Hersh, le séminal Throwing Muses ? Et bien pas grand chose, ai-je envie de dire… D’abord parce que Throwing Muses est lui-même réduit à un trio depuis un certain temps. Et ensuite parce que 50 Foot Wave avait été créé lorsque ce projet avait été mis en stand-by, que Kristin Hersh avait décidé de se lancer dans une carrière solo à dominante acoustique et que 50 Foot Wave constituait donc le pendant électrique de cette aventure. Seulement, voilà que l’électricité est revenue à tous les étages chez la talentueuse – c’est un euphémisme, je devrais dire « géniale » si ce mot n’était pas à ce point galvaudé – autrice-compositrice-chanteuse-guitariste.
D’une part, même ses derniers disques en solo, souvent richement overdubbés, sont aussi intenses et tendus que les productions les plus coriaces de combos post-hardcore. Écoutez le bouleversant Wyatt at the Coyote Palace de 2016 et vous verrez si j’exagère. D’autre part, il suffit de réécouter le dernier Throwing Muses en date, l’excellentissime Sun Racket, pour se réaliser à quel point l’électricité dans sa forme la plus viscérale y domine : distorsions grasses, batteries lourdes, basse saturée…
Et pourtant, dès les premières secondes de Black Pearl, on sent que 50 Foot Wave va encore un cran plus loin dans l’intensité et la lourdeur. Le son de basse perce admirablement le mix et on entend chaque vibration de corde, les arpèges de guitare dégoulinent de saturation, le batteur n’épargne pas ses futs. C’est simple, cette intro, on aurait parfaitement pu l’imaginer en introduction d’à peu près n’importe quel (bon) groupe de post-metal. Puis arrive le chant de Hersh, toujours aussi rauque et voilé. Rien à dire, ça tabasse sévère. Mais surtout, ça prend aux tripes avec des mélodies qui vous fendent le cœur. Faut-il s’attendre pour autant à un disque monolithique ? Pas vraiment car si les ronflements de basse vont vraiment dominer tout au long de l’album, il y a très vite la volonté de construire une ambiance pas très éloignée d’un groupe comme Slint, dans un genre que je caractériserais de minimalisme maximaliste – minimalisme des arrangements, mais maximalisme dans la manière d’occuper l’espace avec trois musiciens qui jouent vraiment tout à fond. Un basse/guitare/batterie qui sonne parfois comme une grosse jam, un peu comme les Red Hot Chili Peppers, mais qui auraient troqué le soleil optimiste de la Californie pour celui, écrasant, du Sud des États-Unis.
Ça sent l’Amérique des paumés, des déracinés et ça ne rigole pas. À l’instar de Thalia Zedek, autre figure culte de l’indie rock des 90s, Hersh est un troubadour. Les histoires qu’elle raconte, empreintes de mélancolie, semblent être écrites sur la route avec une observation minutieuse des détails de la vie de tous les jours. On ne sait pas toujours exactement de quoi ça parle mais on repère des détails : un hôtel, un plafond… et avec une voix aussi chargée émotionnellement, le moindre de ces détails prend une tournure dramatique. Elle chanterait le bottin que ce serait du Faulkner. Ce Sud gothique, celui qui faisait le sel des premiers albums de R.E.M. ou de l’ensemble de la discographie de son regretté compagnon de route Vic Chesnutt, semble ne pas vouloir la quitter.
Au jeu des sept erreurs, on dira que 50 Foot Wave est, d’une manière générale, plus abstrait, plus « post » que Throwing Muses. Les chansons sont basées sur des atmosphères, des faux calmes, des explosions, des répétitions, des scansions. Black Pearl a beau ne pas être annoncé comme un EP, il ne contient néanmoins que sept titres. Pourtant, les chansons ont toutes une telle épaisseur qu’il paraît en comporter bien plus. Alors, on l’écoute une fois, puis deux, puis des dizaines. Sun Racket était déjà l’une des grandes surprises de 2020. Il m’a fait me replonger dans la foisonnante discographie de Kristin Hersh et avec ce disque presque aussi bon que je considère comme une sorte de compagnon, je pense que cette obsession n’est prête de s’arrêter.
Yann Giraud